E.Mahé,
Hôpital Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt.
La prise en charge de la dermatite atopique en France a été modifiée par deux événements marquants : la mise à disposition du tacrolimus en pommade comme alternative à la corticothérapie locale pour le traitement des poussées, et l’organisation d’une conférence de consensus sur sa prise en charge dans la population pédiatrique.
La conférence de consensus sur la prise en charge de la dermatite atopique (DA) a été réalisée sous l’égide de la Société française de dermatologie en collaboration avec de nombreuses sociétés savantes de pédiatrie, de médecine générale, d’allergologie et d’immunologie. Élaborée sur les bases méthodologiques rigoureuses recommandées par l’ANAES, elle a permis de préciser la place des différentes thérapeutiques et autres « habitudes » non validées dans la prise en charge de la DA.
Rappels sur la DA
La DA (synonymes à éviter : eczéma constitutionnel, eczéma du nourrisson) est une dermatose inflammatoire chronique et récurrente se développant volontiers durant les premiers mois de la vie et ayant tendance à régresser, voire à disparaître, au fil des ans.
Une prévalence en augmentation
Sa prévalence est mal connue, notamment en France où de rares
études épidémiologiques sont disponibles, mais est évaluée dans les
pays occidentaux entre 10 et 30 % des enfants.
Dans ces mêmes pays, la prévalence est en nette augmentation depuis
quelques décennies, et cela est d’autant plus vrai que les enfants
vivent dans les villes.
Aspects cliniques
La présentation clinique est le plus souvent stéréotypée chez le
petit enfant. Les lésions eczématiformes prurigineuses se
développent après 2-3 mois de vie, initialement sur les convexités
puis, au fil des mois, sur les plis de flexion. Le diagnostic
clinique est le plus souvent évident, « intuitif ». Si des critères
diagnostiques ont été proposés, principalement ceux de Hanifin et
Rajkin en 1980 et ceux de UK Working Party’s for diagnostic
criteria for AD en 1994, ils sont à réserver aux études
épidémiologiques et thérapeutiques afin de standardiser les
critères d’inclusion des patients.
Le pronostic de cette dermatose est le plus souvent excellent, si
elle est bien prise en charge. Les principales complications sont
les infections impétiginisation [figure 1], surinfections virales),
un retentissement parfois important sur la qualité de vie et un
retard staturopondéral dans les formes les plus sévères.
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Figure 1. |
Principes de la prise en charge : un traitement d’attaque et un traitement d’entretien
La prise en charge de la DA est aujourd’hui bien codifiée et rares sont les enfants qui ne répondent pas aux mesures thérapeutiques disponibles. Le principe du traitement de la DA repose sur le traitement des poussées, purement symptomatique, qui va faire disparaître les plaques prurigineuses, et le traitement d’entretien qui a pour objectif de prévenir le risque de rechute. Avant l’âge de 2 ans, le traitement des poussées s’appuie sur les dermocorticoïdes (DC) et, après 2 ans, sur les DC et le tacrolimus local (Protopic®). Le traitement d’entretien devra être expliqué lors de consultations (souvent longues au début) et repose sur trois éléments :
– règles hygièno-diététiques ;
– hydratation cutanée ;
– traitement précoce des nouvelles lésions.
Rares sont les enfants qui ne répondent pas aux mesures thérapeutiques disponibles.
Les dermo-corticoïdes
Un traitement de référence des poussées de DA
Il faut faire disparaître les vieilles idées corticophobes, comme quoi les DC sont dangereux pour l’enfant de 2-3 mois. Bien prescrits, ils sont non seulement bien supportés, mais surtout extrêmement bénéfiques pour l’enfant.
Modalités de prescription
Il est indispensable de respecter des règles simples de prescription précisées dans le tableau 1. Le dermocorticoïde doit être adapté en termes de puissance (en général, niveau faible, III, chez l’enfant) et de galénique (crème le plus souvent) à la peau du nourrisson.
