L’allaitement maternel est-il trop en odeur de sainteté ?

Paris, le lundi 15 février 2010 – A la fin de l’année 2009, la Nouvelle Zélande a lancé une campagne en faveur de l’allaitement où les bienfaits de cette pratique pour l’avenir de l’enfant étaient clairement mis en avant. Sous l’image d’une mère comblée donnant le sein toujours à l’extérieur de chez elle, on peut en effet lire les légendes suivantes « future astronaute », « futur entrepreneur » ou encore « futur génie de l’internet ». Le message est clair : l’allaitement maternel constitue un élément essentiel pour offrir aux enfants les meilleures chances de réussite dans la vie. Allaiter n’est ainsi donc plus un choix laissé aux mères, mais un atout qu’il serait difficile de refuser à ce que l’on a de plus cher. En outre, à l’heure où les crises économiques freinent de plus en plus l’épanouissement professionnel de tous, et d’abord celui des femmes, ces dernières pourraient être conduites à s’interroger : « plutôt que de m’échiner sur ce terrain n’est-ce pas plus gratifiant d’être mère et de faire de mon enfant un chef d’oeuvre ? ». Ce cheminement de pensée, ainsi schématisé par la philosophe Elisabeth Badinter pour le site internet « Les Quotidiennes », serait de plus en plus prégnant dans nos sociétés modernes et représenterait selon elle un danger pour l’émancipation chèrement acquise des femmes, comme elle s’emploie à le démontrer dans son nouvel essai : « Le Conflit. La femme et la mère ».

La culpabilité est une arme imparable 

Avec pour première cible le retour de l’allaitement, qui concernerait aujourd’hui entre 60 et 70 % des femmes venant d’accoucher contre 15 % dans les années 70, Elisabeth Badinter dénonce la nouvelle image de la femme qui semble émerger dans nos sociétés occidentales où le rôle de la mère, la mère telle que Dame Nature l’a créée, paraît retrouver la première place. C’est tout d’abord le discours de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) prônant un allaitement exclusif à la demande pendant six mois puis un prolongement de l’allaitement parallèlement à la diversification de l’alimentation qui est dénoncé. Sur le site internet les Quotidiennes, elle précise ainsi son point de vue et ses arguments : « Je ne suis pas contre l’allaitement et pense même que le lait maternel est parfaitement adapté, mais pas pendant six mois et à la demande du bébé, comme le recommande l’OMS et d’autres experts ! Ce n’est plus une recommandation mais une obligation. Chaque semaine, on trouve de nouvelles vertus au lait maternel et de nouvelles raisons de se méfier du biberon. «Vous devez donner le meilleur à votre bébé» entend-on partout. Quelle mère supporterait de ne pas donner le meilleur? La culpabilité est une arme imparable ».

Ecologie : une nouvelle prison pour les femmes ?

Cette « culpabilisation » serait également présente dans les maternités publiques, observe la philosophe, qui fustige par ailleurs le discours de certains, ou plutôt de certaines écologistes, qui font l’apologie des couches lavables et qui multiplient les alertes sanitaires concernant l’industrie chimique, dont les mères « naturelles » auront à cœur de protéger leurs bébés. Sur fond de crise économique, ces différents discours qu’elle voit converger tendent à imposer à la femme un nouveau modèle, auquel certaines stars, mères allaitantes et épanouies, tentent de donner une image glamour. Elisabeth Badinter qui cite également les refus de plus en plus nombreux de la péridurale, qui empêcherait les femmes de connaître toutes les « joies » de l’enfantement, ou encore la montée de l’accouchement à domicile, considère que ces orientations, bien qu’elles ne soient pas générales, sont dangereuses pour la liberté des femmes. « La plupart des malheureuses qui ont pris l’Allocation parentale d’éducation (congé d’une durée de trois ans, ndrl) n’ont jamais retrouvé de travail. Imaginons que rien n’aille plus dans leur couple : elles seront donc obligées de rester, faute d’indépendance financière ? Quelle aliénation ! » résume-t-elle ainsi interrogée par l’hebdomadaire féminin Elle.

Faute d’être des mères parfaites, ne soyons plus mère du tout !

