
Épreuve magistrale
Paresse de la générosité
Il y a bien sûr un chapitre Maltraitance dans l’ouvrage publié
il y a quelques mois par Isabelle Mordant intitulé Mystère de la
fragilité. Mais il ne s’agit pas des pages où Isabelle Mordant
raconte comment, à l’instar d’autres mères d’enfants atteints
d’ostéogénèse imparfaite elle a d’abord été soupçonnée d’être
atteinte de Münchhausen par procuration avant que le diagnostic de
son fils ne soit établi. Il s’agit d’un douloureux récit sur la
façon dont une institutrice et une auxiliaire de vie ont refusé de
reconnaître la fragilité de Thomas. « Une fracture n’a jamais
empêché de marcher » a ainsi lancé l’enseignante à la jeune
mère pour lui reprocher la « paresse » de son fils, tandis
que l’auxiliaire de vie évoque un petit garçon « capricieux
», notamment parce que Thomas ne pouvait se résoudre à dire
systématiquement « s’il te plait » dès qu’il avait besoin de
son aide pour déplacer son fauteuil roulant ou utiliser un objet.
Cette obsession de la politesse fonctionna comme une humiliation
dans cette classe, visant à sans cesse rappeler à l’enfant sa
dépendance. Et Isabelle comprit alors que son fils devrait «
être encore plus poli qu’un autre, même si cela lui pèse, et
même si l’aide qu’on lui apporte est naturelle et ne devrait pas
faire l’objet d’une reconnaissance excessive »,
écrit-elle.
Voyageur de commerce
Les premiers contacts difficiles de Thomas avec l’école ne
l’ont pas empêché d’être un enfant ultra brillant, pas plus que sa
maladie qui l’a contraint à de nombreuses absences. Il faut dire
qu’alors qu’il a trois ans et qu’il vient de subir une lourde
intervention chirurgicale, Isabelle découvre que sans qu’elle le
lui ait appris, son petit garçon connaît toutes les lettres de
l’alphabet et a compris seul le mécanisme de la lecture. Quelques
semaines plus tard, il sait couramment lire. Cette facilité
exceptionnelle, sa curiosité ne seront malheureusement pas des
sésames suffisants pour ouvrir toutes les portes des écoles. Sans
cesse, Isabelle doit se battre pour défendre l’importance et la
nécessité de la scolarisation de son fils : « Je me fais l’effet
d’un voyageur de commerce frappant aux portes pour vendre une
camelote dont personne ne veut » raconte-t-elle. Et quand ce
jour de septembre 2015, elle célèbre avec son mari, un peu plus
encore sans doute que les parents des « autres conscrits »
l’entrée de son enfant à Ulm, elle se souvient en observant
l’accueil que reçoit son fils : « Pour moi, qui depuis des
années enchaîne les démarches afin que Thomas puisse faire les
études qu’il aime et dont je le sens capable et à qui maintes et
maintes fois on a répondu que c’était impossible et même,
d’ailleurs inutile, cette attitude est nouvelle et incroyablement
rafraîchissante. Il me semble que Thomas est enfin arrivé chez lui.
Au-delà de ma fierté et de ma joie, je savoure le sentiment que
Thomas, à qui tout le monde, ou presque, prédisait une existence
misérable, va être heureux ici », écrit-t-elle en forme de
prologue.
Au détour d’un couloir
« J’aime la vie »
Aurélie Haroche