Y. ALLANORE
Service de rhumatologie A, hôpital Cochin ;
INSERM U781, hôpital Necker, Paris
Les maladies auto-immunes (MAI) sont définies comme
l’ensemble des manifestations pathologiques qui résultent d’une
perte de la tolérance physiologique aux composantes du soi. Elles
impliquent l’existence dans le répertoire périphérique de
lymphocytes auto-réactifs dont la différenciation et l’activation
sont médiées par des auto-antigènes. Il s’agit de maladies
multifactorielles faisant intervenir des éléments environnementaux
et un fond génétique de susceptibilité. Lymphocytes CD20 et
maladies auto-immunes
Le rôle des lymphocytes B dans les MAI médiées par des anticorps a
longtemps été réduit à celui d’une simple cellule effectrice
régulée par le lymphocyte T. Cependant, des données expérimentales
plaident pour un rôle central du lymphocyte B dans la genèse de ces
affections. Outre ses actions de production d’anticorps et
d’auto-anticorps, il intervient notamment dans la présentation
antigénique, dans les régulations positives ou négatives des
lymphocytes T, dans la régulation des molécules de co-stimulation
et dans la synthèse de cytokines. Ce rôle a été particulièrement
bien étudié au cours du lupus érythémateux systémique. Le CD20 est
un marqueur spécifique des cellules B au cours de leur
développement du stade pré-B au stade du lymphocyte B mature. Il
est toutefois absent de la surface des plasmocytes. Sa fonction
reste mal définie mais il pourrait être impliqué dans la régulation
des flux calciques à travers la membrane cytoplasmique des cellules
B et ainsi intervenir dans la régulation de la prolifération de la
cellule B.
Le CD20 est un marqueur
spécifique des cellules B au cours de leur
développement du stade pré-B au stade du lymphocyte B mature.
Mode d’action du rituximab
Le rituximab est un anticorps monoclonal dirigé contre la molécule CD20 : il s’agit d’un anticorps chimérique composé de domaines constants humains (chaîne lourde gamma 1 et chaîne légère kappa) et de domaines variables murins. Il se fixe sur l'antigène transmembranaire CD20 des lymphocytes pré-B et B matures et entraîne leur lyse. Il induit une lymphopénie B par l’intermédiaire de divers mécanismes, notamment l’apoptose directe, la toxicité cellulaire dépendante des anticorps (rôle des récepteurs FcγR) et la cytotoxicité dépendante du complément (liée à la fixation de C1q). Le rituximab initialement développé en hémato logie dans le traitement des lymphomes folliculaires et des lymphomes diffus à grandes cellules B a ensuite été évalué dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) avec une autorisation de mise sur le marché obtenue en 2006 dans l’indication « PR active, sévère, chez les patients adultes qui ont présenté une réponse inadéquate ou une intolérance aux traitements de fond, dont au moins un anti-TNF ». L’utilisation dans les MAI a été concomitante mais le développement secondaire à celui dans la PR. Il faut distinguer les MAI dans lesquelles un développement conventionnel avec de larges études pivots a été réalisé des autres MAI, souvent plus rares, pour lesquelles seules des données préliminaires, parfois modestes, sont disponibles. Nous verrons successivement ces 2 contextes.
Le rituximab est initialement développé en hématologie dans le traitement des lymphomes.
