Cash : qui veut saper la confiance des Français dans les infirmières ?
Paris, le mercredi 7 décembre 2022 – L’Ordre national des
infirmiers (ONI) a dévoilé il y a une quinzaine de jours les
résultats d’une enquête réalisée par Opinion Way sur les
liens entre les Français et les infirmiers. Le sondage révélait que
95 % des Français considèrent que les « infirmiers sont des
acteurs de santé de proximité indispensables dans les territoires
», tandis que 86 % sont tout à fait confiants dans les
capacités des professionnels de santé non-médecins et notamment des
infirmiers pour « exercer de nouvelles missions dans leur champ
de compétences ». Par ailleurs, les témoignages se multiplient
rapportant la satisfaction des patients quant à la qualité des
prises en charge réalisées par des infirmiers de pratique avancée
(IPA) à l’hôpital comme en ville.
Fraudeurs en blouses blanches
Ainsi, la relation entre les Français et leurs infirmiers semble
marquée par une profonde confiance. L’émission Cash Investigation
contribuera-t-elle à l’amenuiser ? Le prochain numéro du programme
proposé par Elise Lucet sur France 2 se présente ainsi : « Vous
pensez sûrement que ce sont les assurés les plus gros fraudeurs de
la Sécurité sociale. Détrompez-vous. En 2021, selon les chiffres de
l’Assurance Maladie, 72 % du montant des fraudes détectés sont le
fait des professionnels de santé… (…) L’un des chiffres de
l’Assurance Maladie nous a surpris. Les infirmiers libéraux sont
les professionnels de santé qui fraudent le plus. Nous vous
dévoilerons comment certains d’entre eux gonflent artificiellement
les factures des assurés et notamment des patients les plus âgés et
vulnérables ».
Une nomenclature imbitable
Cette présentation a évidemment ulcéré les syndicats
d’infirmiers libéraux qui n’ont semble-t-il pas été consultés. Or
ces derniers mettent tout d’abord en avant un fait mathématique :
les infirmiers libéraux sont les professionnels de santé les plus
nombreux. Par ailleurs Convergence Infirmière signale : « La
réalité, c’est que notre nomenclature, qui contient plus de 100
actes, est une source inépuisable d’erreurs. D’ailleurs les CPAM
elles-mêmes en perdent leur latin et ont des interprétations
divergentes sur certains sujets. Notre NGAP (nomenclature NDLR)
faite par des énarques et pour des énarques est une cause très
importante d’indus. A quand une simplification pour éviter les
pièges institutionnalisés ? Les libellés des ordonnances médicales
ne correspondent que rarement à la réalité de la NGAP et les
médecins n’ont évidemment pas de temps à consacrer à l’écriture
d’une longue ordonnance. De plus, la façon de procéder aux
contrôles est piégeuse ».
L’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux
(ONSIL) renchérit dans une lettre qu’elle incite ses adhérents à
envoyer à la production de Cash Investigation : « La majorité de
ces demandes d’indus sont attaqués en justice, et les caisses sont
le plus souvent déboutés ! Par ailleurs, certains indus sont
spontanément remboursés par les professionnels dès lors qu’ils en
apprennent l’existence. Le droit à l’erreur est accessible à tous
depuis quelques années, mais les caisses continuent à être juge et
partie et à qualifier tous les indus, mêmes ceux de 8,58 €, de
fraude. Par ce biais effectivement, les procédures auxquelles elles
ont accès sont accélérées, simplifiées, et permettent d’appliquer
des pourcentages de dommages et intérêts très importants en plus du
remboursement de l’indu ».
Grève fantôme
Les syndicats se montrent d’autant plus échaudés par cette
présentation que l’article 44 de la loi de financement de la
Sécurité sociale pour 2023, qui vient d’être définitivement
adoptée, prévoit de nouvelles procédures concernant les indus, qui
ulcèrent les professionnels de santé et notamment les infirmiers
libéraux. « La défiance et le mépris des pouvoirs publics sont à
leur comble puisque désormais les indus pourront être extrapolés à
partir d’une fraction de l’activité du professionnel de santé »
écrit Convergence Infirmier.
Ces accusations de Cash Investigation et ces nouvelles salves
des pouvoirs publics s’inscrivent en outre dans un contexte de plus
en plus complexe pour les infirmiers libéraux. Alors que ces
derniers doivent faire face à l’augmentation du prix des carburants
et à une charge de travail toujours plus importante, ils étaient en
grève ce 1er décembre ; un mouvement qui a été cependant quelque
peu éclipsé par celui des médecins.
