
Paris, le samedi 22 avril 2017 – La bonne qualité du dialogue médecin/malade suppose l’instauration d’une véritable relation de confiance. La difficulté d’établissement de cette dernière tient entre autres aux présupposés nourris par les praticiens quant à ce que leurs malades veulent et sont capables d’entendre concernant leur pathologie et la prise en charge dont ils doivent faire l’objet. A l’ère d’internet qui a généralisé certains savoirs (avec plus ou moins de pertinence) et de l’affirmation d’une volonté plus déterminée des patients à participer à leurs soins, ces présupposés sont bouleversés. Dans ce cadre et pour aider les jeunes praticiens à mieux répondre au souhait de plus en plus largement exprimé de codécision, des "patients-enseignants" dûment formés font désormais partie prenante de la formation des futurs médecins. S’inspirant d’expériences conduites de longue date dans des pays anglo-saxons, le département universitaire de médecine générale (DUMG) de l’UFR Santé médecine et biologie humaine (SMBG) de Paris 13 (Bobigny) a fait figure de pionnier en la matière.
Deux responsables de cette introduction des patients enseignants dans la formation des médecins, Olivia Gross et Yannick Ruelle reviennent pour nous sur la mise en place et les objectifs de ce programme, ainsi que sur les observations qu’il a permises et sur les conditions de la réussite d’un tel dispositif.
Par Olivia Gross (1) et Yannick Ruelle (2)
Le département universitaire de médecine générale (DUMG) de l’UFR Santé médecine et biologie humaine (SMBH) de Paris 13 (Bobigny) a initié une réforme de son enseignement en 2014. Depuis cette date, il se répartit entre enseignements dirigés et des groupes d’enseignement à la pratique réflexive entre internes (GEPRI). Son adossement pédagogique est le référentiel métier des médecins généralistes. Il s’agit en particulier de conduire les internes à faire des propositions de soins centrées sur les patients, dans une perspective biopsychosociale de la santé.
Démocratie sanitaire
La démocratie sanitaire se définit par la participation individuelle des patients dans leurs propres soins et par leur participation collective au système de santé et de soins. Dans ce cadre et dans la lignée de nombreuses expériences étrangères, le DUMG a fait le choix d’intégrer des patients comme enseignants au côté des médecins enseignants. Cette logique découlait de l’idée selon laquelle des propositions de soins centrées sur les patients devaient être conçues avec des patients.
Concrètement, des patients coordonnateurs ont été intégrés à la commission d’enseignement du DUMG et des patients-enseignants interviennent dans tous les enseignements suivis par les internes du diplôme d’études spécialisées (DES) de médecine générale. Une vingtaine de patients ont été recrutés par les patients-coordonnateurs sur la base de compétences décrites dans la littérature : culture en santé, compétences relationnelles, communicationnelles et émotionnelles. Tous sont engagés dans une démarche de formation continue lors de laquelle ils élaborent leurs contenus pédagogiques en fonction des besoins de formation qu’ils détectent chez les internes. Ces patients-enseignants ont d’ores et déjà contribué à 300 heures d’enseignement.
Faire évoluer positivement la relation médecin/malade
Lors des GEPRI, les patients-enseignants sont invités à réagir par énaction* aux propositions de soins des internes. Autrement dit, il est attendu qu’ils se servent de leurs expériences personnelles, de leurs connaissances des attentes des patients actuels, et de celles des différentes orientations institutionnelles (normes éthiques, législatives…) pour réagir aux propositions de soins élaborées par les internes.
Ce programme posait en postulat que les propositions actuelles de soins sont perfectibles au regard des difficultés constatées par les médecins eux-mêmes dans le cadre de la relation médecin/malade ou au niveau de l’adhésion thérapeutique des malades. L’hypothèse centrale du programme repose donc sur l’idée que des patients-enseignants pourraient contribuer à ajuster les propositions de soins et à faire en sorte qu’elles suscitent davantage d’adhésion des malades.
