
Une révolution ?
Cette année encore en effet, l’équipe du professeur Romain Gherardi, chef du service neuromusculaire à l’Hôpital Henri Mondor de Créteil, a mis en avant ses travaux concernant les adjuvants aluminiques. En ligne de mire notamment, des travaux publiés fin 2016 dans la revue Toxicology suggérant « que même injecté à faible dose dans des muscles de souris, l’adjuvant aluminique peut induire une accumulation d’aluminium à long terme et des effets neurotoxiques » avait expliqué en septembre 2017 la chercheuse Guillemette Crépeaux citée par Sciences et Avenir. La présentation de ces résultats s’était accompagnée d’une inévitable polémique quand certains avaient voulu faire croire que les recevant, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) avait estimé qu’il s’agissait là d’éléments fondamentaux devant nécessairement être l’objet de financements complémentaires. Dans les faits, aucun consensus n’avait pu être trouvé parmi les experts de l’ANSM et leur conclusion globale signalait la nécessité de poursuivre des travaux encore non définitifs.Sans hésitation
Ces derniers ont été l’objet d’une analyse détaillée de la part des auteurs scientifiques du blog Rougeole Epidémiologie. Il faut dire que ces derniers, qui ont fait de l’étude des vaccins leur spécialité, ne pouvaient qu’être intrigués par l’affirmation sans nuance du professeur Gherardi, qui au micro par exemple de Jean-Jacques Bourdin sur RMC cet automne, interrogé sur les adjuvants aluminiques a répondu : « Chez l’animal, ils sont neurotoxiques. Il n’y a aucune espèce d’hésitation à le dire ». Il faut donc que les résultats de sa dernière étude soient si spectaculaires pour que le praticien ne prenne plus la précaution du conditionnel habituel.Heureusement que les liens d’intérêt ne sont toxiques que si l’industrie est en cause !
Aussi, les experts de Rougeole Epidémiologie se sont penchés sur ces travaux. Comme tout bon lecteur d’études qui se respectent, ils se sont d’abord concentrés sur la question des conflits d’intérêt. Bonne surprise : « Les auteurs de l’étude ne déclarent aucun conflit d’intérêts ». Mais est-ce si sûr ? Les liens entre le professeur Gherardi et l’association Ensemble contre les myofasciites à macrophage (E3M) sont publiquement connus. « Cette association regroupe des personnes atteintes de ce qu'elles appellent donc "myofasciite à macrophages", soutenant que leur pathologie est causée par les adjuvants aluminiques. Cette association a participé au financement des études de Gherardi à hauteur de 80 000 euros. Sans compter le lobbying de l'association auprès de l'ANSM pour financer aussi les travaux du chercheur (à hauteur de 150 000 euros). Notons que ces sommes ne sont pas énormes pour de la recherche. Il n'est pas question ici de prétendre qu'il y a une histoire de gros sous derrière ce lien. Il faut simplement reconnaître que la proximité entre le chercheur et l'association est indéniable » remarque le blog. Est-ce grave docteur ? Les auteurs de Rougeole Epidémiologique n’ont pas fait de la traque des conflits d’intérêt leur priorité comme ils l’avouent facilement : « Nous, on doit l'avouer... on s'en moque un peu que ces liens ne soient pas déclarés dans l'article. D'abord, parce qu'on le savait déjà, mais aussi parce que ça ne veut pas forcément dire que l'étude est mauvaise pour autant. On va la lire avant de juger ». Néanmoins, ils ne peuvent s’empêcher de sourire : « Mais c'est cocasse, au vu de la vision de E3M concernant les conflits d'intérêts. Dans ce document de 2015, on assiste ainsi à la mise au pilori de ceux qui ne sont pas d'accord avec l'association, en dénonçant leur "proximité intellectuelle et financière" avec l'industrie pharmaceutique. Si on appliquait les critères de E3M, on pourrait alors dire que "La proximité intellectuelle et financière de Gherardi avec l'association E3M n'est pas un gage d'indépendance lorsqu'il s'agit de se prononcer sur l'origine d'une maladie qui est une certitude pour ceux qui financent une partie de ses travaux" » s’amusent-ils. De la même manière, ils observent que l’étude a été financée, outre l’ANSM, par le Children’s Medical Safety Research Institute (CMSRI). « Le CMSRI est une émanation de la "Dowskin Family Foundation", une association antivaccinaliste (qui se définit plutôt comme "pour des vaccins plus sûrs", évidemment). Gherardi siège au "scientific advisory board" du CMSRI (de même que Exley et Shaw, deux des auteurs de l'étude). Le CMSRI, c'est le genre à affirmer que Wakefield est une victime et non un escroc. Du coup, on en arrive à des situations surréalistes dans lesquelles Gherardi et Wakefield sont invités à s'exprimer au cours d'une même conférence (en Jamaïque par exemple, mais après on va râler parce que l'industrie pharmaceutique paierait les vacances des médecins, déguisée en conférences et séminaires, tout ça tout ça...), conférence subsidiée par le NVIC (National Vaccine Information Center, la ligue antivax US), elle-même en lien étroit avec... la Dowskin Foundation ! » épinglent-ils.Quelques (rares) bons points
Si cette entrée en matière donne un aperçu du ton et de la position a priori des auteurs du blog (position qui transparait encore dans le fait qu’ils semblent juger suspecte la rapidité avec laquelle l’article a été accepté), ils ne se montrent cependant pas systématiquement critiques. Ils notent par exemple que les auteurs de l’étude « sont conscients » du fait que « les conclusions d’études animales ne sont pas systématiquement applicables à l’humain ». Ils relèvent encore que « la conversion des doses de l’homme à la souris » utilisée dans l’étude répond aux recommandations de l’ANSM et signalent qu’il s’agit d’un « bon point ».Artefact scientifique ?
