
Inflation législative
Depuis, les quarante années qui se sont écoulées ont été marquées par une multiplication des avenants et des arrêtés, une inflation réglementaire conduisant à une organisation et une régulation toujours plus précise et technique de l’activité des médecins de ville, avec pour objectif, notamment, une maîtrise des dépenses et des actes. Au moins quatre-vingt-dix arrêtés, décrets, voire lois et règlements arbitraux ont été pris depuis l’adoption de la première convention, avec une véritable inflation ces dernières années. Ainsi, la convention médicale du 12 janvier 2005 a été l’objet de pas moins de 31 avenants ! S’ils n’ont pas connu de tels records, les textes suivants ont également été fréquemment amendés : l’actuelle convention (adoptée en août 2016) est ainsi déjà complétée de sept avenants.Faire et défaire, ce n’est pas une affaire
A l’hôpital, on observe la même tendance à une emprise de plus en plus marquée de l’état, qui même sous les gouvernements prétendument les plus libéraux, a voulu de façon de plus en plus étroite dicter ses modes de fonctionnement aux établissements de santé. C’est ainsi que « dix réformes majeures » ont tenté de « bouleverser l’organisation des hôpitaux » depuis 1958 et l’instauration des CHU quand seulement « quatre réformes jalonnent la vie juridique des hôpitaux et hospices entre 1789 et 1958 » remarquent dans leur introduction les auteurs d’un « Historique des réformes hospitalières en France » publié ce mois-ci par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES). Plus encore depuis 1979 et la loi du 29 décembre (le JIM avait deux mois !) qui donne au ministère de la Santé le pouvoir de décider de la suppression des lits, onze lois, ordonnances et plans majeurs se sont succédé. Marquées souvent par un fort hospitalo-centrisme (même celles affichant une inspiration plus libérale) et laissant souvent peu d’autonomie aux établissements (quoi qu’affirment certaines), ces législations ont parfois consisté à défaire ce que les précédentes avaient voulu mettre en place. Le détricotage de la loi Hôpital patient santé territoire (HPST) par la loi Touraine en est un exemple criant : mais dans tous les cas, les désillusions et les critiques ont été plus nombreuses que les satisfactions.Le tiers payant déjà perdant en 1991
Le retour sur ces différentes lois et réglementations révèle combien nombre de sujets et de préoccupations d’aujourd’hui étaient déjà en germe dans les débats et propositions d’hier. Ainsi, dès mai 1979, un avenant à la seconde convention « envisage l’expérimentation de formes nouvelles de distribution des soins ». Ainsi, déjà la remise en cause du modèle uniquement centré sur la consultation se faisait jour. De la même manière, on retrouve dès avril 1991 et la cinquième convention un avenant donnant aux « assurés (…) la possibilité de s’abonner auprès de leur généraliste à un système de tiers payant ». Si l’avenant a été annulé, on mesure déjà combien les ambitions de l’Assurance maladie en la matière ont longuement précédé les affres de la loi Touraine. On pourra également se souvenir de la loi Teulade qui en janvier 1993 avait voulu fixer des « objectifs prévisionnels annuels ou objectifs quantifiés nationaux avec sanction si non respect » ou faire appliquer des « références médicales nationales opposables à chaque médecin ». De telles ambitions n’ont pas toutes abouti, mais le désir d’une maîtrise accrue des prescriptions et des actes des médecins était clairement en évidence. On peut également se souvenir que la notion de « médecin référent » apparaît dès la convention de 1997 ou qu’en avril 1999 le Conseil d’Etat annule une disposition de la convention prévoyant la « dispense d’avance de frais pour une consultation de spécialiste sur renvoi d’un médecin référent ».55 francs en 1982
Au-delà de cette régulation minutieuse, qui est notamment passée par la restriction progressive du champ du secteur 2 (gelé dès 1990), le nerf de la guerre de ces conventions a toujours été l’argent et la fixation des tarifs des consultations. Sur ce point notamment, les négociations avec l’Assurance maladie ont souvent été conduites autant autour de la table que dans la rue : les défilés et les contestations ont été de moins en moins rares. Aujourd’hui, le C atteint 25 euros contre 55 francs au début des années quatre-vingts (1982). Compte tenu de la forte inflation au cours des quarante dernières années (et plus encore au début des années quatre-vingt), du passage du franc à l’euro, de la variabilité des prix et de l’évolution des salaires, les comparatifs apparaissent difficiles. Cependant, on observe, même encore ces dernières années, une progression régulière des émoluments totaux des médecins libéraux, qui aujourd’hui cependant ne se basent plus uniquement sur le nombre de consultations mais qui comprennent également différents forfaits. On notera enfin qu’en dépit de quelques tentations et la création de nombreux forfaits et autres aides, ces conventions médicales ont toujours résisté à l’idée de restreindre la liberté d’installation (alors que les infirmiers et les kinésithérapeutes ont pour leur part accepté [ou subi] en la matière des dispositifs de régulation).De bidules en machins
