Le 10 Juillet 1976, un accident de surchauffe, dans une usine
chimique proche de Seveso, à 25 km au nord de Milan, a exposé les
populations environnantes à un nuage de TCDD
(2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine), polluant toxique, hautement
persistant.
Le premier effet sanitaire observé dans les études menées peu après
l’accident était une chloracné mais à plus long terme l’on constate
également une augmentation du nombre des cancers
lympho-hématopoïétiques chez les hommes et chez les
femmes.
En ce mois d’Avril 2008, des épidémiologistes milanais publient ainsi les résultats d’une étude de mortalité pour les populations exposées à la dioxine lors de la catastrophe de Seveso, à partir d’un suivi s’étendant de 1997 à 2001. Ils concernent une cohorte de 278 108 sujets, dont 218 761 (111 873 femmes et 106 888 hommes) résidaient, au moment de l’événement, dans l’une des trois zones contaminées, et 59 347 sujets (29 660 femmes et 29 687 hommes) étaient nés ou avaient immigré dans ces zones dans les 10 ans après la catastrophe (zone A, de très forte exposition à la TCDD ; zone B, de forte exposition ; zone C, de faible exposition). Les habitants des municipalités environnantes non contaminées ont été pris comme référence
Le suivi, l’établissement du statut vital et l’identification de la cause du décès étaient complets pour plus de 99 % des sujets de chaque zone. Le nombre total des sujets-années à risque entre 1976 et 2001 dépasse 6 millions, et 47 584 décès ont été enregistrés. Des ajustements ont été effectués sur le sexe, l’âge et la période d’étude.
Au cours de la totalité de la période d’étude (1976-2001), la mortalité toutes causes et la mortalité par cancer, dans les trois zones exposées, n’est pas apparue élevée en comparaison de la zone de référence. Les ratios de risque, pour les décès toutes causes, étaient de 1,02 (IC à 95 % 0,85-1,22 ; 118 décès) dans la zone A, de 0,96 (0,89-1,03 ; 750 décès) dans la zone B, de 1,03 (1,01-1,06 ; 5 934 décès) dans la zone de référence, les chiffres correspondants pour la mortalité « tous cancers » étant respectivement de 1,03 (0,76-1,39 ;42 décès), 0,92 (0,81-1,05 ; 244 décès), 0,97 (0,92-1,02 ; 1 848 décès).
L’analyse selon le type de cancer confirme cependant un excès de
mortalité par cancers lympho-hématopoïétiques dans la zone A, la
plus exposée à la dioxine (ratio de risque : 2,23 IC à 95 %
1,00-4,97 ; 6 décès) et dans la zone B, d’exposition
intermédiaire (ratio de risque : 1,59 IC à 95 % 1,09-2,33 ;
28 décès).
L’accroissement du risque, dans les 2 zones les plus exposées,
était plus marqué chez les femmes, avec un ratio de risque de
3,17 (IC à 95 % 1,18-8,49 ; 4 décès) dans la zone A et de
1,94 (IC à 95 % 1,16-3,25 ; 15 décès) dans la zone B, le
risque de lymphome non hodgkinien, de tous lymphomes et de myélome
étant les plus élevés.
Chez les hommes, le nombre de décès par leucémie dans la zone B
dépassait significativement le nombre de décès attendus (ratio de
risque 2,07 ; IC à 95 % 1,06-4,05 ; 9 décès).
Les résultats montrent aussi, chez les hommes un excès de risque de
cancers du poumon dans la zone A, très fortement exposée (ratio de
risque : 1,26 ; IC à 95 % 0,70-2,29 ; 11 décès).
L’analyse des causes de décès autres que les cancers met en
évidence, dans la zone A, chez les femmes, une augmentation de la
mortalité de cause circulatoire, par cardiopathie rhumatismale
(9,19 ; 2,91-29,01 ; 3 décès) et par HTA (2,60 ; 0,97-6,95 ; 4
décès) et, chez les hommes, un accroissement de la mortalité de
cause circulatoire (1,40 ; 0,97-2,01 ; 29 décès) et par
cardiopathie ischémique (2,48 ; 1,18-5,22 ; 7 décès).
Dans la zone A, l’étude montre aussi un accroissement de la
mortalité par bronchopneumopathie obstructive chronique (BCPO),
dans les 2 sexes, et, dans la zone B une augmentation de la
mortalité par diabète chez les femmes.
Cette étude, qui comporte probablement des biais en raison du grand nombre de comparaisons effectuées, met en évidence, dans les 2 zones les plus polluées par la TCDD, une augmentation de la mortalité par cancers lympho-hématopoïétiques, suggère une élévation de la mortalité liée à d’autres cancers, du poumon notamment, et de la mortalité de causes autres que les cancers, par maladies circulatoires, par BCPO et par diabète. L’analyse selon la latence montre un accroissement de la mortalité tous cancers de 65 % après 20 ans dans la zone A, l’excès de cancers hématopoïétiques et de cancers du poumon s’étant manifesté après 15 ans. L’élévation de la mortalité de cause circulatoire dans la zone A est apparue surtout dans les 10 premières années et celle liée au diabète dans la zone B surtout au cours des 5 premières années après la catastrophe. Le suivi continue.
Dr Claudine Goldgewicht