Augmenter le nombre de médicaments à prescription facultative est-elle vraiment la voie à suivre ?

Paris, le mercredi 6 juin 2012 – L’automédication n’est pas le fort de la France. Ces produits disponibles sans ordonnance ne représentent en effet que 6,4 % du marché des médicaments contre 26 % en Pologne, 18,1 % en Grande-Bretagne ou encore 14,4 % en Allemagne ! Pour faire évoluer cette spécificité, quelques initiatives ont été tentées, dont la plus marquante ces dernières années fut la possibilité au sein des officines de proposer en accès libres certains médicaments. Cette stratégie n’a cependant pour l’heure pas contribué à une évolution très rapide de la situation française.

Automédication : le remède n°1 face à la crise !

Ce relatif échec n’empêche pas aujourd’hui les fervents partisans de l’automédication de plaider pour la mise en œuvre d’autres mesures. S’ils se montrent aussi empressés, c’est qu’ils voient dans l'automédication la solution à de très nombreux problèmes. Pour les pharmaciens, bien sûr, la délivrance de produits sans ordonnance, pour lesquels les prix sont libres, permet de pallier un peu la diminution désormais constante du volume de vente de médicaments. L’industrie pharmaceutique quant à elle place de grands espoirs dans l’automédication comme remède à la crise. De fait, en 2011, face à un marché du médicament en recul (-1,1 %), l’automédication a connu une légère progression (+1,9 %). Par ailleurs, pharmaciens et industriels estiment que l’automédication pourrait plus globalement constituer une réponse aux enjeux économiques actuels. Si les Français se montraient plus enclins à l’automédication, les remboursements tant de consultations que de médicaments seraient en effet moindres. Enfin, ils avancent que face à la désertification médicale annoncée, les Français pourraient être contraints à plus d’autonomie dans le domaine médical.

Fin du monopole des pharmacies : la solution la plus évidente mais la moins envisageable

Ces différents arguments en faveur de l’automédication énoncés, reste à trouver les moyens qui permettront effectivement de la développer dans un pays où les patients sont très attachés à la prise en charge de leurs médicaments et ne se laissent donc pas séduire facilement par le libre achat de ces produits. Bien sûr, l’observation des exemples européens pourrait suggèrer très clairement d’ouvrir le marché du médicament et de mettre fin au monopole des officines. Cependant, on le sait, une telle option est fermement rejetée par les pharmaciens. Aussi, l’association professionnelle représentant les industriels des médicaments d’automédication (AFIPA) ne se risquera pas à la défendre, sans toutefois totalement fermer la porte à cette solution. « Ce circuit de distribution ne convainc pas pour le moment » observe avec sagesse Pascal Brossard président de l’AFIPA, cité dans un communiqué de son organisation diffusé à la veille du congrès annuel de l’Association européenne des spécialités pharmaceutiques grand public (AESGP) qui se tient à partir d’aujourd’hui à Nice.

Des économies pouvant aller jusqu’à 1,5 milliards d’euros par an !

Demeure une autre stratégie également inspirée de l’observation des exemples européens : le délistage, encore appelé « switch », soit le fait de faire passer certains médicaments à prescription médicale obligatoire (PMO) dans la catégorie de ceux à prescription médicale facultative (PMF). Pour convaincre les pouvoirs publics du caractère bénéfique d’une telle opération, l’AFIPA a fait réaliser une étude par Celtipharm afin d’évaluer les « économies réalisables par la collectivité sur la prise en charge des patients et sur les consultations médicales en cas de délistage de certaines molécules relevant d’indications adaptées à l’automédication ». Celtipharm s’est basée sur une liste établie par l’agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM, ex AFSSAPS) il y a quelques années recensant les molécules non délistées en France et accessibles « librement » dans d’autres pays d’Europe, soit au total 114 produits. Le lancement d’un tel « switch » permettrait de réaliser 398,4 millions d’euros par an d'économies (181,9 millions au titre du remboursement des consultations et 216,5 millions au titre de la prise en charge des médicaments) et jusqu’à 1,5 milliards si le délistage s’accompagnait d’un déremboursement.

Cependant, une telle révolution semblant peu envisageable, Celtipharm a affiné son évaluation en incluant dans un second calcul uniquement les molécules indiquées dans le traitement de la migraine, de la rhinite allergique et du reflux gastro-oesophagien (soit les trois premières sources d’économies). En année pleine, l’Assurance maladie pourrait réaliser en cas de pareil délistage (sans déremboursement) 209 millions d’économie chaque année (dont 25,5 millions d’euros liés au switch des médicaments contre la migraine, 88,7 liés aux médicaments contre la rhinite allergique et 94,8 millions liés à ceux contre le RGO). 

Le mésusage des médicaments : quel coût pour la santé et l’économie ?

Si ces chiffres pourront apparaître très séduisants en cette période de crise économique, il est peu probable qu’ils convaincront définitivement les décideurs. Interrogé sur le sujet par le JIM avant l’élection présidentielle, Jean-Marie Le Guen spécialiste des questions de santé au parti socialiste se montrait clair : « La maîtrise des risques sanitaires liés aux produits de santé est aujourd’hui insuffisante. Je ne suis donc par principe pas favorable à cette augmentation du nombre de médicaments vendus sans ordonnance. Elle ne ferait en effet qu’ajouter aux risques préexistants ». Il manque en effet un élément à cette étude présentée par l’AFIPA : les coûts économiques et sanitaires engendrés par un mésusage accru des médicaments.

Aurélie Haroche

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions

Soyez le premier à réagir !

Les réactions aux articles sont réservées aux professionnels de santé inscrits
Elles ne seront publiées sur le site qu’après modération par la rédaction (avec un délai de quelques heures à 48 heures). Sauf exception, les réactions sont publiées avec la signature de leur auteur.

Réagir à cet article