S. Chevalier,
Clinique Saint-Pierre,
Ottignies (Belgique)
La fibrillation auriculaire est une cause fréquente
d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) emboliques particulièrement
dévastateurs.
C’est pourquoi, chez les patients ayant une fibrillation
auriculaire, l’introduction d’un traitement antithrombotique doit
être envisagée avec soin.
En Bref |
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La fibrillation auriculaire (FA) est l’arythmie la plus fréquente. Elle est associée à des AVC plus sévères et des accidents ischémiques plus prolongés que l’artériopathie carotidienne. Le risque d’AVC cardio-embolique est similaire en cas de FA chronique ou paroxystique. |
La fibrillation auriculaire
La fibrillation auriculaire (FA) est l’arythmie la plus fréquente. Sa prévalence augmente avec l’âge. Elle est favorisée par diverses affections cardiovasculaires, dont la valvulopathie mitrale, l’hypertension ou la maladie coronarienne. On parle de FA «idiopathique» ou lone atrial fibrillation en l’absence de toute cardiopathie et de tout facteur de risque chez un sujet jeune (<60 ans).
Complication thrombo-embolique
La FA est associée à des AVC plus sévères et des
accidents ischémiques transitoires plus prolongés que
l’artériopathie carotidienne, car les embols sont plus gros (1,2).
De plus, la FA est souvent associée à des AVC silencieux, (3-5)
dont l’incidence est évaluée à 1,3% par an (3).
Contrairement à ce que l’on pensait, le risque d’AVC est comparable
en cas de FA paroxystique ou chronique (6,7).
Les épisodes de FA paroxystique asymptomatique représentent jusque
90% des épisodes8 et plus de 10% d’entre eux (17%) durent plus de
48 heures (9).
Il est important de se rappeler que le traitement antiarythmique ne
protège pas du risque thrombo-embolique à long terme (10).
En bref |
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Chez la plupart des patients, on se base sur la présence de
facteurs de risque cliniques pour décider de la nécessité d’un
traitement anticoagulant ou d’un traitement par antigrégant
plaquettaire. L’évaluation du risque d’AVC peut être réalisée à
l’aide d’un modèle validé appelé score «CHADS2». Ce modèle est facilement maniable. Il s’agit du modèle de risque thrombo-embolique qui a la meilleure valeur prédictive. |
Risque thrombo-embolique (d’emblée) faible
En cas de FA «idiopathique», aucun traitement antithrombotique n’est recommandé, le risque d’AVC étant dans ce cas <1% par an. Au-delà de 45 ans, on peut conseiller l’aspirine aux patients en question.
Risque thrombo-embolique (d’emblée) élevé
À l’inverse, la présence d’une prothèse valvulaire impose une anticoagulation en visant un International Normalised Ratio (INR) toujours > 2,5. L’intensité de l’anticoagulation dépendra du type de prothèse et de sa position, aortique ou mitrale.*La présence d’une sténose mitrale impose une anticoagulation en visant un INR entre 2,0 et 3,0.
Calcul du risque thrombo-embolique
En dehors des catégories de patients cités plus haut, on se basera sur la présence de facteurs de risque cliniques pour décider de la nécessité d’un traitement anticoagulant ou d’un traitement antiagrégant plaquettaire. Plusieurs algorithmes ont vu le jour, mais le modèle le mieux validé, le plus pratique et le plus utilisé est connu sous le nom de score «CHADS2» (figure 1).
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Figure 1. |
Suivant ce modèle, environ un tiers des patients en FA sont à
faible risque d’AVC (< 2% par an) et peuvent être traités par
aspirine et donc éviter les inconvénients d’une anticoagulation au
long cours (11).
CHADS est un acronyme constitué par les initiales des 5 facteurs de
risque pris en compte : Congestive heart failure, Hypertension, Age
>= 75, Diabetes, Secondary prevention. La présence de chaque
facteur de risque ajoute 1 point au score du patient, sauf en cas
d’antécédent embolique qui en ajoute 2 :
– (Antécédent d’) insuffisance cardiaque 1 point
– (Antécédent d’) hypertension 1 point
– Âge >= 75 ans 1 point
– Diabète 1 point
– Prévention secondaire, c’est-à-dire un antécédent d’AVC, d’AIT ou
d’acccident embolique systémique 2 points
Quelques remarques complémentaires méritent d’être prises en
compte. Un antécédent de décompensation cardiaque suffit pour se
voir attribuer un point.
L’échocardiographie apporte des renseignements concernant le risque
thrombo-embolique : dilatation de l’oreillette gauche, stase
sanguine dans l’oreillette gauche, vélocité faible dans l’auricule
gauche, plaques athéromateuses complexes au niveau de l’aorte.
Cependant, seule une fraction d’éjection du ventricule gauche
inférieure à 35% constitue un facteur de risque indépendant.
Outre l’hypertension avérée, le risque thrombo-embolique est bien
corrélé avec la notion d’antécédent d’hypertension (12). Donc, tout
patient hypertendu ou même avec une histoire d’hypertension reçoit
un point au score.
Le
risque d’AVC est particulièrement élevé chez les patients en FA qui
ont déjà présenté un accident ischémique transitoire (AIT) ou un
AVC dans le passé. C’est pourquoi ils se voient attribuer d’emblée
un score de 2.
Facteurs de risque intermédiaire
L’hyperthyroïdie, l’âge entre 65 et 75 ans, le sexe féminin (surtout après 75 ans) et la maladie coronarienne sont également associés à un risque accru d’AVC (13).
