C. JAMIN,
Paris
Nous disposons de trois grands types de contraception : les méthodes non médicales, les PPR (pill, patch and ring, ou pilules, patches et anneau) et les LARC (long acting reversible contraception, contraception réversible de longue durée). Ces méthodes peuvent être évaluées, à l’instar de toutes les thérapeutiques, au moyen de trois critères : l’efficacité intrinsèque ; la tolérance et le risque ; l’efficacité en vie réelle, ou efficacité typique, qui associe l’efficacité intrinsèque et l’adhésion au traitement. Cette dernière est liée à la perception du traitement, à la tolérance et aux bénéfices non contraceptifs. Sachant que le plus grand risque de la contraception est sa non-utilisation, on ne peut évaluer un produit en réduisant l’analyse à l’un de ces critères comme le risque. Comment se positionnent les contraceptions à l’aune de ces trois critères ?
Les contraceptions non médicales, dont l’utilisation est liée au rapport sexuel, telles les méthodes naturelles et les préservatifs, n’ont pas vraiment de place en contraception en raison de leur très mauvaise efficacité intrinsèque et d’une efficacité encore plus médiocre en vie réelle : 40 %/an de grossesses avec les méthodes naturelles, 10 à 20%/an pour le préservatif. Les LARC sont dotées de la meilleure efficacité intrinsèque et en vie réelle. Faut-il pour autant les proposer en première intention ?
Proposer un LARC en 1re intention ?
Si l’efficacité intrinsèque des LARC (stérilets au cuivre – DIU Cu), ou au lévonorgestrel – SIU LNG), implant sous-cutané à l’étonorgestrel) est équivalente à celle des PPR, leur efficacité en vie réelle est près de 20 fois supérieure chez les femmes ayant opté pour ces LARC, en raison de l’absence de problème d’adhésion au traitement. Ils ne peuvent toutefois pas être proposés à l’ensemble des femmes. Même si la nulliparité n’est plus considérée comme une contreindication à la pose d’un stérilet au cuivre, il reste une contreindication : l’instabilité de la vie sexuelle qui fait courir un risque infectieux, si bien que toute une frange de la population féminine ne peut prétendre à ce type de contraception. De plus, le SIU au lévonorgestrel (LNG) induit des troubles du cycle et parfois des manifestations d’hyperandrogénisme. L’implant est probablement le moyen contraceptif le plus efficace, mais il a pour inconvénient d’entraîner soit une aménorrhée soit des troubles du cycle, ce qui n’est pas accepté par toutes les femmes. Il n’est pas exempt non plus de troubles cutanés. Le stérilet comme l’implant sont dénués de risque artériel et veineux. Toutefois, le risque lié à la pose d’un dispositif intra-utérin est supérieur au risque vasculaire de la contraception orale combinée (COC) estroprogestative : le taux de perforation utérine lors de la pose est d’environ 1/1 000 et celui des infections de 0,5 à 1 % l’année de la pose, comparativement à 2 thromboembolies veineuses (TEV) pour 10 000 femmes/an observées sous contraception estroprogestative (CEP). Les LARC, pas plus que les méthodes naturelles, ne constituent donc pas une alternative universelle et anodine aux PPR.
Parmi les PPR, certains comportent-ils moins de risque que les autres ?
Parmi les progestatifs purs, les macroprogestatifs n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en contraception, du fait de l’absence d’indice de Pearl et d’études validant le risque veineux et artériel. Le MPA injectable a un risque de TEV équivalent aux PPR (1) et est mal toléré. Les microprogestatifs n’ont pas d’impact sur les risques veineux (1) et artériel (2). L’efficacité du lévonorgestrel 0,03 mg (Microval®) est insuffisante car la glaire redevient perméable au bout de 27 heures après la prise. Restent les pilules au désogestrel 0,075 mg (Cérazette® ou générique), dont l’efficacité intrinsèque est comparable à celle des estroprogestatifs. Leur efficacité en vie réelle est cependant intimement dépendante de leur tolérance, laquelle est comparable à celle de l’implant, à savoir qu’elles peuvent provoquer des troubles du cycle dont l’acceptabilité est très variable. Les microprogestatifs sont, en revanche, particulièrement adaptés aux femmes ayant une contre-indication aux estroprogestifs. Ils ne peuvent non plus être considérés comme une contraception de 1re intention universelle en raison même de ce défaut de tolérance qui nuira à la persistance du traitement, donc à l’efficacité typique. Les CEP, qu’ils soient à base d’éthinylestradiol (EE) ou d’estradiol (E2), possèdent une efficacité intrinsèque équivalente, ce qui ne préjuge pas de leur efficacité typique, laquelle dépend de la tolérance. Il est possible que les pilules à l’EE permettent un meilleur contrôle du cycle, quoique la comparaison entre l’association nomégestrol acétate + E2 (Zoely®) et une 4e G à 30 γ d’EE associé à la drospirénone (Jasmine®) n’ait pas montré de différence majeure (3). Toutefois, il n’existe pas d’étude sur l’efficacité typique des CEP à base d’estradiol et très peu de travaux comparant les différentes générations en termes de tolérance et de persistance (seules les CEP à base d’EE entrent dans la classification par génération (4)).