Des avancées, mais insuffisantes
Les infirmiers, en ville, comme à l’hôpital, connaissent pourtant
un profond malaise que des présentations comme celle de Cash
Investigation ne peut que majorer. Une récente enquête de l’Ordre
des infirmiers révèle ainsi que 29 % des infirmiers (tous modes
d’exercice confondus) envisagent de quitter la profession, tandis
que seulement 27 % conseilleraient le métier à leurs proches ou à
leurs enfants. Aussi, les attentes vis-à-vis des pouvoirs publics
sont fortes : « 97 % des infirmiers interrogés estiment qu’il
est urgent que le gouvernement tienne son engagement d’actualiser
le décret qui encadre les compétences infirmières », engagement
formulé au début de l’année par Olivier Véran.
Si cette promesse n’a pas encore été réalisée, plusieurs avancées
notables peuvent cependant être relevées. Il y a quelques semaines,
l’approbation par le ministère de la Santé de l’avenant 9 à la
convention nationale des infirmiers doit permettre l’entrée en
vigueur de nouveaux forfaits pour les infirmiers de pratique
avancée, des majorations liées à l’âge du patient, tandis que
l’avenant détaille les conditions de réalisation d’actes de
télésoin. Par ailleurs, la loi de financement de la sécurité
sociale a entériné l’élargissement des compétences vaccinales des
infirmiers. Plusieurs expérimentations doivent par ailleurs être
lancées concernant la réalisation des certificats de décès et
l’accès direct. Des dispositions qui pourraient ne pas être
complètement suffisantes à apaiser le malaise de plus en plus
profond de ces professionnels.
Je n'ai pas réagi avant d'avoir vu le reportage hier soir sur A2. Les faits sont là, clairs et documentés et montrent clairement que des auxiliaires médicaux (libéraux) se sucrent copieusement et frauduleusement sur la S.S. profitant, il est vrai et c'est tout aussi inacceptable, du fait que la même S.S. ait inscrit en priorité des priorités (merci Mme Touraine !) le paiement ultra rapide des actes aux professionnels de santé, en oubliant, au passage, de nous préciser que cette mesure, à la fois démagogique et hypocrite, cache une politique de réduction de la masse salariale dont les "contrôleurs" font partie. On a ainsi ouvert un boulevard aux tricheurs et escrocs de tout poil qui, apparemment, ne sont pas moins nombreux dans nos rangs que dans d'autres corporations. C'est désolant et révoltant, j'en conviens mais c'est un fait, même si celles et ceux qui ne "mangent pas de ce pain-là" y voient une salissure insupportable de notre idéal (hé oui ça existe aussi). Encore heureux que ça existe toujours et la présence de "marchands de soupe", d'escrocs, de falsificateurs, de "faiseurs d'actes fictifs", lourdement nomenclaturés (c'est plus juteux), ne devrait en aucun cas affaiblir la détermination et la motivation des autres à accomplir nos missions dans le respect le plus scrupuleux des règles de probité et de déontologie, nous qui avons le privilège d'être au service d'une cause qui peut parfois nous sembler plus grande que nous mais qui donne un sens extraordinaire à notre travail quand on s'y implique. Comme d'habitude, lorsque arrivent sur la table des révélations gênantes et "documentées", les syndicats dégainent le refrain victimaire qui tend à couvrir les pires fraudeurs, ce qui ulcère encore plus les autres membres de nos professions et qui explique peut-être (ce fut mon cas, après avoir pourtant été vice président départemental d'un syndicat de kinés libéraux) le désengagement de tant de professionnels de la vie syndicale et la représentativité "homéopathique" desdits syndicats... Et c'est bien dommage. Bien sûr que nos professions attendent depuis longtemps l'évolution, à la fois des "décrets de compétence", de certaines règles d'exercice, de la NGAP et de la mise en route des modalités d'exercice des pratiques avancées mais nous devons savoir aussi que si certaines dispositions peuvent nous paraître évidentes, à celles et ceux tout au moins qui n'ont pas négligé leur formation continue et qui justifient des délégations de soins ; mais il me paraît surréaliste que nous soyons en mesure de délivrer des "certificats de décès" alors que nous ne pouvons nous targuer de réunir la formation sémiologique et nosologique nécessaire à effectuer des constats juridiquement crédibles. Il ne faudrait pas confondre promotion professionnelle et mythomanie... La chute n'en serait que plus dure.
H. TILLY (IDE+ MKDE)
Un but inavoué ?