Le danger pèserait également sur la fécondité. Elle assure ainsi que dans les pays riches où les taux de natalité sont les plus bas, la « culpabilisation » des jeunes femmes, apellées à être des mères parfaites ou à ne pas être a joué son œuvre. Après un rappel historique concernant l’ « habitude des Françaises de faire garder leurs enfants », elle remarque : « A l’inverse de l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, la Grèce, le Portugal… des pays où la natalité s’est effondrée, pas seulement par manque de places dans les crèches mais à cause du jugement négatif de la société sur les femmes qui ne veulent pas arrêter de travailler pour garder leurs enfants. Du coup, elles en font moins ou plus du tout ».

Allaitement très prolongé

Venant des écologistes sévèrement épinglés dans son essai et des pédiatres promouvant l’allaitement (et pourquoi pas l’allaitement très prolongé) les critiques n’ont pas tardé à fuser contre Elisabeth Badinter, taxée « d’archéo féminisme » ! Celle qui avait déjà suscité de vives polémiques il y a trente ans en lançant le débat (toujours pas résolu) sur l’instinct maternel, et qui redoute que de nouveau la femme soit ramenée à ses fonctions biologiques, semble cependant avoir trouvé un sujet capable de faire frissonner l’actualité. Les forums de « mamans » foisonnent ainsi ces derniers jours de témoignages et contre témoignages autour de ces expériences d’allaitement prolongé, dont certaines dépassent les 24 mois, sans que l’on s’interroge sur l’effet contre productif de ces pratiques extrêmes.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (3)

  • Le retour du balancier

    Le 15 février 2010

    Il est toujours intéressant de noter que celle-là même qui a contesté, dénigré l'instinct maternel, ne le concevant que comme objet culturel imposé aux femmes dès leur plus jeune âge, se trouve débordée par les filles des mères à qui elle prônait ses idées et qui les ont, au moins en grande partie, appliquées.
    Pourquoi ces jeunes femmes qui choisissent d’allaiter n'ont pas reproduit le schéma de leur mère qui, elles, ne l’ont pas voulu. A croire qu’il leur a manqué quelque chose qu’elles veulent aujourd’hui donner à leur enfant ou qu'elles désirent s'approprier.
    Le retour au « naturel », écologique ou pas, montre qu’après un excès dans un sens, le retour du balancier nous ramène à l’autre, celui d’avant, générant au passage un désespoir intense à celles qui ont fondées leur vie sur un choix que leur conteste leurs propres enfants et plus encore pour Celle qui de son vivant, voit l’échec du féminisme excessif et outrancier qu’elle a toujours prôné, battu en brèche par les filles de celles qu’elle avait convaincues. Quel terrible échec !
    Aussi, elle ne veut voir dans cette contestation en miroir de ses idées que mouvement écologique et culpabilisation médicale des femmes, sans vouloir percevoir que cet instinct maternel, au moins en partie, a un substratum biologique que la culture sociétale peut amplifier ou laminer pendant un certain temps, seulement.
    Et son livre, à défaut de prendre véritablement en compte ces contestations de sa perception du dit instinct, cherche lamentablement à justifier l’utilité pour la gente féminine des fondements de sa position. Bonjour tristesse !

    Stéphane Roussel

  • Laisser aller

    Le 16 février 2010

    Il semble que vous vous laissiez aller à une promotion en bonne et due forme du livre de Mme Badinter laquelle occupe déja beaucoup de place dans les medias.
    Le sérieux de votre journal en pâtit.

    Dr M P

  • Le vieux modèle de la femme qui s'affranchit de son animalité

    Le 16 février 2010

    Le féminisme à la française a évacué les rapports "biologiques" entre mères et enfants, et a fait sien le modèle bourgeois ou aristocratique qui prévalait avant 1940, où les mères qui le pouvaient engageaient une nourrice, devenue ensuite nurse, où les enfants vouvoyaient leurs parents et avaient des rapports assez formels avec eux; ainsi l'allaitement était vécu comme "populaire", "attardé", "animal" dans les années 40-50 déjà par les mères modernes de l'époque. Une femme voulant allaiter dans les années 60-70 devait lutter contre les préjugés. Seuls les pédiatres - et les féministes - y étaient favorables.
    De l'eau a coulé sous les ponts; la société a changé, mais le vieux modèle de la femme qui s'affranchit de son animalité n'est pas encore mort...
    Allaiter 2 ans c'est inutile en occident; mais 60 % de mères allaitant à la naissance, c'est particulièrement peu en comparaison européenne (les femmes scandinaves ne sont, que je sache, pas moins affranchies que les françaises). Entre ces deux extrêmes, il y a place pour la raison.

    Jean-François Babel, Genève

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