La persistance sous traitement est-elle améliorée avec les 3e et 4e générations ?
Une seule étude ayant comparé une COC à 20 γ de lévonorgestrel à une COC à 20 γ de désogestrel a montré une meilleure persistance avec la pilule de 3e G, sans doute en raison d’un meilleur contrôle du cycle et probablement d’une meilleure tolérance cutanée, ce qui représente un facteur majeur d’observance( 5,6). Compte tenu du fait que les grossesses non désirées sont principalement liées aux arrêts de contraception (30 à 50 % la première année (7), et 20% des femmes ayant une vie sexuelle active ont des fenêtres contraceptives sous PPR dans l’année in press), lesquels sont favorisés par les problèmes de tolérance, il est possible mais non totalement prouvé que l’efficacité typique des pilules de 3e et 4e G soit supérieure chez les femmes ayant des manifestations d’hyperandrogénisme (absence d’études ne signifie pas absence d’effet (8)).
Y a-t-il une différence de risque veineux entre les COC de 2e G et de 3e ou 4e G ?
Les études publiées suggèrent que le risque TEV est plus faible avec les 2e générations comparativement aux 3e et 4e, ce qui ne signifie pas absence de risque avec les 2e (+ 2 cas pour 10 000 utilisatrices par an) ; le sur-risque 2e G/3e-4e G est évalué à 1,7 cas pour 10 000 femmes/an (9). Aucune de ces études n’a toutefois tenu compte de trois critères majeurs : les antécédents familiaux TEV, le poids et la notion de nouvelle utilisatrice, ce qui est essentiel(10). En effet, le risque TEV sous COC est majeur pendant les 6 premiers mois du traitement (x 20), si bien qu’un déséquilibre entre les groupes de comparaison aboutit à un sur-risque dans le groupe comportant davantage de débutantes (11,12). Trois études ont comparé des contraceptifs en ne prenant en compte que de nouvelles utilisatrices. L’étude EURAS n’a pas montré de différence significative de risque TEV entre pilule à la drospirénone et pilule de 2e G(13) ; de même, il n’a pas été mis en évidence de différence de risque entre l’anneau vaginal et les contraceptifs oraux dans l’étude TASC(14), contrairement à l’étude de Lidegaard (15). Enfin, dans l’étude de la FDA, le risque TEV avec l’anneau vaginal n’est pas augmenté comparativement aux COC de 2e G si l’on ne prend en compte que les nouvelles utilisatrices, alors qu’il est de 1,6 pour l’ensemble de la population étudiée(16). Dans cette même étude, le risque de la drospirénone reste un peu plus élevé que celui des 2e G, mais un biais de prescription ne peut être exclu étant donné que l’étude ne tient pas compte du poids et que les pilules à la drospirénone ont été promues comme ne favorisant pas la prise de poids. Il n’est donc nullement prouvé, mais simplement plausible, que le risque TEV des pilules de 2e G soit plus faible que celui des 3e et 4e G.
En prescrivant les 2e G en première intention, le risque TEV va-t-il baisser au niveau de la population ?
Il est peu probable que le report des prescriptions sur les COC de 2e G en 1re intention s’accompagne d’une diminution sensible des TEV dans la population.
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L’expérience britannique, après la première « pill scare », intervenue en 1995, en témoigne. Une étude analysant l’impact de la baisse des prescriptions de 3e G (de 53 % à 14 %) au profit des 2e G, n’a montré aucune diminution significative du taux de TEV, ce qui avait d’ailleurs conduit les auteurs à conclure que cette donnée était incompatible avec la notion d’un risque TEV doublé avec les 3e G comparativement aux 2e G(17). Il serait illusoire de penser que la disparition des pilules de 3e et 4e G fera disparaître ou même diminuer le risque TEV, d’autant que toutes les femmes débutant une contraception par une 2e G auront un risque augmenté durant les 6 premiers mois et donc supérieur à celui des femmes poursuivant une contraception de 3e-4e G. En toute logique, cela devrait conduire à mettre à l’index des 2e G, comme l’ont été les 3e et 4e G !