Mais au-delà de ces éléments positifs, l’étude paraît entachée de multiples biais qu’énumère l’analyse du blog. Ses auteurs ont notamment pu faire la constatation de nombreux écarts entre les données publiées et celles présentées lors d’une conférence en mars 2016. Ainsi, un cinquième groupe de souris « sensé représenter le cas d’un vaccin chez l’humain » ne figure pas dans l’article final. En outre « Certains résultats de l’article dans sa version publiée ne sont pas cohérents avec ceux présentés en mars 2016 ». Au-delà de ces décalages, les auteurs du blog signalent qu’il existe un « possible biais d’observation lors des tests comportementaux » en raison de l’absence de protocole en aveugle. Surtout, il apparaît que seuls six tests sur les trente-six réalisés sur les quarante souris sont significatifs. Sur les six tests restants, seuls quatre confortent la conclusion des auteurs qui veut qu’il existe une « différence significative » dans le groupe ayant reçu la plus faible dose (le groupe 200). « Finalement, on remarque qu'on a quand même 30 sous-tests qui disent "rien à signaler", pour seulement 4 sous-tests qui disent "attention à la faible dose" et 2 sous-tests difficilement interprétables. A ce stade, on ne peut même pas vraiment exclure la possibilité que les résultats significatifs puissent être (tout ou en partie) le fait du hasard. Par exemple, si vous faites plusieurs séries de 10 lancers de pièce, au bout d'un moment, vous allez tomber sur des séries avec un grand écart entre le nombre de piles et de faces qui pourraient laisser croire que la pièce est truquée alors qu'elle ne l'est pas. Ce sont des artefacts statistiques. C'est le problème des tests-multiples. (…) On ne peut donc exclure le fait que l'effet significatif de départ soit un artefact statistique » remarquent les auteurs du blog. Ils pointent également du doigt de nombreuses données manquantes.Données manquantes
Par exemple à propos de « la densité dans la région "ventral forebrain", impliquée dans l'anxiété. Les groupes contrôle et 200 sont significativement différents (plus de cellules pour le groupe 200). On doit donc comprendre que les souris du groupe 200 ont un niveau d'anxiété différent des souris du groupe contrôle. Mais les auteurs ne donnent pas les valeurs pour les groupes 400 et 800. Nous pensons que si les conclusions de l'étude sont que l'adjuvant migre plus facilement lorsqu'il est à faible dose, il serait normal de donner aux lecteurs les valeurs obtenues à des doses plus élevées pour comparaison. Dans la présentation de mars 2016, on peut trouver les valeurs pour le groupe 800 (…). Étrangement, dans la présentation, la valeur de "p" entre le groupe contrôle et le groupe 200 est très légèrement supérieure à 0,05 (0,056 en fait), ce qui ne serait indicatif que d'une tendance à strictement parler et non d'une différence significative. Dans l'article, p est inférieur à 0,05. Que s'est-il passé entre mars et novembre ? » s’interrogent les auteurs. Les responsables du blog évoquent par ailleurs le fait que « seules trois souris servent aux analyses de cellules microgliales et de tissus musculaires alors que cinq ou dix souris auraient pu être utilisées ». Enfin, ils déplorent des « incohérences entre la zone du cerveau affectée par les adjuvants (…) et les résultats des test comportementaux ».A la faveur de cette lecture, les auteurs du blog ne peuvent qu’être déçus que les promesses médiatiques ne soient pas tenues et suggèrent avec malice que ces travaux pourraient simplement conduire à augmenter la teneur en aluminium des adjuvants, si ce sont les faibles doses qui sont problématiques !
Voilà qui est piquant.
Pour lire en détail cette analyse vous pouvez consulter : http://rougeole-epidemiologie.overblog.com/2017/10/gherardi-mediatic-story-2-ou-3-verites-embarrassantes-sur-ses-etudes.html
Aurélie Haroche