Paris, le mardi 21 février 2012 – Même marginale, la controverse actuelle entre médecins et pharmaciens quant à l’utilisation de la norme « non substituable » sur certaines ordonnances en vue d’éviter le remplacement d’un médicament princeps par un générique fait couler beaucoup d’encre. Les praticiens défendent mordicus cette possibilité de refuser l’utilisation d’une « copie », tandis que les pharmaciens y voient une option peu défendable qui nuit à leurs objectifs de substitution. Ce débat est d’autant plus ardent qu’il s’ajoute aux multiples interrogations qui entourent depuis plusieurs années l’efficacité et la sécurité des génériques nourries principalement par une défiance naturelle du grand public mais également par certaines interrogations des praticiens. La semaine dernière, l’Académie de médecine a rendu public un rapport sur la « place des génériques dans la prescription », établi par Charles Joël Menkès qui se propose de faire un résumé des enjeux en présence.
Des doutes qui ne collent pas
Une large part de ce travail s’intéresse aux « réticences » exprimées à l’égard des médicaments génériques. Charles Joël Menkès cite à cet égard les résultats d’une étude menée par des pharmacologues de l’Université Harvard publiée en 2001 dans les Annales de pharmacothérapie mettant en évidence que 23 % des 506 médecins interrogés émettaient des opinions négatives quant à l’efficacité des génériques, tandis que 50 % formulaient des doutes sur la qualité de ces produits. Par ailleurs, « un quart d’entre eux se refusaient à utiliser un médicament générique en première intention pour eux-mêmes ou leur famille » relève l’Académie. Cette défiance assez répandue est contredite par les résultats très rassurants des mesures de bioéquivalence effectuées ces dernières années par la Food and Drug Administration ou par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). La FDA a notamment réalisé en 12 ans 2 070 contrôles qui ont confirmé que la « différence de bioéquivalence entre produit princeps et produit générique ne dépassait pas 10 % ». La Commission nationale de pharmacovigilance a également émis un avis positif à l’égard des génériques, soulignant uniquement la nécessité d’une vigilance particulière quant « aux médicaments à marge thérapeutique étroite » dont la substitution par des génériques paraît plus difficile.
Des interrogations gênantes
Ces constatations et observations plutôt rassurantes sont cependant nuancées par le rapport de Charles Joël Menkès qui remarque que « La bioéquivalence entre produit référent et générique ne signifie pas qu’il y a automatiquement une équivalence thérapeutique, en particulier lors de la substitution d’un générique par un autre ». L’Académicien attire par ailleurs l’attention des pouvoirs publics quant à la nécessité de mieux contrôler l’application « des règles de bonnes pratiques dans la fabrication des médicaments génériques ». D’une manière plus générale, à l’instar de l’Académie de pharmacie, l’Académie de médecine évoque clairement ses inquiétudes concernant la délocalisation de la production de certains médicaments et les pénuries de matières premières. Enfin, concernant les objectifs économiques alloués aux génériques, le rapport les relativise en soulignant que si elles « sont non négligeables », elles paraissent « atténuées par la baisse des prix des médicaments princeps et le développement de formes princeps nouvelles ».
NS : non négociable
Fort de ces différentes constatations qui présentent les médicaments génériques sous un jour plus contrasté que ne le veut le discours officiel mais qui ne remettent cependant pas en cause leur utilisation (et leur utilité), Charles Joël Menkès formule plusieurs recommandations destinées à atteindre un usage plus raisonné des copies. Il insiste tout d’abord sur le fait que « la demande de non substitution, médicalement justifiée, doit être obligatoirement respectée par le pharmacien. Son maintien est indispensable à une médecine personnalisée tenant compte des situations à risques ».
Ce qui vaut pour les génériques, vaut aussi pour les princeps
En direction du gouvernement, l’Académie de médecine insiste sur l’importance « d’appliquer formellement les dispositions réglementaires de contrôle de qualité », une recommandation qui, insérée dans un rapport sur les médicaments génériques, permet de déceler une remise en cause des méthodes de fabrication actuelle de ces produits. Cependant, il apparaît bien plus certainement qu’une telle mesure devrait s’appliquer à l’ensemble de la chaîne de fabrication des médicaments, princeps ou non. Il en est de même pour la recommandation qui vise à « définir les principes actifs indispensables que la France doit avoir à sa disposition et donc fabriquer sur son propre territoire » : il s’agit d’une préconisation qui est loin de concerner exclusivement les génériques.
Eviter les changements incessants de produits
A contrario, plusieurs autres recommandations visent très clairement les seuls génériques et sont de nature à réconcilier les Français (et les médecins) les plus réticents vis-à-vis de ces produits. Le rapport suggère en effet de « rapprocher le plus possible la présentation du générique de celle du princeps aussi bien pour l’aspect extérieur, que par la mise à disposition des différents dosages utilisés, en évitant les excipients à effet notoire. En outre, il est souhaitable que, dans le cas des traitements chroniques, et des associations thérapeutiques, les patients puissent se procurer toujours la même marque de générique et donc que les pharmaciens disposent de l’ensemble des génériques sur le marché. Enfin, les génériques à marge thérapeutique étroite demandent à être utilisés avec prudence ».
Mots à maux
On s’en doute, ce rapport s’il n’est pas évidemment un règlement de compte contre les médicaments génériques ne pourra que raviver les débats qui animent médecins et pharmaciens sur ce sujet. En témoigne l’éditorial du dernier numéro du Moniteur des pharmaciens, intitulé « Ne jouons pas avec les maux » et qui s’achève par ces mots : « Entièrement d’accord sur l’importance d’une médecine de qualité, mais de là à dire que la réponse est dans la mention « NS », franchement, laissez moi rire ».
La polémique ne semble pas prête de retomber.
Aurélie Haroche