Les principes de prescription sont simples : application
quotidienne jusqu’à disparition des lésions. Le plus souvent, 3 à 7
jours d’utilisation suffisent.
Le seul paramètre non validé aujourd’hui est le mode d’arrêt du
traitement. Les adeptes de la décroissance progressive des DC
s’opposent à ceux de l’arrêt brutal. La première méthode repose sur
l’idée du risque de rebond à l’arrêt. La seconde méthode se
justifie par :
– le fait que la plaque va diminuer progressivement de taille, et
donc, finalement, la maman va réduire spontanément la quantité
appliquée ;
– en outre, faire une décroissance le plus souvent complexe va
induire un défaut d’observance majeur.
La vérité se situe probablement entre ces deux conduites : une
poussée sévère, très inflammatoire incitera à diminuer avec
prudence la corticothérapie locale, alors qu’une petite plaque,
traitée très précocement conduira à 2 ou 3 applications de DC pour
la contrôler et ne justifiera pas de décroissance progressive.
Le tacrolimus pommade
Le tacrolimus est un immunosuppresseur de la famille des inhibiteurs de la calcineurine, comme la ciclosporine. Par voie générale (Prograf®), il est utilisé principalement en prévention du rejet de greffe d’organe ; en traitement local (Protopic®), il a démontré son efficacité dans la dermatite atopique de l’enfant (Protopic® à 0,03 %) et de l’adulte (Protopic® à 0,1 %).
Une prescription bien encadrée
Dans les différentes études, l’efficacité du tacrolimus a été démontrée comme équivalente à celle d’un DC. Disponible en France que depuis le printemps 2004, sa prescription est actuellement réservée aux dermatologues et aux pédiatres et doit être rédigée sur une ordonnance pour médicament d’exception. Il est réservé aux DA résistantes aux dermocorticoïdes.
Le tacrolimus pommade est réservé aux DA résistantes aux dermocorticoïdes.
Modalités pratiques
Le produit peut être appliqué sur toutes les zones du corps, notamment les plis et le visage où l’application prolongée de DC doit être souvent évitée. Initialement en application biquotidienne, il sera appliqué une seule fois par jour après amélioration franche des lésions de DA et jusqu’à leur disparition complète. Son principal effet secondaire est une irritation cutanée (cuisson, prurit) lors des premières applications. Il faudra prévenir les parents de ce risque. L’application en alternance avec un DC pris en début de traitement (1 le matin, 1 le soir), bien que non validée, pourrait réduire cette irritation.
Effets indésirables
Récemment, des cas ponctuels d’infections virales sévères ou étendues de type herpès, molluscum contagiosum ou verrues (figure 2) ont été rapportés. Ces cas restent isolés, mais imposent d’être vigilant. Ce produit est contre-indiqué en cas d’infection patente.
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Figure 2. |
Le principal effet secondaire redouté par cet immunosuppresseur est
l’hypothétique risque carcinogène au long terme, phénomène rapporté
avec sa forme orale. Cette crainte a incité la FDA, au nom du
principe de précaution, à diffuser un message d’alerte aux dépens
de ce produit. Néanmoins, en 2006, aucune étude in vitro et in vivo
(à l’exception d’une étude de cocarcinogénicité sur la souris nude)
ne permet de conclure à un risque accru de cancers cutanés chez ces
patients. Il est cependant recommandé d’éviter l’exposition
concomitante aux UV.
Il est recommandé d’éviter l’exposition concomitante aux UV.
Place du pimecrolimus
Un autre inhibiteur des calcineurines, le pimecrolimus est disponible dans de nombreux pays mais pas actuellement en France. Sa place par rapport au tacrolimus reste à préciser.
