Chez les patients atteints de rectocolite hémorragique, la
probabilité de survenue d’un cancer colorectal est augmentée. Bien
que certains facteurs de risque vers une évolution néoplasique
aient été identifiés, la connaissance d’autres facteurs pourrait
faciliter le suivi de ces malades.
Dans cette optique, Gupta et coll. ont évalué la valeur prédictive
de l’intensité de l’inflammation sur les biopsies coliques.
Le risque de cancer colorectal est augmenté chez les patients
présentant une rectocolite hémorragique (RCH). Il est évalué à 2 %,
8 % et 18 % après respectivement 10, 20 et 30 ans d’évolution(1).
Les facteurs de risque reconnus sont la durée d’évolution de la RCH
(> 7 à 8 ans), l’atteinte colique étendue, une cholangite
sclérosante primitive associée et, dans certaines études, l’âge
jeune lors du diagnostic (2). Une surveillance par coloscopie avec
réalisation de multiples biopsies étagées est ainsi préconisée dans
le but de diminuer la morbidité et la mortalité associées au cancer
colorectal. En présence de dysplasie de haut grade, il est proposé
aux patients une coloproctectomie (3). En présence de dysplasie de
bas grade, la conduite à tenir est moins consensuelle : il peut
être proposé une nouvelle coloscopie avec des biopsies à 6 mois ou
une coloproctectomie (3).
La surveillance de ces malades présente cependant certaines limites
: nécessité d’une excellente compliance, examen invasif, coût
élevé, biais liés à l’échantillonnage des biopsies, mauvaise
concordance interobservateurs pour le diagnostic de
dysplasie.
L’identification de nouveaux facteurs de risque de progression vers
le cancer permettrait d’améliorer l’efficacité de la
surveillance.
En 2004, une étude cas/témoin a suggéré que l’inflammation sur les
biopsies coliques était associée à un risque accru de cancer
colorectal (4).
Par une méthodologie différente analysant les biopsies faites dans
des conditions réelles de surveillance à une cohorte de patients
atteints de RCH, Gupta et coll.(5) ont évalué ce risque. Les
résultats de cette étude sont rapportés dans le numéro d’octobre
2007 de Gastroenterology.
Patients et méthodes
Critères d’inclusion
À partir des données du service d’anatomopathologie de l’hôpital Mont-Sinaï de New York, tous les malades ayant eu au moins une coloscopie avec des biopsies entre janvier 1996 et décembre 1997 ont été identifiés.
Les critères d’inclusion dans cette étude étaient :
– au moins une coloscopie entre janvier 1996 et décembre 1997
;
– une RCH diagnostiquée sur des critères cliniques, endoscopiques
ou d’imagerie, évoluant depuis au moins 7 ans ;
– l’absence de dysplasie avant et lors de cette première coloscopie
;
– au moins un examen de surveillance (biopsies lors d’une nouvelle
coloscopie ou analyse histologique de pièce opératoire) lors du
suivi.
Les patients qui avaient déjà eu une résection colique ou qui avaient une maladie de Crohn ou une colite indéterminée étaient exclus.
Score histologique
L’inflammation était évaluée sur chaque fragment biopsique. Sa sévérité était classée selon un index d’activité validé par un des auteurs à l’hôpital Mont-Sinaï de New York en 1988 (tableau 1 - figure 1). Une bonne concordance intra- et interobservateurs de cet index a été démontrée. Lorsque plusieurs biopsies étaient faites au même endroit, l’index le plus élevé était retenu. Pour une coloscopie donnée, le score d’inflammation (IS) était la somme de l’index d’activité de tous les sites, divisée par le nombre de sites.
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Figure 1. Index d’activité histologique. (en haut à gauche) A. score = 0 ; (En haut à droite) B. score = 1 ; ( En bas à gauche) C. score = 2 ; ( En haut à droite) D. score = 3. |
Tableau 1. Index d’activité histologique. |
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Trois scores d’inflammation étaient étudiés :
l’IS-moyen : variable continue correspondant à
la moyenne des scores de toutes les coloscopies effectuées chez un
même patient ;
l’IS-maximal : variable continue correspondant
au score le plus élevé observé pour un patient pendant le suivi
;
l’IS-binaire : variable binaire définie à 0 si
l’IS-moyen d’un patient n’a pas changé au cours du suivi et à 1 si
l’IS-moyen a augmenté d’au moins 1 point entre 2 coloscopies au
cours du suivi.