Y a-t-il une différence de risque artériel entre les CEP ?
Le risque artériel est principalement lié à des facteurs de risque identifiables (âge, tabagisme, HTA, diabète, dyslipidémie, antécédents familiaux précoces, migraine avec aura) ; si l’on en tient compte, aucune de ces pilules n’augmenterait le risque artériel (18). Plusieurs méta-analyses antérieures à l’étude de Lidegaard (19) avaient montré un avantage des 3e G sur les 2e G en termes de risque coronarien et un risque cérébral équivalent (20,21). Ø. Lidegaard ne trouve pas de différence de risque coronarien ou cérébral entre les différents contraceptifs, les événements étant trop rares et les effectifs insuffisants pour permettre une comparaison entre les produits(19).
Il n’y a pas non plus paradoxalement de différence de risque de mortalité entre les générations, ce qui conduit à revenir sur l’évaluation du risque veineux, éminemment variable selon la sophistication des moyens diagnostiques dans les études, et dont l’incidence est plus difficile à établir que celle de la mortalité pour laquelle le diagnostic ne fait aucun doute ! On peut établir l’hypothèse que, par méfiance à l’égard des COC de 3e et 4e G, les praticiens soient enclins à davantage rechercher une phlébite au moindre doute, d’où une possible surestimation des diagnostics de TEV chez les femmes prenant une CEP dotée d’une réputation thrombogène (22).
Et les pilules à l’estradiol ?
Les pilules à l’estradiol sont trop récentes pour que nous puissions disposer d’études épidémiologiques les concernant. En l’absence d’éléments de preuve clinique pour évaluer le risque veineux et artériel de ces pilules, nous sommes contraints de nous référer aux marqueurs de risque validés, éprouvés avec les précédentes générations de CEP. Ainsi, les 2e G augmentent moins la résistance à la protéine C activée et la SHBG, deux constats qui ont participé à conforter la conviction devant la fragilité des données épidémiologiques. Si l’on tient compte de ces critères biologiques, validés par certains, en les appliquant aux pilules à l’estradiol, ces dernières se comparent très favorablement aux pilules à l’éthinylestradiol : elles diminuent moins les facteurs d’anticoagulation, augmentent moins les facteurs de coagulation comme les D-dimères ou les fragments de la prothrombine et nettement moins la résistance à la protéine C activée, tout en ayant un effet comparable à celui des 2e G sur la SHBG, mais un effet très nettement inférieur à celui de 3e et 4e G sur cette SHBG (23).
Références
1. Mantha S et al. BMJ 2012 ; 345 : e4944.
2. Chakhtoura Z et al. JCEM 2011 ; 96 : 1169-74.
3. Mansour D et al. Eur J Contracep Reprod Health Care 2011.
4. Jamin C. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2012 ; 41 : 103-4.
5. Lawrie TA et al. Cochrane Database Syst Rev 2011 May 11 ; (5) :
CD004861.
6. Winkler UH et al. Contraception 2004 ; 69 : 469-76.
7. Peipert JF et al. Obstet Gynecol 2011 ; 117 : 1105-13.
8. Arowojolu AO et al. Cochrane Database Syst Rev 2012 Jun 13 ; (6)
:CD004425.
9. Plu-Bureau G et al. Best Practice Res Clin Endocrinol Metab 2013
; 27 : 25-34.
10. Shapiro S. J Fam Plan Reprod Health Care 2013 ; 39 :
89-96.
11. Suissa S et al. Contraception 1997 ; 56 : 141-6.
12. Van Hylckama Vlieg A et al. BMJ 2009 ; 339 : b2921.
13. Dinger JC et al. Contraception 2007 ; 75 : 344-54.
14. Dinger JC et al. Transatlantic Active Surveillance on
Cardiovascular Safety of Nuva-Ring.
15. Lidegaard O et al. BMJ 2012 ; 344 : e2990.
16. Sidney S et al. Contraception 2013 ; 87 : 93-100.
17. Farmer RD et al. BMJ 2000 ; 321 : 477.
18. Margolis KL et al. Fertil Steril 2007 ; 88 : 310-6.
19. Lidegaard O. N Engl J Med 2012 ; 366 : 2257-66.
20. Khader YS et al. Contraception 2003 ; 68 : 11-17.
21. Baillargeon JP et al. JCEM 2005 ; 90 : 3863-70.
22. Heinemann LA et al. Contraception 2007 ; 75 : 328-36.
23. Gaussem P et al. Thrombs Haemost 2011 ; 105 : 560-7.