
G.GERTNER,
Paris
La trichotillomanie est assimilée à un trouble obsessionnel compulsif (TOC) se caractérisant par l’arrachage répété de ses cheveux aboutissant à une alopécie manifeste. Différents traitements médicamenteux et certaines prises en charge psychothérapiques ont fait l’objet de diverses études dont les résultats jusqu’à présent n’ont été que peu convaincants. Tout dernièrement, une étude récente vient de montrer une efficacité significative d’un précurseur de cystine, la N-acétylcystéine, sur les symptômes de la trichotillomanie.
C’ est un dermatologue français, François Henri Hallopeau qui, en 1889, a nommé et décrit pour la première fois la trichotillomanie chez l’adulte (1). Selon le DSM-IV (2), le diagnostic de trichotillomanie (du grec trikhos : cheveu, poil ; tillo : j’arrache et manie : excitation excessive) repose sur les critères suivants :
– arrachage répété de ses propres cheveux causant une alopécie
;
– sentiment croissant de tension juste avant l’arrachage des
cheveux ;
– plaisir, gratification et soulagement lors de l’arrachage de
cheveux ;
– enfin, il ne s’agit pas du symptôme d’un autre trouble mental et
la perte de cheveux n’est pas due à une affection médicale.
Sur le plan épidémiologique, la prévalence varie selon les études de 0,6 % à 6,5 % (3,4). Elle semble nettement plus fréquente chez les femmes et elle est le plus souvent observée chez les enfants et les adolescents. Les patients qui sont atteints par cette pathologie ont souvent des difficultés psychologiques et sociales, avec une altération de la qualité de vie. Ils ont souvent honte de leur comportement et de leur apparence et tentent de les cacher le plus longtemps possible aux yeux de leurs proches en élaborant des stratégies de camouflage : modification de la coiffure, maquillage, foulards… afin de cacher les zones d’alopécie. À noter que certains patients ingèrent les cheveux arrachés, pouvant être à l’origine de trichobezoars.
Un diagnostic en général aisé
Si, le plus fréquemment, la trichotillomanie est avouée, le diagnostic différentiel avec une alopécie d’une autre nature peut parfois se poser. Les plaques alopéciques dues à la trichotillomanie siègent le plus souvent aux tempes et dans les régions rétro-auriculaires. De contours irréguliers, elles sont recouvertes de cheveux de taille inégale (figure 1).
![]() |
Figure 1. Trichotillomanie. |
D’autres régions peuvent être touchées comme les cils, les sourcils, la barbe ou la région pubienne. Chez les enfants, la trichotillomanie est considérée comme un tic bénin. L’association à une pathologie psychiatrique est présente dans 0,5 à 5 % des cas. Chez l’adulte, la trichotillomanie est plus sévère et s’associe davantage à une pathologie psychiatrique (anxiété, dépression, TOC). « L’agression capillaire » n’est quasiment jamais avouée (5).
Des traitements jusqu’à présent peu satisfaisants
Quelques essais cliniques ont été effectués avec des antidépresseurs, inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ou de la clomipramine, comparés au placebo. Dans l’ensemble, les résultats n’ont pas été probants (6). Ainsi, une méta-analyse récente a montré, d’une part, que la clomipramine avait une efficacité modérée comparativement au placebo sans qu’elle se maintienne durablement et, d’autre part, que les ISRS n’apportaient aucun bénéfice (7). Par ailleurs, les thérapies cognitivo- comportementales, l’hypnose, le bio-feedback, les groupes de soutien remportent parfois quelques succès.
L’échangeur cystineglutamate : une cible pharmacologique prometteuse
Plusieurs études ont pu montrer le rôle du glutamate (neurotransmetteur excitateur le plus répandu dans le système nerveux central) dans certains comportements d’addiction. Ainsi, l’échangeur cystine-glutamate, régulant les concentrations de celui-ci dans l’espace intercellulaire s’est montré être une cible intéressante. Plusieurs études ont en effet montré l’intérêt d’agents glutamatergiques tels que la Nacétylcystéine dans les troubles obsessionnels compulsifs tels que la trichotillomanie ou l’onychotillomanie (8). Les acides aminés soufrés comme la cystine sont mieux connus en dermatologie pour leur rôle dans le développement des phanères ; mais celle-ci se trouve être également un substrat pour l’échangeur « cystine-glutamate » (figure 2).
![]() |
Figure 2. Échangeur cystine-glutamate, |
On comprend dès lors l’intérêt apporté par un essai en double insu contre placebo qui, pour la première fois, étudie l’efficacité d’un agent glutamatergique, la N-acétylcystéine dans le traitement de la trichotillomanie (9). Cette étude réalisée par une équipe de psychiatres américains a été menée pendant 12 semaines et a porté sur 50 patients (45 femmes, 5 hommes), âgés de 18 à 65 ans atteints de trichotillomanie. La moitié des patients a reçu 1 200 mg de N-acétylcystéine par jour pendant 6 semaines augmentée à 2 400 mg pour les 6 semaines restantes (en cas d’absence d’efficacité), l’autre moitié ayant reçu un placebo pendant 12 semaines. Ainsi, 56 % des patients traités par la N-acétylcystéine ont déclaré avoir nettement moins tendance à s’arracher les cheveux contre 16 % dans le groupe placebo (p = 0,003). L’amélioration était obtenue dès la 9e semaine. Par ailleurs, sur la base de l’échelle MGH-HPS (Massachusetts General Hospital Hairpulling Scale), autoquestionnaire qui mesure la sévérité (0 à 4) de 7 items cliniques, 44 % des patients recevant de la N-acétylcystéine ont vu leur score diminuer au moins de moitié, comparé à 0 % dans le groupe placebo (p < 0,001). La tolérance du produit fut bonne et l’on n’a pas observé d’effets secondaires notables. Au total, cette étude montre que la N-acétylcystéine réduit de manière significative les symptômes de trichotillomanie. La modulation pharmacologique de la voie glutamatergique apparaît comme efficace dans le contrôle de certains comportements compulsifs tels que la trichotillomanie.
Références
1. Hallopeau H. Alopécie par grattage (trichomanie ou
trichotillomanie). Ann Dermatol Syphiligr 1889 ; 10 : 440-1.
2. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical
Manual of Mental Disorders, 4th Edition. Text Revision. Washington,
DC. American Psychiatric Association, 2000.
3. Christenson GA et al. Estimated lifetime prevalence of
trichotillomania in college students. J Clin Psychiatry 1991 ; 52 :
415-7. 4. Duke DC et al. The phenomenology of hairpulling in
community sample. J Anxiety Disord 2009 ; 23 : 1 118-25.
5. Bouhanna P. Alopécies traumatiques. In : Bouhanna P, Reygagne P.
Pathologie du cheveu et du cuir chevelu. Paris, Masson, 1999 :
145-52.
6. Chamberlain SR et al. Trichotillomania: neurobiology and
treatment. Neurosci Biobehav Rev 2009 ; 33 : 831-42.
7. Bloch MH et al. Systematic review: pharmacological and
behavioral treatment for trichotillomania. Biol Psychiatry 2007 ;
62 : 839-46.
8. Berk M et al. Nail-biting stuff? The effect of N-acetyl cysteine
on nail-biting. CNS Spectr 2009 ; 7 : 357-60.
9. Grant JE et al. N-acetylcysteine, a glutamate modulator, in the
treatment of trichotillomania: a double-blind, placebo- controlled
study. Arch Gen Psychiatry 2009 ; 7 : 756-63.