Critères d’évaluation
Au cours du suivi, l’apparition de lésions dysplasiques était le critère principal d’évaluation. La dysplasie était définie comme absente, indéterminée, de bas grade ou de haut grade. Deux stades de lésions dysplasiques étaient définis :
des lésions au moins en dysplasie de haut grade
(DHG ; advanced neoplasia) ;
des
lésions au moins en dysplasie de bas grade (DBG ; any
neoplasia).
Les patients étaient suivis à partir de la coloscopie initiale jusqu’à, soit l’apparition de dysplasie, soit la réalisation d’une colectomie, soit la dernière coloscopie effectuée (en l’absence de dysplasie mise en évidence).
Résultats
Caractéristiques des patients
Sur les 543 patients suivis pour une RCH et ayant eu une coloscopie entre 1996 et 1997, 125 étaient exclus du fait de la présence de lésions dysplasiques à la coloscopie initiale ou d’antécédents de chirurgie colique. Finalement, 418 patients étaient étudiés. Les caractéristiques principales de ces patients sont présentées dans le tableau 2. Les patients étaient suivis en moyenne depuis 7 ans, et avaient eu 5 coloscopies, à un peu moins d’un an d’intervalle. Plus de 90 % des patients étaient sous dérivés salicylés et plus de la moitié sous corticoïdes.
Tableau 2. |
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Apparition de lésions dysplasiques lors du suivi
Lors du suivi, il est apparu des lésions au moins en DBG chez 65 patients (any neoplasia : 15 %) et des lésions au moins en DHG chez 15 patients (advanced neoplasia : 3,6 %) (figure 2).
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Figure 2. |
Facteurs prédictifs de dégénérescence
Sur le total des 2 255 coloscopies réalisées, le score
d’inflammation était le plus souvent de 0 ou de 1. Un score ≥ 2
était noté pour 83 examens.
En analyse univariée, une association significative était mise en
évidence entre l’IS et l’apparition de lésions au moins en DHG
(tableau 3).
Tableau 3. Analyse univariée des facteurs prédictifs de dégénérescence chez les 418 patients étudiés ayant une RCH.Risque relatif (intervalle de confiance 95 %) |
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Considérant l’IS-moyen, le risque de cancer était multiplié par
3. Aucune des autres variables (étendue de la maladie, âge lors du
diagnostic, cholangite sclérosante associée, durée d’évolution de
la maladie, traitement par dérivés salicylés) n’était
significativement associée au risque de dégénérescence. Seul le
fait d’être soumis à une surveillance par coloscopie au moins
annuelle était associée à la détection de cancer.
L’analyse multivariée confirmait que le score d’inflammation et la
surveillance par coloscopies étaient associés, de façon
indépendante, à la survenue d’un cancer, avec un risque relatif de
3,8 et 5,4 respectivement.
Aucun facteur n’était prédictif, de façon significative, de
l’apparition de lésions au moins en DBG.
Commentaires
Plusieurs études dans la littérature ont évalué les facteurs
prédictifs et les facteurs protecteurs de cancer colorectal chez
les patients atteints de RCH(1). La surveillance par coloscopie, le
tabac, les traitements anti-inflammatoires (dérivés salicylés,
corticoïdes ou AINS) sont des facteurs protecteurs. En revanche,
sont prédictifs de dégénérescence : l’étendue de la maladie, la
durée d’évolution, l’âge, la cholangite sclérosante primitive
associée et un antécédent familial de cancer colorectal au 1er
degré.
La significativité de chacun de ces facteurs est variable selon les
études du fait des différences méthodologiques (nombre de patients,
durée du suivi, études cas/témoin).
Peu d’études ont évalué la corrélation entre la sévérité de
l’inflammation colique chez des patients ayant une RCH et le risque
d’apparition de lésions cancéreuses. Deux études ont montré qu’il
n’existait pas d’association significative entre la survenue de
poussées cliniques de la maladie et le risque de cancer (1, 6). En
2004, Rutter et coll. (4) ont, les premiers, suggéré une relation
entre l’inflammation et la progression vers des lésions
cancéreuses, dans une étude cas/témoin ayant inclus 68 patients.