En bref |
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Les patients ayant un score 0 au CHADS2 sont traités par
aspirine. Chez les patients ayant un score égal ou supérieur à 2,
on prescrit un anticoagulant. En présence d’un score intermédiaire, on a le choix entre les deux traitements. Les principaux facteurs de risque hémorragique liés au traitement anticoagulant sont un âge avancé (> 80 ans) et un taux d’INR > 3. Pour certains patients à risque, viser un INR cible à 2,0 au lieu de 2,5 représente un bon compromis. |
Recommandations
Sur la base des données de stratification de risque évoquées ci-dessus, l’American College of Cardiology, l’American Heart Association et la European Society of Cardiology ont formulé ensemble des recommandations de traitement antithrombotique chez le patient en FA (14).
Si
le score CHADS2 est égal à 0, le risque thrombo-embolique est
faible (<2% par an): la prise d’aspirine
(80-325 mg/jour) est recommandée. C’est surtout le groupe de
patients entre 65 et 75 ans qui bénéficie le plus de ce traitement
(15).
Si
le score CHADS2 est égal à 1, le risque thrombo-embolique est
modéré; il s’élève à 2,8% par an. Pour le traitement, on a le
choix. On peut soit donner de l’aspirine (80-325 mg/jour), soit
anticoaguler avec un INR entre 2 et 3.
À
partir d’un score CHADS2 égal à 2 ou plus, il existe un consensus
sur la nécessité d’introduire un traitement anticoagulant en visant
un INR compris entre 2 et 3.
Au plus élevé sera le score, au plus grand sera le bénéfice du traitement anticoagulant. Par exemple, le nombre de patients à traiter par warfarine pendant un an pour éviter un AVC ischémique ou hémorragique passe de 125 pour un score = 1, à 80 pour un score = 2 ou à 30 pour un score >2 (16).
Le risque hémorragique
Les principaux facteurs de risque hémorragique liés au
traitement anticoagulant sont un âge avancé (>80 ans) et un taux
d’INR > 3. On se méfiera particulièrement des interactions
médicamenteuses. Les autres facteurs de risque bien établis sont
une maladie cérébrovasculaire associée, la prise concomitante
d’aspirine, une hypertension non contrôlée (particulièrement une
tension systolique >160 mmHg) et l’abus d’alcool. Plusieurs
modèles de calcul du risque hémorragique existent, mais ils
apportent peu d’informations en plus de la connaissance des
facteurs de risque.
En cas de risque hémorragique majoré, on peut viser un INR à 2,0
(entre 1,6 et 2,5) au lieu de 2,5;14 on maintient ainsi une
protection satisfaisante contre les incidents thromboemboliques,
tout en minimisant le risque d’hémorragies.17,18
Actuellement, le risque hémorragique sous anticoagulant est passé
de 1,2% par an19 à 0,1-0,6% par an,19,20 probablement en
raison d’un meilleur contrôle de la pression artérielle et de l’INR
qu’auparavant.
En bref |
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Afin d’échapper aux contraintes du traitement par anticoagulants oraux, des alternatives ont été testées mais aucune n’est recommandée actuellement. Chez le patient coronarien en FA, on se limite à prescrire un traitement anticoagulant; en effet, l’ajout de l’aspirine donne lieu à un risque hémorragique élevé. |
Les alternatives antithrombotiques
Afin d’échapper aux contraintes du traitement par anticoagulants oraux, des alternatives ont été testées. Aucune n’est recommandée actuellement. L’association du clopidogrel et d’aspirine est nettement moins efficace que le traitement anticoagulant.21 Il en va de même de l’association de l’aspirine et de la warfarine à faible dose (INR < 1,5) (22,23).
L’oblitération de l’auricule gauche, par voie chirurgicale ou percutanée, n’a pas encore fait la preuve à long terme de son efficacité.
FA et maladie coronarienne
Les patients qui sont atteints à la fois d’une FA et d’une maladie coronarienne posent un problème particulier. En effet, alors que les anticoagulants oraux sont dans la plupart des cas le traitement préférentiel de la FA, les patients coronariens doivent être traités par aspirine. Or, l’association d’un anticoagulant oral correctement dosé et de l’aspirine donne lieu à un risque accru d’hémorragie, particulièrement après 75 ans.24 C’est pourquoi, chez le patient coronarien stable en FA, seul le traitement anticoagulant est recommandé, avec un INR entre 2 et 3.
Les patients en FA qui doivent absolument être traités par clopidogrel (après mise en place d’un stent coronaire par exemple) devront impérativement arrêter l’aspirine et seront traités par clopidogrel + anticoagulant, avec un INR entre 2 et 3. Le clopidogrel sera arrêté dès que possible.
Les nouveaux anticoagulants oraux
De nouveaux anticoagulants oraux sont à l’étude. Aucun n’est actuellement commercialisé en Europe. Le ximégalatran, un inhibiteur direct de la thrombine, a été retiré du marché en 2006 en raison d’un risque d’hépatotoxicité.
Conclusion
Tous les patients en FA doivent être pris en charge par un traitement antithrombotique, à deux exceptions près: en cas de FA idiopathique et en cas de contre-indication au traitement. Les patients à risque élevé sont traités par anticoagulant en visant un INR entre 2 et 3, les patients à faible risque par faibles doses d’aspirine. Pour les patients à risque intermédiaire, aucune recommandation ferme n’est donnée.
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