Les DA sévères et résistantes
Il est difficile de définir ce qu’est une DA sévère ou
résistante aux traitements locaux ; un certain nombre de questions
se posent : Quelle est la quantité seuil de DC ou de tacrolimus
mensuelle définissant la résistance ? Quel est l’impact sur la
qualité de vie de l’enfant et de sa famille justifiant une prise en
charge plus lourde ?… Si un cas semble vraiment résister aux
traitements locaux ou rend la vie impossible à l’enfant, une prise
en charge hospitalière en dermatologie pédiatrique paraît
justifiée, et cela pour au moins deux raisons :
– bien souvent, une hospitalisation courte permet de relativiser la
résistance au traitement. En effet, l’hospitalisation permet de
quantifier la quantité réelle de DC nécessaire pour contrôler une
DA, elle permet d’éduquer la famille, et autorise une prise en
charge multidisciplinaire (psychologue, pédiatre, allergologue)
;
– en cas de réelle résistance, l’intérêt d’un traitement
systémique, ciclosporine et photothérapie principalement, sera
discuté.
Le traitement d’entretien
Le traitement d’entretien de la DA doit être bien expliqué aux
parents, avec de fréquentes « réinjections ». L’objectif, là aussi
explicité aux parents, est de réduire le nombre de poussées et de
limiter la consommation de DC ou de tacrolimus. Il repose sur trois
principes :
– le traitement précoce des nouvelles poussées, ce qui permettra de
réduire la quantité de DC ou de tacrolimus nécessaire au contrôle
des poussées ;
– l’utilisation quotidienne d’un émollient qui réduit le risque de
rechutes ;
– le respect de quelques règles hygiéno-diététiques simples
détaillées dans le tableau 2.
Le suivi de ces mesures devra évidemment être pondéré par la
sévérité de la DA et sera d’autant plus strict que la DA est
sévère.
La modification du régime alimentaire tel le recours aux laits
hypo-allergéniques, voire au lait au soja chez le nourrisson n’est
pas justifiée en l’absence de documentation allergologique. D’autre
part, si un tel régime est prescrit, seul son efficacité documentée
dans un délai de 1 mois, justifiera sa poursuite. Quant à la
diversification, il est recommandé de ne pas se précipiter…
Où en est-on des probiotiques ?
Le principe de l’utilisation de probiotiques (ex : Lactobacillus rhamnosus) repose sur le concept de la « théorie hygiéniste ». L’idée est qu’il existe une relation inverse entre l’exposition aux microbes et le risque de développer une DA. Actuellement, aucune donnée ne permet d’affirmer que ces probiotiques permettent de prévenir la survenue d’une DA ou de traiter une poussée de DA. De tels produits ont récemment été développés et commercialisés. L’aspect marketing a prévalu sur les considérations scientifiques. Il faut relativiser actuellement cet effet bénéfique potentiel et attendre les résultats de nouvelles études thérapeutiques rigoureuses pour conseiller de façon systématique ces produits.
Conclusion
La prise en charge de la DA bouge depuis quelques années : arrivée des inhibiteurs de calcineurines, discussion autour des probiotiques avec des études de plus en plus rigoureuses. Néanmoins, les principes de base tels que les mesures préventives et le traitement de la phase aiguë par les DC restent d’actualité. Nous pouvons penser que dans les années à venir ces principes vont se modifier avec l’extension des indications des inhibiteurs des calcineurines, l’hypothétique utilisation des probiotiques, mais aussi par la meilleure évaluation de certaines pratiques telles que les régimes d’éviction.
Pour en savoir plus
• Mahé E. Dermatite atopique : épidémiologie en France,
définitions, histoire naturelle, association aux autres
manifestations atopiques, scores de gravité, qualité de vie. Ann
Derm Venereol 2005 ; 132 : 1S131-50.
• Nicolie B. Quel est le traitement des poussées de dermatite
atopique de l’enfant. Ann Derm Venereol 2005 ; 132 :
1S193-224.
• Pham Thi N, de Blic J. Allergie alimentaire, environnement,
prévention primaire et secondaire de la dermatite atopique.
Ann Derm Venereol 2005 ; 132 : 1S228-42.
• Prise en charge de la dermatite atopique. Texte des
recommandations. Ann Derm Venereol 2005 ; 132 : 1S35-43.