L’interprétation des résultats de cette étude doit cependant être
prudente pour plusieurs raisons : la méthodologie cas/témoin, la
mesure d’un seul score d’inflammation chez les patients (ne prenant
donc pas en compte les modifications du score au cours du temps) et
l’utilisation d’un score pour lequel la concordance
interobservateurs n’est pas validée. En 2006, Velayos et coll. (2)
ont montré que les pseudo polypes, témoins de l’inflammation et de
la régénération épithéliale, étaient associés à un risque augmenté
de cancer colorectal.
Gupta et coll.(5) ont tenté d’éviter les biais de l’étude de
Rutter, en menant une étude de cohorte, en utilisant un score
d’inflammation dont la reproductibilité a été validée, en
présentant ce score sous 3 formes (score moyen, maximal et sous
forme binaire), et en tenant compte de ses éventuelles
modifications au cours du temps (IS-binaire). Le critère principal
d’évaluation était l’apparition de lésions dysplasiques. Celles-ci
étaient classées en deux catégories : soit des lésions au moins en
dysplasie de bas grade, soit des lésions au moins en dysplasie de
haut grade. Le choix de ce deuxième groupe de lésions semble
légitime, puisqu’il existe dans ce cas une indication de colectomie
(3).
Concernant le 1er groupe, la stratégie thérapeutique n’est pas
aussi consensuelle, certains recommandant la colectomie en cas de
lésions en DBG planes ou non résécables(3). Il est à noter que,
dans cette étude, les lésions dysplasiques situées en amont de
l’atteinte colique par la RCH n’étaient pas analysées, puisque la
conduite à tenir face à ces lésions est identique à celle à adopter
en cas d’adénomes
sporadiques.
Cette étude a permis de mettre en évidence une association
significative entre le degré d’inflammation colique et la survenue
de lésions cancéreuses (DHG ou carcinome invasif). Bien que
n’atteignant pas la significativité, une même tendance a été
observée quant à la survenue de lésions au moins en DBG. Le score
d’inflammation utilisé était un score simple tenant compte de
l’infiltration de l’épithélium par les polynucléaires neutrophiles.
Il témoigne bien de l’activité de la maladie, et non pas de sa
chronicité. Quelle que soit la façon d’exprimer ce score
d’inflammation (IS-moyen, IS-binaire et IS-maximal), la relation
entre le score et l’apparition de lésions cancéreuses était
significative. Cette étude n’a pas permis de déterminer lequel de
ces 3 scores était le plus pertinent pour évaluer le risque de
cancer. Ce travail apporte ainsi la preuve du rôle déterminant de
l’inflammation dans la carcinogenèse, même si le développement de
cancer colorectal en cas de MICI est vraisemblablement
multifactoriel.
Une des limites de cette étude est son caractère rétrospectif, mais
une étude prospective serait extrêmement difficile à mener du fait
de la durée du suivi nécessaire pour voir apparaître des lésions
dysplasiques. Une autre limite vient de l’échantillonnage des
biopsies : l’inflammation peut en effet être localisée et les
biopsies peuvent avoir été faites à distance des sites où elle est
maximale.
La multiplicité des biopsies et des coloscopies (médiane de 0,8
coloscopie par patient et par an) et le calcul d’un score
d’inflammation moyen avaient pour but de limiter ce biais. Enfin,
les auteurs ne précisent pas la symptomatologie clinique lors de la
réalisation des coloscopies, ni la présence d’éventuelles lésions à
l’endoscopie, et notamment de dysplasia associated lesion or mass
(DALM).
En conclusion, cette étude montre que le degré d’inflammation colique, mesuré de façon simple et reproductible par le compte des polynucléaires neutrophiles dans l’épithélium, est corrélé au risque de survenue de lésions cancéreuses chez les patients ayant une RCH. Les conséquences en termes de modification de la surveillance ou d’indication de colectomie chez ces patients sont à évaluer.
F.Maire, Hôpital Beaujoun, Clichy.