Anti-CD20 dans le lupus systémique
Le lupus systémique a fait l’objet d’un premier essai randomisé contre placebo de grande échelle après plusieurs études ouvertes paraissant très positives. Il faut notamment souligner plusieurs séries portant sur des formes réfractaires de glomérulonéphrite avec des résultats très encourageants. Ainsi, dans une série de 22 cas de LES avec atteinte rénale glomérulaire en échec thérapeutique des traitements immunosuppresseurs classiques, l’administration de rituximab (500 mg à J0 et 1 000 mg à J15) avec évaluation aux mois 1, 2 et 3 avait permis d’obtenir 5 rémissions complètes, 7 rémissions partielles et 2 aggravations (1). Sur le plan immunologique, comme attendu, on notait une déplétion lymphocytaire B mais sans baisse significative des auto- anticorps. Parmi les autres complications graves du LES, l’atteinte du système nerveux central est souvent de mauvais pronostic. Dix cas réfractaires aux immunosuppresseurs ont été colligés et ont reçu du rituximab selon des protocoles variables (375 à 1 000 mg toutes 1 à 4 semaines). Il a été noté une amélioration du syndrome confusionnel dans 5 cas sur 5 avec une correction des troubles hématologiques concomitants dans tous les cas. L’indice d’activité SLEDAI est passé de 19,9 (49-2) à 6,2 (5-0) et un SLEDAI à 0 était observé chez 9/10 malades après 1-6 mois (2). Un premier grand essai de phase II/III a été présenté au congrès de l’ACR 2008(3) ; il a étudié l’efficacité et la tolérance du rituximab (1 g x 2 au départ et à 6 mois) à 52 semaines dans le lupus modéré à sévère avec une maladie active définie par le score BILAG malgré au moins un immunosuppresseur : 257 malades ont été analysés en intention de traiter.
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Figure 1. |
Les résultats ont montré qu’aucun des critères de jugements primaires n’a pu être rempli selon les scores utilisés (figure 1) : 15,9 % vs 12,4 % de réponse clinique majeure, 12,5 % vs 17,2 % de réponse clinique partielle et 71,6 % vs 70,4 % sans réponse clinique (respectivement groupes PBO et RTX). La tolérance a été satisfaisante sans différence très nette entre les 2 groupes.
Syndrome de Gougerot-Sjögren
Plusieurs études ouvertes ont récemment été rapportées sur les effets potentiels du rituximab au cours du syndrome de Gougerot-Sjögren primaire. Elles sont résumées dans le tableau. L’équipe hollandaise ayant réalisé l’étude ouverte a présenté lors du congrès de l’ACR 2008 (7) des résultats intérimaires d’un essai randomisé et contrôlé réalisé chez 29 malades. La dose de rituximab a été de 1 g à J1 et J15 avec 100 mg de méthylprednisolone associé à une corticothérapie orale diminuée de 60 à 15 mg/j à J5. Le critère principal était la mesure du flux salivaire stimulé (figure 2). La sécrétion salivaire a augmenté à 12 semaines dans le groupe traité (de 0,77 ± 0,69 ml/min à 0,87 ± 0,87) alors qu’elle a diminué dans le groupe placebo (de 0,45 ± 0,25 ml/min à 0,28 ± 0,17), et l’EVA de la sécheresse oculaire s’est également améliorée. Les résultats à plus long terme seront importants mais ces premières données suggèrent une efficacité sur le syndrome sec. Il restera aussi à évaluer l’effet sur les manifestations systémiques. Un essai contrôlé est actuellement en cours en France sous la direction du Pr Saraux (Brest).
Les premières données suggèrent une efficacité sur le syndrome sec.
Autres maladies auto-immunes
Dans la sclérose en plaques (SEP), un essai préliminaire de phase II, de taille relativement modeste (n = 104), a suggéré l’efficacité du rituximab, administré sous forme de 2 perfusions, dans la réduction du nombre de lésions inflammatoires cérébrales et de poussées cliniques, par rapport au placebo, pendant 48 semaines chez des patients atteints de la forme rémittente (poussées-rémissions)( 8). Cependant, un essai non publié mais dont les résultats ont fait l’objet de communications partielles par Genentech a montré que dans des formes progressives primaires, un essai de phase II/III portant sur 439 malades évalués après 96 semaines n’a pas démontré de supériorité du rituximab sur la réduction de la confirmation de la progression de la maladie en imagerie par résonance magnétique ( www.drugs.com/clinical_trials/genentech-biogenidec-announce-top-line-results).
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Les études actuelles ne
suggèrent pas d’effet spécifique du
rituximab sur les cas réfractaires de maladie de Wegener.
Pour de nombreuses autres MAI ou maladies systémiques, des séries ouvertes ont été rapportées, exposant bien entendu au biais de publication relatif à la non-publication des cas négatifs. Ainsi, des séries de malades avec dermatomyosite ou polymyosite ont été rapportées.
