
Réanimation : Marseille a-t-il battu Paris ?
De quoi s’agit-il ? Devant les députés de la commission, le Professeur Didier Raoult avait évoqué la question de la différence de mortalité des patients atteint de Covid-19 admis en réanimation à Paris et à Marseille. S’appuyant sur « un travail disponible en ligne », celui-ci a affirmé que « la mortalité dans les réanimations ici (à Paris) est de 43%. Chez nous (à Marseille), elle est de 16% ». « Le soin est passé au second plan », avait alors ajouté le défenseur de l’hydroxychloroquine.Faux ! Répond l’AP-HP
C’est par une lettre officielle adressée au Président de l’Assemblée Nationale, que Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, a choisi de répondre. Ce dernier réfute la véracité des chiffres en question : « nous n'avons aucune donnée qui place à 43% la mortalité dans les réanimations de l’AP-HP ».« D'autre part, il n'y a à ce jour aucune étude publiée qui analyse comparativement les taux de mortalité en réanimation, évaluées dans des conditions contrôlées, entre les hôpitaux parisiens et marseillais », ajoute-t-il. En effet, ces données sont encore attendues. Pour Martin Hirsch, c’est la sincérité des travaux des députés qui risque d’être remise en cause par le témoignage jugé inexact du professeur : « il me semble essentiel (...) que les travaux de la commission ne puissent être fondés sur des éléments factuellement faux, et que les suites qui s'imposent puissent être données », écrit le directeur général de l’AP-HP.
Le Professeur Raoult dégaine ses chiffres, pas de « miracle marseillais » pour Santé Publique France
Pour appuyer ses dires, le Professeur Raoult fait référence aux chiffres du Réseau européen de recherche en ventilation artificielle (REVA), qui n’ont pas fait l’objet d’une publication officielle. Dans le rapport de la cellule de crise de l’AP-HP du 14 avril, qui s’appuie également sur les données du REVA le pourcentage de décès en réanimation était alors évalué à 43% à l'AP-HP et 41% hors AP-HP (en Ile de France). Ces taux étaient de 50 et 47 % une semaine plus tôt. Au-delà de ces données parcellaires, les informations de Santé Publique France ne permettent pas de distinguer des taux en fonction des villes, mais par département ou par régions. A cet égard, on note que le taux de décès de patients hospitalisés atteignait 21,5 % en PACA et 17,9 % en Ile de France selon des données publiées le 14 mai.Le cas du « patient chinois »
Autre élément de l’audition provoquant l’ire des hôpitaux parisiens, le cas du traitement d’un « patient chinois ».Le Professeur Raoult a affirmé qu’un patient originaire de Hubeï de 80 ans s'était présenté « à la Pitié-Salpêtrière », avant d’être « renvoyé chez lui ». Il serait « revenu sept jours après » avant de « mourir dans un hôpital » faute de soins adaptés.
Faux, rétorque Martin Hirsch : « le seul patient chinois de 80 ans auquel peut faire référence le professeur Didier Raoult a été admis le 25 janvier 2020 à l’hôpital européen Georges-Pompidou. Il n’a jamais été renvoyé chez lui ».
Faux témoignage : une accusation gravissime
L’assistance publique parisienne n’est pas la seule institution à témoigner de sa colère. Pour la HAS, les propos tenus par Didier Raoult devant la commission d'enquête sur le Covid-19 sont « infamants » et relèvent de la « calomnie ».L’accusation de faux témoignage n’est pas anodine. L’article 434-13 du Code Pénal punit jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende le fait d’avoir réalisé « un témoignage mensonger sous serment » devant une juridiction. Les poursuites sont rares, mais elles existent. Concernant les faux témoignages devant des commissions d’enquête, on rappellera le cas (unique en son genre) du pneumologue Michel Aubier, condamné au mois de juin à six mois de prison avec sursis et 50.000 euros d'amende pour avoir menti en omettant de signaler ses liens avec un groupe pétrolier.
Enfin, au-delà des informations mensongères dénoncées par l’AP-HP, la tonalité générale des propos de Didier Raoult offusque une large part de la communauté médicale. Ses suggestions répétées concernant l’existence de conflits d’intérêt, par exemple au sein du Conseil scientifique, sont ainsi dénoncées par ce dernier. « A la suite des déclarations du Pr Raoult devant la commission d’enquête le 24 juin 2020, les membres du conseil scientifique Covid-19 considèrent ses propos et insinuations comme infamants et dépourvus de fondements », a ainsi réprouvé le président du conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, dans une lettre datée du 30 juin, approuvée par douze des treize membres du comité. Cette missive adressée aux députés conclut : « Les membres du conseil scientifique souhaitent vous faire part de leur vive réprobation à l’endroit d’allégations sans fondement tenues par le Pr Raoult pourtant sous serment, ainsi que de propos manifestement outranciers dont les intentions et les prétentions ne lui semblent plus guère relever du registre de la science ».
C.H.