Y. LEROSEY,
Evreux
La surdité néonatale est une pathologie fréquente pour laquelle la prise en charge précoce permet la transformation du pronostic. Cette prise en charge précoce n’est possible qu’en cas de dépistage systématique en maternité. Ce dépistage est réalisé à l’aide de tests automatisés, rapides, fiables et indolores. Seuls quelques départements le réalisent actuellement, mais il devrait être généralisé en France, dans les prochaines années.
La surdité néonatale
La surdité néonatale présente une prévalence de 1 à 3/1 000 naissances. Elle est plus élevée que la prévalence des autres pathologies infantiles dépistées en France (hypothyroïdie 25/100 000, phénylcétonurie 7/100 000, mucoviscidose 50/100 000). Cependant, il n’y a pas de dépistage auditif néonatal universel en France. Quelques départements ont toutefois pris l’initiative de le réaliser. La surdité pourrait cependant justifier un dépistage néonatal universel selon les critères de l'Organisation mondiale de la santé.
• Elle empêche l'acquisition du langage (surdimutité), a un
retentissement sur le développement cognitif, l'apprentissage
scolaire et l’intégration sociale.
Elle présente un stade latent, reconnaissable. C'est durant cette
phase de latence que se met en place l'acquisition normale du
langage. Par la suite, la plasticité cérébrale et les capacités
d'apprentissage diminuent. La perception auditive durant les 6
premiers mois de vie permet le développement ultérieur du
langage.
L’appareillage précoce est donc essentiel. Mais l'âge moyen de
diagnostic d'une surdité profonde ou sévère, en l'absence de
dépistage systématique, est respectivement de 16 et 23 mois, alors
qu’il n’est que de 3 mois en cas de dépistage généralisé.
La perception auditive durant les 6 premiers mois de vie permet le développement ultérieur du langage.
• Elle présente un traitement efficace : la rééducation précoce, la
prise en charge orthophonique, les prothèses auditives, les
implants cochléaires.
Le dépistage auditif néonatal diminue l'âge moyen d'appareillage :
entre 18 et 24 mois en l’absence de dépistage, contre 3 à 6 mois en
cas de dépistage généralisé. La supériorité d'une prise en charge
précoce avant l'âge de 6 mois comparativement à une prise en charge
plus tardive, a été démontrée. Ainsi, un dépistage précoce permet
un diagnostic, et une prise en charge précoce plus efficace (une
prise en charge très précoce, autour de 6 mois, permet de
supprimer ou de diminuer de manière très importante le handicap du
langage chez 70 % des enfants).
Les tests de dépistage
Les tests de dépistage auditif systématiques conseillés les plus
souvent réalisés sont les otoémissions acoustiques provoquées et
les potentiels évoqués auditifs automatisés.
Tous deux dépistent les surdités supérieures à 35 dB.
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Les deux appareils pour OEAP et peaa. |
Les otoémissions acoustiques provoquées (OEAP)
Les OEAP sont des sons générés par les cellules ciliées externes de l’organe de Corti en réponse à des stimulations sonores (clics).
Principe
Les OEAP testent l’oreille moyenne et l’oreille interne. Une
sonde composée d’un émetteur (du clic) et d’un microphone
(récepteur) est placée dans le conduit auditif externe. Le clic va
être entendu par les cellules ciliées de l’oreille interne (si
elles sont fonctionnelles).
Ces cellules vont alors se contracter, cette contraction génère un
bruit (otoémissions) qui est capté et amplifié par le récepteur.
Les mesures peuvent être perturbées par la présence de débris dans
le conduit auditif externe. La majorité des auteurs proposent la
réalisation des OEAP après le 2e jour de vie, afin de diminuer le
nombre de faux positifs liés à la présence de résidus liquidiens
dans le conduit auditif externe. La présence des OEAP chez le
nouveau-né testé à J0 est inférieure à 70 %, elle atteint 70 % à
J1, 80 % à J2, et est supérieure à 90 % à J3.
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Test par otoémissions |
Les potentiels évoqués auditifs automatisés (PEAA)
Les PEAA mesurent les courbes électroencéphalographiques de l’audition.
Principe
Ils testent l’oreille moyenne, l’oreille interne et le nerf
auditif.