Les patients préféraient être informés en temps réel sur leur état de santé
L’adossement à un laboratoire de pédagogie appliquée à la santé a été déterminant car un grand nombre de recherches collaboratives (émanant du DUMG et du LEPS [Laboratoire Educations et Pratiques de Santé]) encadrent le programme afin d’en déterminer l’acceptabilité et surtout l’utilité. Il s’agit de caractériser l’apport des patients-enseignants, ce qui dans le même mouvement permet d’éclairer l’écart entre les propositions de soins des internes et les attentes des patients. Ce creuset permet d’identifier des manques de la formation médicale (comme par exemple, le manque de connaissances des internes sur les droits des malades), et de discuter de la différence entre la qualité des soins du point de vue des internes et de cette dernière du point de vue des patients. Ainsi, les patients réclament des informations en temps réel sur leur état de santé, tandis que pour les internes, il n’est envisageable d’annoncer les diagnostics que concomitamment à un plan de traitement, ce qui diffère forcément l’annonce. Or, selon les patients-enseignants, dans cet intervalle, les examens se multiplient, ce qui génère chez les malades des questions angoissantes qui restent sans réponse. Les patients-enseignants enseignent également ce que les malades peuvent entendre de leur médecin. D’après eux, ils peuvent tout à fait entendre l’incertitude médicale, comme ils peuvent être sensibles à des arguments médico-économiques. Ils indiquent aussi que tous les patients consultent internet pour leur santé mais que peu d’entre eux osent s’en ouvrir à leur médecin. Ils invitent donc les médecins à faire apparaître ce tiers dans la consultation.
Ces exemples illustrent l’apport des patients-enseignants qui est audible par les internes parce qu’il est soutenu par l’institution : les patients-enseignants ont le statut d’enseignants vacataires et ils enseignent en binôme avec des médecins qui renforcent leurs messages. Le rôle du binôme médecin-enseignant/patient-enseignant est en effet primordial dans la légitimation des savoirs enseignés par les patients.
Parmi les clés de la réussite : la qualité du recrutement des patients-enseignants
Il s’agit d’une innovation pédagogique majeure, qui correspond aux attentes de la société et à celles de la formation médicale, au vu de sa dissémination rapide. Différents départements universitaires français mettent en effet en place ce type d’enseignement actuellement et certains sont intéressés par l’expérience de Bobigny. La médecine générale en particulier semble être très intéressée par ce type de programmes : FAYR-GP (Association française des jeunes chercheurs en médecine générale), dédie prochainement une séance plénière à ce thème au cours de sa pré-conférence annuelle, ainsi que le prochain congrès du Collège National des Généralistes Enseignants (CNGE).
L’expérience de l’UFR SMBH nous a appris que ce type de programme réclame 7 facteurs de faisabilité qui sont à l’origine d’un référentiel détaillé de bonnes pratiques : 1) l’engagement d’un doyen, d’un DUMG, d’un laboratoire de recherche dans la responsabilité sociale de leur UFR ; 2) l’intégration de patients « coordonnateurs » dans les différentes instances du DUMG et dans le comité de pilotage du programme ; 3) l’attention portée au recrutement des patients enseignants ; 4) celle portée à leur motivation ; 5) celle portée à l’implication des internes dans le projet ; 6) l’animation d’un comité de patients-enseignants où articuler collectivement leurs activités individuelles; 7) un entraînement au fonctionnement du binôme médecin-enseignant/patient-enseignant.
* Selon Wikipedia, "la notion d'énaction est une façon de concevoir la cognition qui met l'accent sur la manière dont les organismes et esprits humains s'organisent eux-mêmes en interaction avec l'environnement" (NDLR).
1 Laboratoire Educations et Pratiques de Santé EA3412, Bobigny, Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité
2 Département Universitaire de Médecine Générale, Ufr SMBH, Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité