
O. GABAY
Cartilage Biology and Orthopaedic Branch, Cartilage Molecular
Genetic Group, NIAMS, National Institute of Health, Bethesda, MD,
États-Unis
De nombreux articles scientifiques font référence à des souris génétiquement modifiées. Comment sont-elles obtenues ? Que nous apprennent-elles, notamment dans l’arthrose ? Odile Gabay répond à ces questions.
Pourquoi les manipulations génétiques chez la souris se développent-elles et présentent- elles un si grand intérêt en recherche médicale ? Il existe toujours des limitations à l’étude de systèmes de cultures cellulaires isolées, même si le modèle est performant. Le travail in vitro doit être relayé in vivo. Le génome de la souris présente une homologie de 90 % avec celui de l’homme. Sa taille est comparable : 3 milliards de paires de base, 29 000 à 30 000 gènes. La biologie de la souris présente beaucoup de similarité avec la biologie humaine. De plus, la souris est un mammifère facile à manipuler et qui se reproduit vite. Sa durée de vie est d’environ 2 ans. La souris femelle est adulte et capable de se reproduire à 1 mois (le mâle à 1 mois 1/2). La durée de gestation varie de 19 à 21 jours. Les portées sont également variables mais peuvent aller de 4 à 14 petits. Ce qui fait très vite un grand nombre de souris disponibles ! Il est possible d’injecter de l’ADN dans des ovocytes d’autres animaux, mais la souris présente l’intérêt majeur d’être la seule espèce dans laquelle les gènes peuvent être introduits dans des sites spécifiques par le processus de recombinaison homologue. Il est donc aisé de reproduire des anomalies génétiques existant chez l’homme, ou de mimer des pathologies existantes. Ce travail permet une meilleure connaissance de la maladie et surtout d’établir des cibles thérapeutiques afin de traiter ces maladies mieux identifiées.
Histoire des souris transgéniques
Les premières souris transgéniques ont été produites en injectant un fragment d’ADN dans des ovocytes fertilisés, puis ré-implantés dans une souris femelle pseudo-gestante pour produire des souriceaux dont certains avaient incorporé le fragment injecté dans leur génome. Mais l’expression du gène était imprévisible par cette méthode.
La souris est la seule espèce dans laquelle les gènes peuvent être introduits dans des sites spécifiques.
Mais l’expression du gène était imprévisible par cette méthode. Depuis ces premiers travaux, de larges brins d’ADN sont introduits, par le biais de cellules souches embryonnaires, et insérés dans des sites spécifiques de façon à ce qu’un gène spécifique soit échangé pour la séquence d’intérêt.
Aujourd’hui, il existe une quantité exponentielle de publications concernant les souris transgéniques. De grosses banques, comme les Jackson Laboratories, possèdent déjà une grande quantité de KO ou transgéniques disponibles (sous forme de souris ou d’embryons congelés) et envisagent un KO pour chaque gène de souris, son génome ayant été presque complètement séquencé.
Transgenèse, mode d’emploi
Produire une génération de souris transgéniques n’est jamais simple, ni facile. Très peu d’animaux portant le transgène sont produits à la fois, ce qui nécessite des générations entières de croisements, et un temps de production très long. Différents types de manipulations génétiques peuvent être faites chez la souris, selon ce que l’on veut obtenir :
– une souris knock out ;
– ou une souris transgénique (surexpression d’un gène par
exemple).
Les deux allèles sont notifiés entre parenthèses pour identifier les souris, soit avec le gène invalidé (-/-), soit hétérozygotes avec le gène invalidé sur un des deux allèles (+/-), soit souris sauvage, ou « wild type » homozygotes avec le gène exprimé (+/+) ou WT. Les processus de production de la souris sont différents selon les cas (figure 1).
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Figure 1. |
• Pour générer un knock out, il faut au préalable préparer le vecteur cible, fragment d’ADN qui sera électroporé dans les cellules ES (Embryonic Stem Cells, cellules souches embryonnaires) et qui recombine avec l’allèle d’intérêt cible. Après électroporation (application d’impulsions électriques sur une cellule pour perméabiliser sa membrane), les clones positifs (cellules contenant la mutation) sont sélectionnés et micro-injectés dans des embryons au stade blastocyste, puis transférés dans une nouvelle femelle pseudo-gestante qui produira les chimères nécessaires à l’obtention du KO définitif. Il est important de croiser la chimère dans le fond génétique isogénique utilisé pour créer les cellules embryonnaires pluripotentes (ES). Cela permet d’obtenir un KO à fond génétique pur avec un seul croisement.
