Paris, le vendredi 9 mai 2008 – Le procès de l’hormone de croissance est entré ce mercredi 7 mai dans sa dernière phase. C’est désormais au tour des avocats des deux cent parties civiles de s’exprimer jusqu’au mercredi 21 mai, date des réquisitions. Le temps de l’émotion qui a prévalu tout au long des dernières semaines devrait donc laisser la place au langage plus froid des spécialistes. Quatre-vingt onze familles sur les 111 décès recensés ont choisi de prendre la parole pour évoquer le même calvaire et leurs douleurs personnelles. Les sept prévenus se seront souvent vus reprocher leur « suffisance », voire leur « mépris », pour reprendre les mots prononcés ce mercredi 7 mai par la présidente de l’Association des victimes de l’hormone de croissance, Jeanne Goerrian. Une mère, citée par Libération, s’est ainsi souvenue comment, en 1992, le médecin qui s’occupait de son fils avait ainsi répondu à ses doutes : « Mais vous vous inquiétez pour rien. Votre fils a plus de risques de mourir dans un accident de voiture ». Un père affirme pour sa part que le docteur Micheline Gourmelen assise sur le banc des prévenus lui aurait asséné durement : « Vous savez, votre fils a de la change d’avoir accès à ce traitement », des mots dont le souvenir est une brûlure particulièrement amère.
Epée de Damoclès
La parole a également été laissée à ceux qui ont été traités par
des hormones de croissance et qui redoutent aujourd’hui de
développer la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
L’image de «l’épée de Damoclès» était ainsi sur toutes les lèvres,
et notamment dans la bouche de Toufik, aujourd’hui âgé de 39 ans et
qui a lancé : «Je voulais grandir, mais je ne veux pas mourir».
Beaucoup ont également souligné combien le fait d’avoir été traité
par une hormone de croissance devait souvent être tu, afin d’éviter
que ne se ferment toutes les portes (professionnelles,
financières…). Un ancien patient a révélé que ce rejet pouvait
émaner du milieu médical lui-même. Alors qu’il devait réaliser une
coloscopie, un médecin a en effet refusé de procéder à l’examen.
«Je ne vais pas sacrifier un appareil qui vaut plusieurs centaines
de milliers d’euros» lui aurait expliqué le praticien, faisant
allusion à la résistance du prion aux méthodes classiques de
désinfection. Enfin, le témoignage poignant de Bénédicte a confirmé
combien cette angoisse permanente pouvait être insupportable : son
frère Olivier a mis fin à ses jours à l’âge de vingt cinq ans,
après avoir passé de longs mois à redouter chaque jour d’être
atteint de la nouvelle forme de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
Hypophyses bulgares
Face à la prise de parole des victimes, les sept prévenus sont le
plus souvent restés silencieux. Le début et la fin des témoignages
auront cependant été marqués par deux moments forts : la demande de
pardon du professeur Jean-Claude Job et il y a une semaine
l’évocation de «sa tristesse infinie» par le professeur Fernand
Dray. La ligne de défense des anciens responsables de la collecte
d’hypophyse en France demeure cependant la même. Leurs avocats
mettent en effet en avant le fait que l’importation massive à
partir de 1984 d’hypophyses bulgares, explique mieux, que
d’éventuelles fautes ou imprudences, la spécificité de la situation
française, où l’on compte un nombre de victimes bien plus élevé que
dans les autres pays occidentaux. Pour sa part, le professeur
Thierry Billette de Villemeur, responsable du Centre national de
référence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, qui avant chaque
témoignage de famille a retracé l’histoire médicale du patient
décédé a tenu à précisé : «Quand on recoupe tous ces cas, ils ont
tous reçu de l’hormone de croissance, de novembre 1983 à juin 1985.
Aucun enfant dont le traitement s’est terminé avant novembre 1983
n’a été contaminé. Et aucun enfant qui n’a commencé le traitement
après juin 1985 n’a été infecté» a-t-il remarqué le jeudi 18
avril.
Indemnisations
Alors qu’est venu le temps des plaidoiries des avocats, devrait
resurgir la question de l’indemnisation des victimes. Les familles
ont reçu pour chaque décès 225 000 euros et se sont engagées à ne
pas exiger d’autres compensations. Cependant, des dédommagements
supplémentaires pourraient être demandés, au nom des familles les
plus modestes qui ont dû assurer seules les rôles de garde-malade
et au nom des patients qui souffrent aujourd’hui « du syndrome de
Damoclès » selon l’expression de Maître Frédéric Bibal.
A.H.