A l’hôpital, les questions budgétaires et le financement ont également été les moteurs des lois adoptées. Ainsi, en janvier 1983, une législation est adoptée qui instaure une différenciation entre les hôpitaux publics ou privés participant au service public hospitalier relevant d’une dotation globale de financement et les cliniques privées qui sont l’objet d’une tarification à la journée. Cette dualité persistera jusqu’en 2005 avec l’instauration de la tarification à l’activité qui sonne comme une véritable révolution et qui depuis n’a cessé d’être vilipendée. Ce tournant s’accompagnait d’une nouvelle vision de la gouvernance qui aura été l’autre grande préoccupation des législateurs de ces quarante dernières années, avec également l’organisation territoriale. Ainsi, on se souvient (peut-être !) de l’instauration en 1991 des Schémas régionaux de l’offre de soins puis en 2003 du remplacement de la carte sanitaire par le territoire de santé qui précédait la fin des Agences régionales d’hospitalisation ou la refonte des établissements hospitaliers en 2009 (loi HPST).Droit des patients : internet et la loi
Parallèlement à ces trémulations constantes autour de l’organisation des hôpitaux (avec disparition des services, apparition des pôles, retour des unités etc), le législateur s’est également beaucoup intéressé aux droits des malades durant ces quarante dernières années. Outre la mise en place de nombreux dispositifs devant permettre de limiter les coûts pour les patients (qui aujourd’hui sont plus souvent appelés des assurés), telle la création de la CMU en 1999 notamment mais aussi plus tard de l’Aide à la complémentaire santé (ACS), dispositifs installés concomitamment à la montée en puissance des mutuelles complémentaires, la loi sur le droit des malades de 2002 s’est voulue un tournant en vue d’une meilleure prise en considération de leurs aspirations. Libre accès au dossier médical, désignation de la personne de confiance, reconnaissance du droit de chacun de décider pour sa santé : les fondements d’un nouveau rapport entre le patient et son médecin étaient jetés par cette loi dont l’imprécision a parfois été regrettée (et qui n’a été qu’imparfaitement corrigée par les dispositions suivantes, notamment en ce qui concerne l’accompagnement de la fin de vie). Cette révolution ainsi soulignée par la loi devait connaître avec les nouveaux de mode de communication une expression plus radicale dans les faits.Internat pour tous et internat pour personne
Enfin, ce passage en revue des changements
organisationnels et structurels de ces quarante dernières années
devrait se pencher sur les soubresauts eux aussi nombreux qu’a
connu la formation primaire des médecins. Là encore, nous ne
pouvons que constater que nous sommes les héritiers de réflexions
déjà en germe il y a près de quatre décennies. C’est ainsi qu’alors
que la fin des épreuves classantes nationales (ECN) a été décrétée
cette année, certains se souviendront que la suppression du
concours de l’internat était déjà évoquée (et regretté par le JIM)
dès 1982 Mais une grève quasiment sans précédent dissuada le
gouvernement de mener à bien son projet qui se contenta de
maintenir le concours mais sous la forme d’un concours
universitaire. L’internat devait en effet connaître de belles
années, puisque dans les années 90 la suppression des certificats
d’études spécialisées (CES) conduisit à un internat obligatoire
pour tous. Cependant, en 2005, il devait disparaître pour laisser
la place aux ECN offrant à tous la garantie d’un poste (mais pas
nécessairement celui désiré, d’autant plus que la médecine générale
qui représente une grande partie des postes ouverts a longtemps
souffert d’une certaine désaffection qui paraît s’émousser ces
dernières années).
Avec le temps va…
Autant de rappels légaux qui ne permettent pas parfaitement de saisir l’évolution des esprits, le sentiment d’une certaine morosité qui paraît s’être emparée des médecins libéraux en particulier et des professionnels de santé en général, qui sont nombreux à considérer que les multiples changements de ces dernierss lustres (réglementaires et sociaux) ont conduit à des bouleversements qui changent (trop ?) profondément la nature de leur rôle et de leurs missions auprès des patients. Mais d’autres (la plupart ?) continuent à aimer leur métier faisant fi des télétransmissions, des messages de la CNAM, du parcours de soins pas très fléché, des forfaits ou des réformes hospitalières quand certains mêmes leurs trouvent quelques qualités.
Aurélie Haroche