Pathogénicité psychiatrique du tabac

Les fumeurs décrivent souvent les effets anxiolytiques et antidépresseurs du tabac, mais d’autres observations suggèrent que le tabagisme peut lui-même avoir, au contraire, un effet anxiogène ou déprimant, de sorte que son rôle exact demeure controversé : pathogène ou protecteur ?
Il pourrait être régi, au moins en partie, par des influences génétiques. Mais la recherche de ces prédispositions innées au tabagisme connaît « un succès mitigé » et le nombre de sites chromosomiques vraisemblablement impliqués semble réduit. Parmi ces locus candidats figurent CYP2A6 (un gène codant pour l’enzyme concerné dans le catabolisme de la nicotine) et CHRNA5-A3-B4 (gène codant pour les récepteurs nicotiniques α-3, α-5 et β-4, et associé à la quantité de cigarettes fumées, comme au phénomène de dépendance à la nicotine).

Les auteurs notent que le débat actuel sur la dangerosité psychiatrique du cannabis (liée à une majoration sans précédent du risque de psychose) a peut-être un effet pervers. Par sa focalisation sur les méfaits d’une autre substance, il contribuerait à occulter un autre débat, moins académique mais tout aussi préoccupant : celui de la nocivité psychiatrique du tabac, de surcroît bien plus répandu que le cannabis ! Car contrairement aux idées reçues sur un risque limité aux seules considérations somatiques (athérome, cancers…), certaines études suggèrent que le tabac présente également une dangerosité en termes de pathologie psychiatrique : contrairement au cannabis, celle-ci ne concernerait pas le registre psychotique, mais celui de la dépression. Si l’association entre tabagisme et accroissement du risque dépressif semble établie, sa nature exacte reste toutefois controversée. Elle ne procéderait pas d’une corrélation (lien de cause à effet) mais de la coexistence de facteurs de risques communs, probablement d’ordre génétique : on serait déprimé pour les mêmes raisons (en partie héritées) pour lesquelles on se mettrait à fumer. Et ce lien entre tabac et dépression paraît fonctionner dans les deux sens : une consommation de tabac importante et chronique augmenterait le risque dépressif ; au contraire, un usage plus ponctuel pourrait entraver une tendance anxio-dépressive, d’où la croyance (illusoire) assimilant le tabac à une substance « sédative » .

Dr Alain Cohen

Référence
Munafò MR & Araya R : Cigarette smoking and depression : a question of causation. Br J Psychiatry 2010 ; 196 (6) : 425-426.

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (4)

  • Tabac !

    Le 24 juillet 2010

    Tout est question de dose ! ...Et de susceptibilité particulière de la personne: Terrain !
    Rien de nouveau sous le soleil !

    J Waked

  • Quelques rappels de connaissances anciennes

    Le 28 juillet 2010

    La nicotine est d’autant plus utile au tabagique que le fumeur a souvent des lésions artérielles, notamment des carotides, qui rendent cette médication fort utile pour l’activité cérébrale. C’est cet effet bénéfique qui rend le sevrage du tabac si difficile.
    Prenez un ancien VIDAL et vous trouverez dans les années 60-80 le Nicyl papavérine, retiré du commerce. Le laboratoire Lematte et Boinot avait développé, des années 1930 aux années 1960, de nombreux médicaments dont beaucoup dérivés de l'acécolyne pour le traitement des ramollissements cérébraux, des ictus, de l'artérite et de l'hypertension. Citons parmi eux, les produits suivants : Hypotan, Nicyl, Papavérine, Nicobion ou Pressyl.
    Prenez un nouveau VIDAL et vous y trouverez les patchs de nicotine. Prenez la cigarette électronique : elle contient de la nicotine.
    Prenez les avis des anciens : ils fabriquaient des tisanes présentées par Nicot à Catherine de Médicis contre les migraines de ses fils. Ce sont les goudrons, non la nicotine, qui sont dangereux. Voyez les anciens avec des chiques buccales et des prises nasales contre les états de déprime.
    Prenez un ancien livre d’un savant pour approfondir : Les comportements d’Henri Laborit avec 15 pages sur la nicotine. L’acétylcholine a un effet nicotinique. La nicotine est un inhibiteur de la voie des pentoses. La nicotine injectée par voie intraveineuse chez l’animal d’expérimentation provoque une libération de Noradrénaline dans l’hypothalamus en passant par la formation réticulaire, c’est-à-dire les centres de l’éveil et de la vigilance. Ainsi la nicotine éveille le chat endormi avec démonstration d’une activation des tracés corticaux à l’EEG. La nicotine augmente la libération d’hormone antidiurétique. Des lésions dans la région ventrale de l’hypothalamus provoquent une destruction du centre de la satiété ce qui provoque des boulimies et des obésités. La mélatonine provoque la réapparition de l’appétence à l’alcool supprimée par l’infiltration des ganglions cervicaux supérieurs par la novocaïne. La nicotine libère l’épinéphrine qui est le neuromédiateur des faisceaux de la récompense (MFB). La nicotine favorise l’acquisition des apprentissages chez l’animal.
    Les études présentées ici ne tiennent pas compte des connaissances plus anciennes et me semblent bien peu expérimentées chez l'animal.

    Dr Jean Doremieux

  • La nicotine est loin d'être une substance anodine

    Le 28 juillet 2010

    Quelle que soit la qualité de ce texte du Dr Doremieux, on ne peut laisser dire, sans réagir, que "seuls les goudrons du tabac sont dangereux, non la nicotine". Le simple bon sens permet de conclure que, puisqu'elle a tant d'effets (décrits avec brio par notre lecteur), la nicotine est loin d'être une substance anodine. Seul un placebo n'aurait aucun effet secondaire... Et encore! Non, la toxicité du tabac ne se résume pas aux seuls goudrons. Mais il est clair aussi, à l'inverse, que la nicotine ne doit pas être la seule à incriminer. À la limite, un autre danger du tabac, relativement méconnu, est constitué par la chaleur apportée localement, cancérigène par elle-même, comme le prouve cette observation épidémiologique classique. Dans le Japon traditionnel, la femme devait attendre que son mari ait fini son thé avant de pouvoir toucher au sien. Résultat, les cancers de l'œsophage frappaient sélectivement les hommes, non parce que le thé serait cancérigène, mais parce que les calories du thé trop chaud le sont.

    Alain Cohen

Voir toutes les réactions (4)

Réagir à cet article