
Pour plusieurs générations de psychiatres (et leurs patients), la psychothérapie a représenté le « noyau dur » de la prise en charge des maladies mentales, voire le stéréotype caricatural de la spécialité (tel le fameux « C’est c’la, oui ! » de Thierry Lhermitte dans Le Père Noël est une ordure). Mais cette domination traditionnelle de la psychothérapie s’effrite désormais, comme le montre une étude américaine publiée dans Archives of General Psychiatry.
Les pratiques des psychiatres américains (relatives aux patients ambulatoires vus en consultation) ont été analysées et comparées sur une période d’une dizaine d’années, entre 1996 et 2005. Le recours aux psychothérapies s’avère ainsi en net recul : il concernait 28,9 % des patients en 2004-2005 contre 44,4 % en 1996-1997, soit une diminution de 35 % en dix ans. Les causes de ce phénomène sont diverses : modifications des remboursements par les organismes d’assurance-maladie, baisse du nombre de psychiatres proposant systématiquement une psychothérapie à tous leurs patients (10,8 % contre 19,1 % dix ans plus tôt) et, surtout, extension de la réponse pharmacologique aux affections psychiatriques, liée notamment à « l’introduction de molécules récentes présentant très peu d’effets indésirables ».
Les auteurs notent que cette tendance au déclin d’une pratique bien ancrée peut « se répercuter sur l’identité professionnelle du psychiatre », en bouleversant un équilibre délicat, parfois proche du grand écart, entre l’aspect biologique des troubles mentaux (débouchant sur l’essor des médicaments) et leur dimension psychosociale (justifiant un abord psychothérapeutique du type « mots contre maux », pour reprendre une formule inspirée d’un slogan de SOS-Amitié). Le tout dans un contexte où une autre instance « fait tiers », comme disent à l’envi les psychiatres : le marché, avec le poids économique des dépenses de santé, les contraintes financières des systèmes d’assurances, et l’espoir d’une action rapide offerte par le médicament, donc moins chère par rapport aux psychothérapies, suspectes d’être fort dispendieuses sur le long terme : ce n’est pas un hasard si les thérapies brèves séduisent, surtout aux États-Unis.
Dr Alain Cohen