Trois électrodes sont placées sur le scalp et recueillent les
stimuli auditifs (clics) générés par des écouteurs posés sur les
oreilles de l’enfant.
Ces deux tests sont indolores, rapides (10 minutes pour les
OEAP, et 15 minutes pour les PEAA).
Ils sont d’une grande fiabilité (plus de 98 % pour les OEAP, et
près de 100 % pour les PEAA). Le coût des appareils est élevé
(entre 8 000 et 13 000 ?), le coût du matériel consommable est très
faible pour les OEAP (moins de 1 ?/enfant), plus important pour les
PEAA (7 ?/ enfant).
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Test par potentiels évoqués |
Historique
Le dépistage de la surdité néonatale est de plus en plus réalisé
dans les pays européens et nord-américains. En France, seuls les
dépar-tements de l’Indre-et-Loire, de l’Eure et l’ensemble des
départements de la région Champagne-Ardenne ont mis en place un
dépistage systématique. En 1999, l'Anaes (Agence nationale
d'accréditation et d'évaluation santé) publiait un rapport
confirmant que ce dépistage était scientifiquement valide et
estimait souhaitable de réaliser des études pilotes, adaptées aux
pratiques françaises et selon la méthodologie proposée dans ce
rapport.
Celui-ci préconisait la recherche d’OEAP.
En décembre 2002, un rapport rédigé par un groupe d'experts a été
remis au président du conseil scientifique de la Cnam (Caisse
nationale d'assurance maladie).
Ce rapport confirmait l'intérêt d'un dépistage universel, en
priorité à l'aide des potentiels évoqués auditifs automatisés, mais
en proposant, pour les centres déjà équipés et ayant une grande
habitude des OEAP, de conserver ce mode de dépistage.
C'est suite au rapport de l'Anaes, que nous avons mis en place en
septembre 1999 le dépistage dans la maternité du Centre hospitalier
d'Évreux, puis généralisé celui-ci à l'ensemble des maternités de
l'Eure en janvier 2003 et, enfin, mis en place en janvier 2006 dans
la maternité et les services de néonatalogie du CHU de Rouen.
Résultats
Dans l’Eure, sur 20 000 naissances, 99,5 % des
enfants ont bénéficié de ce dépistage (0,5 % perdus de vue) et le
taux de surdités prises en charge précocement a été de 1,6 pour 1
000.
Au CHU de Rouen, 2 mois après la mise en place
de ce dépistage, les premières statistiques montrent un taux de
couverture de la population des nouveau-nés de 99,5 %.
Conclusion
Le dépistage néonatal de la surdité, devrait être systématisé en
France, car il s’agit d’une pathologie fréquente, pour laquelle un
traitement précoce transforme le pronostic du handicap
(surdimutité). Ce dépistage est fiable, rapide et simple à réaliser
à l’aide d’appareils automatisés. Sa mise en place nécessite
toutefois un suivi rigoureux des enfants suspects, pendant la
période de confirmation diagnostique.
Cette prise en charge diagnostique rapide n’est possible que par
des centres spécialisés dans la surdité infantile.
Pour en savoir plus
• Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé.
Évaluation clinique et économique du dépistage néonatal de la
surdité permanente par les otoémissions acoustiques. Rapport
1999.
• Morlet T, Moulin A, Putet G, Sevin F et al. Dépistage des
troubles auditifs chez des nouveau-nés à risque.
Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 2001 ; 118 : 11-8.
• Kuhl PK, Williams KA, Lacerda F, Stevens KN, Lindblom B.
Linguistic experience alters phonetis perception in infants by 6
months of age.
Science 1992 ; 255 : 606-8.
• Vohr BR, Cary LM, Moore PE, Letourneau K. The Rhode Island
Hearing Assessment Program: experience with stadewide hearing
screening (1993-1996). J Pediatr 1998 ; 133 : 353-7.
• Yoshinaga-Itano C, Sedey A, Couter D, Mehl A. Language of
early and later identified children with hearing loss. Pediatrics
1998 ; 102 : 1161-71.
• De Barros Boishardy A. et al. Expérience du dépistage auditif
néonatal systématique dans le département de l’Eure. À propos de 10
835 nouveau-nés. Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 2005 ; 122 :
223-30.