Dans l’histoire de la médecine, la mise au point d’anticoagulants a toujours été le résultat d’un long cheminement.
Ainsi l’héparine, découverte en 1914 par Jay McLean au cours de travaux sur le foie du chien, n’a été utilisée en clinique humaine pour ses propriétés antithrombotiques qu’à partir des années 40. De même, alors que le dicoumarol était extrait au début des années 30, par Karl Paul Link, à partir de trèfle flétri ayant entraîné une épidémie d’hémorragies chez le bétail qui en consommait, ce n’est que dans les années 50 que les antivitamines K furent prescrites en clinique humaine. Bien plus, si l’hirudine a été isolée en 1903, elle n’est à la disposition des praticiens que depuis quelques années, grâce au génie génétique (1).
Héparines et antivitamines K, ont donc été découverts un peu par hasard, et leurs modes d’action complexes, avec plusieurs points d’impact sur la cascade de la coagulation mis à jour bien après leur isolement, au fur et à mesure que celle-ci livrait ses secrets.
Les limites des anticoagulants actuels
Au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle, ces deux familles de médicaments ont rendu d’immenses services, mais leurs limites sont rapidement apparues. L’héparine, malgré le progrès conféré par la mise au point des héparines de bas poids moléculaires (HBPM) reste un produit qui n’est actif que par voie parentérale et dont le rapport bénéfice risque est étroit. Les antivitamines K quant à elles, sont handicapées par leur long délai d’action, leur fenêtre thérapeutique étroite, la grande variabilité inter et intra-individuelle de leur activité, les interférences avec l’alimentation et de nombreux médicaments et la nécessité de contrôles biologiques réguliers de l’INR.
Pour tous ces motifs, et grâce à l’accumulation de connaissances
sur les mécanismes de la coagulation et aux progrès de la chimie de
synthèse, depuis une trentaine d’années, de nombreux laboratoires
pharmaceutiques se sont lancés dans la recherche de nouveaux
anticoagulants. Mais malgré l’ampleur des moyens mis en œuvre, peu
de molécules ont été commercialisées récemment. Ceci est dû en
partie au renforcement considérable, ces dernières décennies, des
exigences des autorités délivrant les autorisations de mise sur le
marché (AMM).
En pratique, seuls de nouveaux produits actifs par voie parentérale
sont actuellement disponibles, qu’il s’agisse d’hirudine
recombinante (inhibiteur indirect de la thrombine (IIa) ou
d’inhibiteurs indirects du facteur Xa comme le
fondaparinux.
De fait les médicaments les plus attendus des cliniciens sont ceux qui seront actifs per os et seront susceptibles de se substituer à la fois aux HBPM et aux antivitamines K.
Vers l’anticoagulant idéal ou la quête du Graal
L’objectif théorique à atteindre a été dessiné par plusieurs auteurs (2). En dehors de toute considération économique, l’anticoagulant idéal devrait se rapprocher le plus possible des caractéristiques suivantes :
1) Etre actif per os avec un délai d’action bref n’imposant
pas de débuter le traitement, comme aujourd’hui, avec une héparine
;
2) Avoir, contrairement aux antivitamines K, une fenêtre
thérapeutique large et ne pas nécessiter de surveillance biologique
;
3) Etre au moins aussi efficace que les HBPM, avec un risque
hémorragique équivalent ou moindre ;
4) Avoir à l’inverse des AVK, la pharmacocinétique la plus
indépendante possible de l’alimentation et des autres médicaments
;
5) Avoir un antidote disponible en cas de surdosage ou
d’accident hémorragique.
Plusieurs pistes sont (ou ont été) explorées pour répondre à ces exigences avec deux points d’impact privilégiés dans la cascade de la coagulation, le facteur IIa pour une molécule en phase III, le dabigatran, et surtout le facteur Xa (ou facteur Stuart) pour plusieurs inhibiteurs directs en phase II ou III de développement. Les plus avancés sont le DU-176b (Daiichi), l’apixaban (BMS) et le rivaroxaban (Bayer Schering Pharma).