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Figure 2. |
• Pour générer une souris transgénique, le vecteur cible (fragment d’ADN) est injecté dans un embryon au stade pronucléaire. L’intégration se fait au hasard. L’embryon est ensuite transféré dans une femelle pseudo-gestante. En utilisant des séquences contrôles appropriées (promoteurs), le gène peut être sélectivement éliminé ou induit dans certains tissus, alors que les autres sont inchangés. Un paramètre à prendre en compte pour créer une lignée transgénique est le temps. La création de la génération des fondateurs prend entre 4 et 24 mois. Pour les croisements suivants, il faut compter plus de 3 mois par génération. Sans compter le coût de ces manipulations…
Fonds génétiques
Il existe un très grand nombre de fonds génétiques différents, mais les seuls utilisés pour la transgenèse sont des fonds génétiques avec des codes couleur :
– les C57BL/6, comme leur nom l’indique,
sont noires ;
– les CB6F1 et les Sv/129 sont grises (agouti) ;
– les FVB/N et BALB/c sont blanches. Pourquoi utiliser les
différentes couleurs de pelage ? Comme nous l’avons vu, la
génération de souris invalidées pour un gène (KO) passe par l’étape
d’une génération de chimère. Afin de reconnaître immédiatement les
souris ayant incorporé le transgène, la couleur permet de faire la
sélection. Par exemple, les cellules ES viennent d’un Sv/129,
agouti, les blastocystes d’une femelle C57BL/6, noir.
Dans ce cas, la couleur agouti du pelage des chimères viendra des cellules ES et la couleur noire des blastocystes. Si le gène, qui a un certain poids moléculaire, est normalement exprimé, on aura une seule bande (+/+) en face de son poids moléculaire habituel. Si les souris sont hétérozygotes, on aura deux bandes (+/-) : une pour chaque allèle, avec deux poids moléculaires différents). Si les souris sont invalidées pour le gène (-/-), on aura une seule bande, plus haute sur l’image, car avec poids moléculaire différent (figure 2).
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Quelques exemples en rhumatologie
S. Namdari et coll.(1) ont invalidé le gène de p38 MAKinase dans le cartilage en créant une souris transgénique cartilage spécifique à l’aide d’un vecteur contenant l’ADN et le promoteur du collagène de type II.
Les souris transgéniques présentent un phénotype plus réduit que les sauvages, mais qui semble normal. À un an, âge avancé pour une souris, la gradation de l’arthrose observée histologiquement est plus importante dans le groupe hétérozygote que dans le groupe contrôle. Ce travail nous apporte un éclairage nouveau sur l’implication de p38 phosphorylé dans le cartilage et la survenue d’arthrose et confirme que son inhibition déjà demontrée in vitro est chondroprotective in vivo. P38 est donc une cible thérapeutique de l’arthrose. D. Xu et coll.(2) ont montré un rôle pro-inflammatoire important et inattendu d’IL-33 dans l’arthrite rhumatoïde en utilisant des souris KO pour le gène de ST2, alpha chaîne du récepteur à l’IL-33, cytokine de la famille de l’IL-1. Les souris initiales sur fond génétique BALB/c sont changées de fond génétique en les croisant pendant 10 générations avec des DBA/1. Ces souris développent une arthrite rhumatoïde très atténuée après induction de l’arthrite au collagène, et les cytokines proinflammatoires relarguées sont considérablement réduites. Au contraire, une arthrite au collagène induite chez les sauvages est exacerbée, permettant de cibler l’IL-33 comme thérapeutique de l’arthrite.
Références
1. Namdari S et al. Reduced limb length
and worsened osteoarthritis in adult mice after genetic inhibition
of p38 MAP kinase activity in cartilage. Arthritis Rheum 2008 ; 58
: 3 520-9.
2. Damo Xu et al. IL-33 exacerbates antigen- induced arthritis by
activating mast cells. Proc Natl Acad Sci U S A 2008 ; 105 : 10
913-8. Epub 2008 Jul 30.