Le 12 décembre 2022
Bonjour à tous, Je ne peux qu’abonder dans le sens de la réaction de notre confrère ci-dessus. Il est parfaitement inadmissible de voir toutes ces malversations, pour le moins, qui contribuent à conforter une perte de confiance vis à vis de la probité et de l’honnêteté dont devrait faire démonstration pérenne la profession infirmière. Cela dit je m’interroge sur cette montée en puissance visant à démasquer et punir les indélicats. Ce n’est que justice certes, mais je me demande si, au final, tout cela ne fait pas partie d’une stratégie visant à faire disparaître le statut libéral des infirmiers. Ne serait-il pas formidable de faire rentrer tout ce joli monde dans un système salarial bien borné qui empêcherait de tels abus ? Quelle économie formidable, quel contrôle définitif cela engendrerait ! Bien sûr j’affabule, je délire dans mon petit coin. Néanmoins je voudrais attirer l’attention de nos chers décideurs sur les conséquences néfastes que de telles pratiques punitives vont produire. A force de toujours « tirer sur le pianiste » la petite musique des soins ne se fera plus entendre. Avec la crise du Covid nous avons vu notre système de santé se déliter davantage. Nombre de praticiens, qu’ils soient médicaux et paramédicaux, abandonnent la profession. Certains même avant la fin de leur cursus de formation. D’autres épuisés, tant physiquement que mentalement, s’en vont vers d’autres horizons. Du jamais vu dans de telles proportions. Les dernières avancées ne semblent convaincre personne parmi mes consœurs et confrères. D’un côté on nous fait miroiter un hypothétique élargissement de nos compétences dont beaucoup d’entre-nous doutent du bien-fondé et de l’efficacité. Et je ne parle pas de la controverse sur les compétences et donc de la validité de telles propositions. Faire le ménage pour se débarrasser de « brebis galeuses » ? C’est très bien. Attention à ne pas davantage augmenter la pression sur une profession déjà bien fragile avant qu’elle ne se brise sur les écueils de plus en plus acérés que dressent nos zélés « contrôleurs de probité » et autres gardiens du temple des Dépenses de Santé. Personnellement j’en suis à mon « Chant du Cygne ». Proche de la retraite je vais quitter mon activité qui se termine sur une activité de remplacement et avec un sentiment de dégoût et d’écœurement alors que je rêvais d’une fin de vie professionnelle apaisée. Objectif non atteint. Pire, lorsqu’on me demande si je conseillerais ce métier, je dis non ! Faites autre chose si vous souhaitez exercer une profession ou la (les ?) menaces de tous ordres seront moins prégnantes. Triste constat après 38 ans de carrière, mais c’est le mien. Continuez donc chevaliers en armure rutilante à pourfendre l’escroc, le menteur, le voleur... mais faites bien attention de ne pas entraîner avec vous une profession dont vous pourriez regretter, très rapidement, la disparition. A moins que ce ne soit là un but inavoué ? La question reste ouverte.
J-L Bortolaso, IDE
Ne rien lâcher !
Le 12 décembre 2022
Merci de me rejoindre, cher confrère, sur l'essentiel de mes griefs mais je ne pourrai jamais être d'accord avec quiconque pour sombrer dans le découragement et, disons-le, une forme de défaitisme, même si je puis comprendre celles et ceux qui y parviennent. Simplement, ce n'est pas dans mon ADN qui est plutôt combatif et le demeure, bien que je sois en retraite depuis 10 ans (à 71 ans), même si j'ai dû, la mort dans l'âme, fermer tout simplement mon cabinet de Kiné, sans doute le plus important cabinet de Kiné respiratoire du département, aucun confrère ou consœur n'étant candidat à le reprendre, fût-ce gratuitement, personne ne voulant assumer la moindre "permanence des soins", la moindre "garde", corollaires incontournables de cette spécialité. Et qu'on ne vienne pas me casser les oreilles avec un discours victimaire et misérabiliste sur notre exercice. Bien sûr, ça pourrait être mieux, ça pourrait toujours être mieux ; c'est dans l'ordre des choses mais nous ne sommes pas fondés à en faire une sinistrose ou alors devenons tous des lemmings et jetons nous de la falaise. Non ! C'est un combat (parmi d'autres) que nous avons à mener et c'est précisément là où nos syndicats devraient concentrer leurs efforts intelligemment car c'est là en particulier qu'est leur rôle et non dans une lutte intersyndicale au couteau pour manger la laine sur le dos de l'autre, ce qui, entre autres, fait fuir les syndiqués potentiels... et les autres aussi. En conscience, croyant profondément à la beauté et à la noblesse de notre profession, je suis résolument de ceux qui conseilleraient à un jeune d'entrer dans le métier mais en l'éclairant sur les combats à mener et en l'encourageant à les mener. Bonne retraite à vous, Confraternellement