RECORD 3 : une supériorité du rivaroxaban sur l’énoxaparine en orthopédie
Le rivaroxaban a été dernièrement à la une de l’actualité à la
suite de la présentation des résultats de l’étude RECORD 3, lors du
21ème Congrès de la Société Internationale sur la Thrombose et
l’Hémostase (ISTH) (3).
Le rivaroxaban est un dérivé de l’oxazilidinone qui inhibe de façon
réversible et compétitive le facteur Xa libre et le facteur
Xa complexé au sein de la prothrombinase. Bien absorbé par voie
orale, les pics plasmatiques sont atteints en 3 heures et sa
demi-vie est d’environ 9 heures. Il est éliminé à 65 % environ par
le rein et à 35 % par le foie, contrairement au dabigatran dont
l’élimination est exclusivement rénale. Sa fenêtre thérapeutique
est large, 4,5 à 12 fois la dose la plus faible. Il interagit de
façon minime avec les aliments et n’est susceptible de poser de
problèmes d’interférences médicamenteuses qu’avec les inhibiteurs
forts du CYP3A4 (kétoconazole, macrolides…) (4). Plus de 15 000
patients ont été enrôlés dans les essais de phase II consacrés à
cette molécule.
L’étude RECORD 3 (pour REgulation of Coagulation in major
Orthopaedic surgery reducing the Risk of DVT and PE), présentée à
Genève lors du Congrès de l’ISTH, fait partie d’un programme
d’essais en double aveugle de phase III destinés à comparer, dans
des indications préventives orthopédiques, le rivaroxaban au
traitement de référence actuel, l’énoxaparine. 2 531 patients
devant bénéficier de la pose d’une prothèse totale de genou ont été
randomisés entre un traitement préventif par 10 mg de rivaroxaban
une fois par jour, débuté 6 à 8 heures après l’intervention, et une
prophylaxie des thromboses veineuses profondes par 40 mg
d’énoxaparine par jour débutée la veille au soir de l’intervention.
Ces traitements ont été prescrits durant 10 à 14 jours.
En terme d’efficacité le rivaroxaban s’est révélé supérieur au
traitement de référence avec une diminution de 49 % du critère de
jugement principal de l’étude, un indice composite regroupant
thrombose veineuse profonde (TVP), embolie pulmonaire (EP) fatale
ou non et décès de toute cause : 9,6 % sous rivaroxaban contre 18,9
% sous ènoxaparine (p<0,001). Sur les accidents veineux
thrombo-emboliques graves (TVP proximale, EP non fatale et
mortalité liée à ces accidents), la supériorité du rivaroxaban a
été encore plus marquée avec une réduction du risque de 62 % par
rapport à l’énoxaparine (1 % d’événements majeurs contre 2,6 % sous
prophylaxie de référence ; p=0,01).
Enfin en terme de sécurité, les deux traitements ont été
équivalents avec 0,6 % d’accidents hémorragiques majeurs dans le
groupe rivaroxaban contre 0,5 % dans le groupe énoxaparine (NS) et
4,9 % d’événements hémorragiques de toute gravité confondue sous
rivaroxaban contre 4,8 % sous énoxaparine (NS).
Si ces résultats sont confirmés les études RECORD 1 et 2, qui
concernent notamment des patients ayant bénéficié de la pose d’une
prothèse totale de hanche, dont les conclusions seront dévoilés
prochainement, le rivaroxaban pourrait obtenir rapidement son AMM
dans la prévention des TVP en chirurgie orthopédique.
D’autres études, concernant en particulier des indications
cardiologiques, comme l’arythmie complète par fibrillation
auriculaire sont actuellement en cours avec cette molécule et leurs
résultats devraient être connus dans les prochains mois ou
années.
Dr Laurence Terrasse