Anévrysme de l'aorte : que faire chez un malade non opérable ?

Le risque de rupture d'un anévrysme de l'aorte abdominale (AAA) augmente avec le diamètre de l'ectasie (la loi de Laplace démontre que la tension appliquée sur les parois de l'aorte est proportionnelle à la pression artérielle et au rayon de l'artère). Pour un diamètre supérieur à 6 cm, le taux de rupture annuel peut aller jusqu'à 25 % dans certaines études.

Chez les malades jugés opérables, le traitement classique consiste en la mise en place par voie chirurgicale d'une prothèse aortique synthétique.

Un nombre non négligeable de patients étant considérés comme non opérables, en raison de la présence de co-morbidités, et la mortalité de l'intervention étant loin d'être nulle même dans les meilleurs mains, depuis quelques années des méthodes de réparation endovasculaire de l'aorte (REV) ont été mises au point. Leur principe est simple : il s'agit d'introduire par voie artérielle une endoprothèse en regard de l'ectasie, de la déployer et de la fixer à la paroi artérielle en espérant ainsi supprimer (ou plutôt considérablement diminuer) la pression s'exerçant sur l'anévrysme et donc le risque de rupture.

Rapidement cependant, les méthodes de REV, primitivement réservées aux malades inopérables, ont été utilisées chez des patients justiciables d'une intervention à ciel ouvert. L'évaluation comparée de la REV et de la chirurgie classique chez les malades éligibles aux méthodes a été l'objet de deux études randomisées de grande envergure (EVAR 1 et DREAM) dont les résultats à moyen terme viennent d'être publiés.

Paradoxalement, alors que la REV avait été mise au point pour les sujets inopérables, aucune étude randomisée n'avait jusqu'ici comparé la REV à l'abstention thérapeutique chez ce type de patients.

C'était l'objet de l'essai EVAR 2 dont les résultats viennent d'être publiés en ligne par le Lancet.

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En synthèse, 338 sujets de plus de 60 ans chez lesquels un AAA de plus de 5,5 cm de diamètre avait été diagnostiqué et qui avaient été jugés inopérables (essentiellement en raison de co-morbidités cardiovasculaires ou respiratoires) ont été randomisés entre une REV et une simple surveillance. La durée médiane du suivi a été de 2,4 ans. Dans le groupe témoin le taux de rupture a été de 9 % par an.

Lorsque les résultats sont analysés « en intention de traiter » il n'y a pas différence significative en terme de mortalité globale calculée à 4 ans selon la méthode de Kaplan-Meier : 66 % avec la REV et 62 % avec l'abstention. Il en est de même de la mortalité liée à l'anévrysme (14 % contre 19 %). Dans le détail, durant les 6 premiers mois, la mortalité liée à l'AAA a été augmentée de 67 % dans le groupe REV par rapport au groupe témoin, tandis qu'elle a diminué de 47 % après le sixième mois. Cette évolution s'explique par une mortalité à 30 jours après la REV de 9 %, c'est-à-dire très supérieure à ce que l'on observe dans les séries concernant des patients opérables.
Si l'on s'en tient à cette analyse en intention de traiter, la REV ne s'est pas révélée supérieure à l'abstention tandis que son coût hospitalier a été nettement supérieur (+ 8649 livres par patient).

De fait, l'interprétation d'EVAR 2 est beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît et les résultats « en intention de traiter » ne reflètent pas exactement la réalité. En effet, dans le groupe REV 9 anévrysmes se sont rompus durant la période d'attente de l'intervention (durée médiane de 57 jours) et à l'inverse 47 des 172 sujets assignés à l'abstention thérapeutique ont finalement bénéficié d'une réparation de leur AAA (12 par chirurgie et 35 par REV). Une analyse post-hoc des résultats selon le traitement effectivement pratiqué n'a cependant pas montré de résultats très différents de l'analyse « en intention de traiter ». Il faut souligner ici que sur les 12 malades du groupe témoin qualifiés primitivement d'inopérables et finalement opérés, seul un est décédé des suites de l'intervention ce qui semble signifier que les critères de récusation utilisés dans cette étude étaient sans doute trop sévères.

Pour l'éditorialiste du Lancet, Jack Cronenwett, ces résultats apparemment surprenants, et l'absence de supériorité apparente de la REV, s'expliquent d'une façon simple : toute intervention préventive destinée à prolonger la survie est vouée à l'échec lorsque le sujet a, par ailleurs, une espérance de vie très limitée.

Pour tenter une synthèse, applicable à la totalité des patients présentant un AAA, Cronenwett nous propose un diagramme d'aide à la décision (voir ci-contre) dans lequel on trouve en abscisse les critères anatomiques d'éligibilité à la REV et en ordonnée le risque opératoire. Mais pour être totalement opérationnel, ce diagramme devrait probablement comporter une troisième dimension, l'espérance de vie, qui n'est pas toujours inversement corrélée au risque opératoire.

On le voit, face à un patient difficile, le sens clinique global a encore de beaux jours devant lui.

Dr Anastasia Roublev


1) EVAR trial participants : « Endovascular aneurysm repair in patients unfit for open repair of abdominal aortic aneurysm (EVAR trial 2) : randomised controlled trial. » Lancet 2005; publication avancée en ligne le 17 juin 2005.
2) Cronenwett J. : « Endovascular aneurysm repair : important mid-terms results. » Lancet 2005; publication avancée en ligne le 17 juin 2005.

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