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Figure 2. |
Par exemple, 8 cas ont été traités par 1 g de rituximab et 100 mg de méthylprednisolone et évalués sur une réponse d’au moins 15 % de la force musculaire et d’une réduction d’au moins 30 % des CPK. Seuls 2/8 ont eu une réponse et, dans ces 2 cas, il s’agissait de forme de syndrome des anti-synthétases avec anticorps anti-Jo1 positifs (9). Dans les vascularites (figure 3), plusieurs séries ouvertes ont suggéré des réponses modérées à bonnes notamment dans des formes associées aux ANCA mais de fréquentes rechutes étaient constatées. Une série a comparé 21 maladies de Wegener en échec malgré des immunosuppresseurs avec randomisation entre infliximab et rituximab (10). Des réponses complètes à 12 mois ont été observées chez 3/11 malades recevant l’infliximab et 3/10 recevant le rituximab. Des réponses partielles ont été observées chez 2/11 recevant l’infliximab et 4/10 recevant le rituximab, des échecs étaient constatés chez 6/11 malades sous infliximab et 3/10 sous rituximab. Ceci ne suggère pas d’effet spécifique du rituximab sur ces cas réfractaires de maladie de Wegener. Une mise au point sur les effets au cours des cryoglobulinémies a été récemment publiée (11) : elle rassemble 13 études, 57 cas de formes réfractaires avec vascularite active. La cryoglobulinémie était associée à une hépatite C dans 75,4 % des cas et était essentielle dans 24,6 %. Le régime thérapeutique était le plus souvent plus souvent de 4 x 375 mg/m2, la durée du suivi est de 9,7 mois. Une réponse clinique a été constatée dans 80-93 % des cas mais avec des rechutes chez 14/36 (39 %) patients.
Sclérodermie
Le rituximab a aussi été évalué dans des essais ouverts dans la sclérodermie systémique (figure 4).
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Figure 3. |
Tout d’abord dans une série de 8 malades avec forme cutanée diffuse suivis pendant 24 semaines, les effets de 2 fois 1 g de rituximab associés classiquement à la méthylprednisolone ont conduit à observer une réduction du score d’infiltration cutanée (maximum 51) de 24,8 ± 3,4 à 14,3 ± 3,5 (12). La tolérance a été satisfaisante avec 2 réactions allergiques lors des perfusions et 2 effets indésirables non liés. Un autre travail a porté sur 15 patients avec forme cutanée diffuse récente (moins de 18 mois pour les premiers signes cutanés). Le suivi a été également de 24 semaines mais le rituximab 1 000 mg x 2 a été utilisé sans corticoïdes. Le changement moyen du score cutané est beaucoup plus faible de -0,37/51 à 6 mois et de +0,9 à 12 mois. Aucun des malades n’a connu de progression de la maladie sur les organes importants et en particulier sur le plan cardio-pulmonaire (aucune nouvelle lésion ou progression en particulier sur le scanner coupes fines des poumons).
Il faudra dans l’avenir définir les profils de malades candidats à ce type de traitement.
Il faut noter 50 % de réactions aux perfusions et 2 infections mineures (13). La non-utilisation de corticoïdes a ainsi diminué la tolérance et on peut s’interroger sur son rôle dans la différence d’efficacité. Toutefois, les corticoïdes restent actuellement non recommandés dans cette maladie en raison d’un possible risque rénal.
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Figure 4. |
Dans ce deuxième travail, la stabilisation cutanée peut toutefois être considérée comme un résultat positif car il s’agissait de formes récentes souvent progressives qui semblent d’être stabilisées.
Des résultats encourageants en dermatologie et en hématologie
Dans des affections moins rhumatologiques, une étude, quoique ouverte, portant sur 21 malades en échec aux corticoïdes, cortico-dépendants ou avec contre-indication aux corticoïdes a montré des résultats très convaincants dans le pemphigus (14). Le traitement par rituximab a consisté en 4 cures de 375 mg/m2 avec comme critère principal le taux de rémission complète (RC) au 4e mois. Les résultats ont montré que 19/22 (86 %) patients étaient en rémission complète après une délai moyen de 88 ± 33 jours. À 2 ans, 17 (77 %) patients étaient considérés comme guéris dont 7 sans traitement de support. Neuf effets indésirables liés aux perfusions ont été rapportés ainsi que 2 effets indésirables graves. Enfin, en hématologie, des résultats encourageants à confirmer ont été publiés dans le purpura thrombopénique idiopathique et l’anémie hémolytique autoimmune.
Conclusion
• Les stratégies thérapeutiques ciblant les lymphocytes B ont
ouvert une nouvelle ère dans le traitement des MAI.
• Le rituximab est pionnier dans ce domaine mais d’autres anti-CD20
et également des molécules ciblant d’autres voies biologiques de
régulation des lymphocytes B sont en développement. Il faut
toutefois souligner que les données disponibles pour le rituximab
dans les MAI sont pour l’instant moins établies que dans la PR. Il
apparaît que, selon les affections, les réponses semblent variables
et que cette approche ciblant le CD20 ne pourra probablement pas
être appliquée à toutes les MAI. De plus, les exemples du lupus
systémique et de la sclérose en plaques illustrent qu’il ne semble
pas s’agir d’une approche qu’il faille appliquer, au sein d’une
même affection, à tous les stades ou à tous les sousgroupes de la
maladie.
• Il faudra dans l’avenir définir les profils de malades candidats
à ce type de traitement : là encore, l’expérience majeure que nous
connaissons dans la PR pourra peut-être permettre de définir des
facteurs prédictifs de réponse qu’ils soient cliniques,
immunologiques voire génétiques.
• Une autre leçon qui doit être tirée est la faisabilité d’essais
contrôlés même dans des affections relativement rares.
• Il faut espérer que les collaborations nationales et
internationales indispensables dans ces domaines seront favorisées
par les différents plans ou soutiens aux maladies rares.
Références
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rituximab in patients with lupus nephritis refractory to
conventional therapy: a pilot study. Arthritis Res Ther 2006 ; 8 :
R83.
2. Tokunaga M et al. Efficacy of rituximab (anti-CD20) for
refractory systemic lupus erythematosus involving the central
nervous system. Ann Rheum Dis 2007 ; 66 : 470-5.
3. Merrill JT et al. Efficacy and safety of rituximab in patients
with moderately to severely active Systemic Lupus Erythematosus
(SLE): results from the randomized, double-blind phase II/III study
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4. Seror R et al. Tolerance and efficacy of rituximab and changes
in serum B cell biomarkers in patients with systemic complications
of primary Sjögren's syndrome. Ann Rheum Dis 2007 ; 66 :
351-7.
5. Devauchelle-Pensec V et al. Improvement of Sjögren's syndrome
after two infusions of rituximab (anti-CD20). Arthritis Rheum 2007
; 57 : 310-7.
6. Meijer JM et al. Treatment of primary Sjögren syndrome with
rituximab : extended follow-up, safety and efficacy of retreatment.
Ann Rheum Dis 2009 ; 68 : 284-5.
7. Meijer JM et al. Rituximab treatment in primary Sjögren’s
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713.
8. Hauser SL et al. B-cell depletion with rituximab in
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9. Sultan SM et al. Clinical outcome following B cell depletion
therapy in eight patients with refractory idiopathic inflammatory
myopathy. Clin Exp Rheumatol 2008 ; 26 : 887-93.
10. Guillevin L et al. Comparison of infliximab and rituximab in
Wegener’s granulomatosis (WG) refractory to steroids and
immunosuppressants: a prospective, randomized study on 21 patients.
ACR 2008 #1873.
11. Cacoub P et al. Anti-CD20 monoclonal antibody (rituximab)
treatment for cryoglobulinemic vasculitis: where do we stand ? Ann
Rheum Dis 2008 ; 67 : 283-7. 12. Smith VP et al. Rituximab in
diffuse cutaneous systemic sclerosis: an openlabel clinical and
histopathological study. Ann Rheum Dis 2008 [Epub ahead of
print].
13. Lafyatis R et al. B cell depletion with rituximab in patients
with diffuse cutaneous systemic sclerosis. Arthritis Rheum 2009 ;
60 : 578-83. 14. Joly P et al. A single cycle of rituximab for the
treatment of severe pemphigus. N Engl J Med 2007 ; 357 :
545-52.