
Pouvoir conserver des plaquettes à 4°C avant transfusion serait souhaitable car cela permettrait de prolonger la durée de stockage tout en évitant la contamination bactérienne. Néanmoins, les plaquettes gardées à 4°C et transfusées à l’homme ont une clearance très accélérée et perdent ainsi leur efficacité in vivo : de ce fait ce procédé de conservation a été abandonné. Jusqu’à présent, avant transfusion, les plaquettes sont conservées à une température ambiante de 22°C (± 2°C) sous agitation continue pendant 5-7 jours au maximum, ce qui oblige à des efforts logistiques importants pour répondre aux besoins transfusionnels. En cas de conservation au froid, les plaquettes subissent un changement de forme, reflet d’une activation, qui même prévenu par l’adjonction de cytocholasine B in vitro ne permet pas d’éviter l’accélération de leur clearance in vivo.
Comme l’ont démontré HH Wandall et coll. dans un travail antérieur, une des explications à ce phénomène, serait la clustérisation des complexes membranaires GPIb/IX/V qui exposent dès lors un glycan immature terminé par le motif -N-acétyl glucosamine (Glc Nac) reconnu par le domaine lectine des récepteurs M2 (aussi appelés CR3 ou Mac-1) présents sur les macrophages hépatiques, ce qui entraîne une augmentation de la phagocytose plaquettaire par ces cellules. Chez la souris, comme chez l’homme, des plaquettes ayant subi une galactosylation enzymatique endogène (avec addition de UPD-galactose qui masque le motif -N-acétyl glucosamine) subissent in vitro une phagocytose diminuée. En outre, une étude préalable in vivo chez la souris avait montré que des plaquettes conservées à 4°C pendant 2h mais galactosylées avaient une clearance prolongée (identique à celle de plaquettes conservées à température ambiante).
Dans cet article (1), les mêmes auteurs rapportent les résultats
d’un essai de phase 1 sur l’efficacité de plaquettes transfusées
après 48 h de conservation a) soit à 4°C après avoir subi une
galactosylation b) soit à 4°C mais sans galactosylation c) soit à
22°C.
Quatre sujets (3 hommes, 1 femme) ont participé à l’étude. Toutes
les transfusions étaient réalisées en autologue. Deux sujets ont
reçu leurs plaquettes conservées à température ambiante ; deux
autres ont reçu leurs plaquettes gardées à 4°C sans
galactosylation. Puis afin de diminuer la variabilité inter sujets,
après une période de wash-out, tous les sujets ont reçu leurs
plaquettes conservées à 4°C après galactosylation. Pour les
plaquettes conservées à température ambiante, la durée de vie a été
trouvée de 6,8 j et 6,9 j ; pour celles conservées à 4°C elle
n’était que de 2,9 et 2,8 j. Enfin contrairement aux résultats
obtenus in vitro ou chez la souris, chez l’homme , après une
conservation à 4°C certes plus longue de 48h , les plaquettes
malgré une galactosylation préalable présentaient une durée
de vie très raccourcie de 2,8 ; 2,2 ;2,8 et 1 jour pour chaque
sujet respectivement.
Ainsi si cette étude échoue à démontrer une efficacité du procédé de galactosylation sur la survie plaquettaire in vivo, elle montre toutefois sa faisabilité sans effet secondaire notable ni développement d’autoanticorps.
Après avoir vérifié la persistance de la galactosylation durant leur procédure, les auteurs concluent que l’exposition du motif -N-acétyl glucosamine n’est pas la seule modification induite par le froid au niveau des plaquettes. Le rôle d’une asialylation de glycoprotéines (en particulier de la glycoprotéine Ib) et de carbohydrates membranaires devra par exemple être pris en considération dans les études futures. Le recours à un modèle murin humanisé pourra être d’une aide précieuse. Dans l’immédiat, la conservation des plaquettes à 22°C, sous une agitation continue reste la procédure recommandée ( comme depuis les travaux de Murphy rapportés il y a presque 40 ans !) (2).
Dr Sylvia Bellucci