Quelle place pour la psychanalyse dans la presse médicale ?

Avec les progrès (les ravages ?) de « l’evidence-based medicine »[1], y compris en psychiatrie, et la suprématie des essais thérapeutiques contrôlés (randomised controlled trials) dans la littérature médicale de référence, on peut s’interroger sur le sort des études de cas « à l’ancienne » comme celles émanant de la clinique psychanalytique, chassées des revues de renommée mondiale, tel le British Journal of Psychiatry.

Celui-ci propose justement un débat sur ce thème, en confrontant deux points de vue opposés. Un professeur de biologie, Lewis Wolpert, estime que « la psychanalyse n’a pas vocation à soigner mais à pointer ce qui est incurable » et que cette discipline semble s’exclure elle-même du champ scientifique en prônant le primat de la subjectivité, avec l’idée que « ce qui se passe dans une thérapie concerne davantage la trajectoire du thérapeute que ses patients ». Pour justifier l’exclusion actuelle des écrits psychanalytiques des grandes revues médicales, cet argument semble plus recevable : ces articles évoquent des cas singuliers, de nature sinon anecdotique, du moins peu généralisable à d’autres situations comparables. Enfin, le discours théorique greffé sur ces cas particuliers serait lui-même contestable : outre l’aspect arbitraire de la « topique freudienne » [le triptyque « ça » (id), moi (ego) et surmoi (superego)], et la place « excessive » accordée à l’enfance (excessive emphasis on the influence of childhood), « beaucoup de malades mentaux n’ont pourtant aucun antécédent d’abus sexuel ni de maltraitance dans leur enfance »…

À l’inverse, Peter Fonagy (psychanalyste) soutient l’intérêt de la démarche analytique et, plus généralement, de « l’interaction humaine » (interpersonal process) entre le médecin et son patient. Ce lien demeure toujours essentiel, malgré la déferlante (prétendument ?) objective des essais contrôlés. L’analyse de ces essais à grande échelle montre que « même un placebo peut se révéler actif » selon la façon dont on l’administre : « dans cet essai du NIMH [2], certains médecins manipulaient avec plus d’efficacité un placebo que d’autres un antidépresseur » ! La dimension subjective et intersubjective demeure donc une donnée importante de la clinique et ne saurait être évacuée aussi facilement sous les assauts de la « modernité »... À condition de ne pas s’appesantir sur des éléments contingents de ce rapport à l’autre (éléments que Lacan qualifiait de « peinturlure »), le colloque singulier conserve ainsi tout son intérêt. Y compris dans les colonnes d’une grande revue médicale ?...

[1]  http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9decine_fond%C3%A9e_sur_les_faits
[2]  Il s’agit d’une étude sur la dépression menée en 1989 par le National Institute of Mental Health (institution officielle des États-Unis).

Dr Alain Cohen

Références
Wolpert L et Fonagy P : There is no place for the psychoanalytic
case report in the British Journal of Psychiatry (In debate). Br J Psychiatry 2009 ; 195 : 483–487.

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (4)

  • L'apport de Michaël Balint

    Le 30 décembre 2009

    Il est au moins rassurant qu'un début de débat ait lieu sur ce sujet (!). C'est oublier l'immense apport de Michaël Balint, psychanalyste d'origine hongroise, à l'étude de l'interaction médecin - patient. C'est aussi l'occasion de renvoyer à l'excellent ouvrage de Trisha Greenhalgh, professeur de médecine générale à Londres "Primary health Care, Theory and practice" (Blackwell Publishing) et en particulier le chapitre 5, sur ce qui fait la caractéristique du clinicien, à savoir, une intégration des dimensions EBM et humanistes dans la rencontre avec le patient.
    Enfin, il n'est pas superflu de renvoyer aussi à l'ouvrage, récemment traduit en Français, de Daid Healy "Les médicaments psychiatriques démystifiés" (Elsevier - Masson) où il met clairement en garde contre une approche trop médicamenteuse et contre la médicalisation voire la psychiatrisation excessive de la difficulté de vivre.
    Pour ceux qui souhaiteraient se documenter sur une approche moderne et vivante de la psychanalyse, je ne puis que recommander l'excellent site: www.squiggle.be

    Dr Ph. Heureux, médecin généraliste, Wavre B 1300

  • La dictature des statistiques

    Le 30 décembre 2009

    Question de méthodologie. Bien au delà de la psychiatrie:
    Je suis de ceux qui pensent que la dictature des statistiques est devenue la base de "l'art scientifique du mensonge".
    C'est précisément l'étude de cas "anecdotiques" dans les sciences dures qui a amené la révolution scientifique des 16 e et 17 e siècles: Galilée et ses études sur les mouvements de sphères sur des plans inclinés, sur les pendules ; Newton sur le mouvement de la Lune et la chute des corps ; il n'a jamais été question d'études randomisées et de statistiques, mais de la recherche difficile des causalités.
    Un seul phénomène étudié à fond apporte beaucoup plus à la connaissance que mille observations "athéoriques".
    Enfin, pour revenir au côté "psy", c'est à dire simplement interrelationnel, je n'ai jamais vu un statisticien, un behaviouriste ou un cognitiviste capable de m'expliquer une "banale" cécité ou une paralysie hystériques (non plus d'ailleurs que les contes, mythes ou religions...merci plutôt à Freud et Sophocle).
    Le mystérieux "transfert", la mystérieuse "suggestion" hypnotique échappent...alors il suffit de les décréter non existants...

    Yves Darlas

  • A propos de la psychanalyse...

    Le 02 janvier 2010

    Tout simplement je ne suis pas sûr que la psychanalyse intéresse beaucoup la plupart des médecins...

    René Touly

Voir toutes les réactions (4)

Réagir à cet article