A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie

Angers, le samedi 7 mai 2022 – C’est une affaire particulièrement difficile moralement que les magistrats du tribunal correctionnel d’Angers ont dû trancher ce lundi 2 mai. Une affaire de médecine, d’éthique mais aussi et surtout d’amitié. Un vétérinaire y était jugé pour faux et usage de faux.

Ce médecin des animaux n’était cependant pas dans le box pour une banale fraude, mais pour avoir, en 2019, falsifié une ordonnance afin de permettre à un ami atteint de la maladie de Charcot de se procurer des produits mortels et de mettre fin à ses jours.

Maladie dégénérative particulièrement incapacitante, la maladie de Charcot ou sclérose latérale amyotrophique (SLA) est une des principales causes de suicide assisté ou d’euthanasie dans les pays qui autorisent ces pratiques. Le vétérinaire avait d’abord refusé d’accéder à la demande de son ami de l’aider à se suicider mais face à sa souffrance et à sa détresse, il avait fini par céder. « Il faut surtout me laisser partir cette fois » avait écrit le malade dans sa lettre de suicide, lui qui avait déjà tenté par trois fois de mettre fin à ses jours.

Peut-on sauver une personne en l’aidant à mourir ?

Au procès de ce lundi, le vétérinaire ne faisait face à aucune partie civile. En effet, la famille de la « victime » le soutient et le remercie pour son geste. Le ministère public avait d’abord voulu le poursuivre pour assassinat, mais le vétérinaire n’ayant pas directement donné la mort à son ami, c’est donc pour le chef d’accusation de « faux et usage de faux » que le professionnel était poursuivi.

Clément, le parquet n’a requis que quatre mois de prison avec sursis. Mais les juges du tribunal correctionnel d’Angers sont allés plus loin, en prononçant la relaxe du prévenu au nom de ce que les juristes appellent l’état de nécessité.

Prévu à l’article 122-7 du code pénal, l’état de nécessité prévoit que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ». Ce principe permet donc habituellement d’exonérer la personne qui commet une infraction pour en sauver une autre. En prononçant la relaxe de celui qui a aidé son ami à mourir, les magistrats ont donc entièrement retourné le principe.

Pour Maître Antoine Barret, avocat du prévenu, les juges ont décidé de « considérer la personne dans son intégralité » et de considérer que par son geste, le vétérinaire avait « sauvegardé » la dignité de son ami. L’application de l’état de nécessité à un cas de suicide assisté est une première selon l’avocat.

Une affaire d’amitié

Difficile de dire si la décision du tribunal correctionnel d’Angers fera jurisprudence, d’autant plus que le parquet a d’ores et déjà fait appel de cette relaxe. L’affaire sera donc rejugée par la cour d’appel, puis éventuellement soumise à la Cour de Cassation, avant que la relaxe ne soit définitive.

Elle pourrait en tout cas alimenter le débat sur la législation sur la fin de vie, qui fait régulièrement la une de l’actualité à la faveur de certains drames. Si de plus en plus de nos voisins ont légalisé l’euthanasie et/ou le suicide assisté ces dernières années, la France s’en tient aux lois Leonetti-Clays de 2005 et 2016, qui autorisent de fait l’euthanasie passive (arrêt des soins et sédation profonde) mais incrimine toujours l’aide active à mourir.

Durant sa campagne de réélection, le Président Emmanuel Macron a promis qu’une « convention citoyenne sur la fin de vie » serait organisée durant son second quinquennat, se disant à titre personnel favorable au système belge qui autorise l’euthanasie.  

Le vétérinaire relaxé ce lundi se sent pour sa part loin de toutes ces questions hautement philosophiques. Son avocat l’assure, « son geste n’a rien de militant ». « Il ne mène aucun combat pour l’euthanasie, mais il a agi par compassion et empathie en voyant l’état de santé de cet ami se dégrader ». Pour lui, c’était une affaire d’amitié avant tout.

Quentin Haroche

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