
Paris, le samedi 4 juin 2016 – Quelques mois après l’adoption de la proposition de loi des députés Alain Claeys et Jean Leonetti créant des "nouveaux droits" pour les personnes en fin de vie et instaurant notamment un «droit » à la «sédation profonde et continue », le sociologue Philippe Bataille, directeur d’étude à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) nous propose une analyse de ce texte. Il en regrette les limites et le caractère opaque, qui ne sauront, selon lui, répondre de manière satisfaisante au souhait exprimé par les Français de pouvoir décider de l’instant de leur mort, en cas de maladie grave et incurable, afin de conserver intacte leur "dignité".
Par Philippe Bataille *
La loi Claeys-Leonetti (2016) de la sédation profonde sans réveil ne s’ouvre ni au suicide assisté ni à l’euthanasie. Le législateur délimite l’interdit de tuer dont le Conseil national de l’Ordre accuse la médecine de dérives (affaire du docteur Nicolas Bonnemaison). Les Français qui précédent la mort naturelle se déplacent là où les législations étrangères les accueillent. Le suicide assisté était pourtant dans les propositions de la Consultation nationale sur la fin de vie (Sicard, 2013) et la Conférence citoyenne suggérait sa légalisation en 2013. En 2000, déjà, le Comité consultatif national d’éthique avait suggéré l’exception d’euthanasie (avis 63) réclamée par Chantal Sébire en 2008, et par tellement d’autres ( https://www.change.org/p/pour-une-loi-sur-le-suicide-assist%C3%A9-en-france-findevie).
Une fausse parade
Mais des arguments moraux ont créé la cacophonie dans les deux Assemblées. Avec le consensus pour seul horizon politique, le statu quo a été la règle qui s’est imposée. Trop forcé le consensus de 2005 (Loi Leonetti) révèle ses contradictions en 2016 (Loi Claeys-Leonetti). Les normes soignantes et l’activité des professionnels de santé en pâtissent. Les désarrois de la mort assistée s’ajoutent aux désordres de l’hôpital auxquels font face les services d’urgence où le besoin de médecine à la fin de la vie cherche refuge. Car c’est de souffrances et de dignité dont il est question dans ces moments que le temps suspend.
L’absurde est que la loi Claeys-Leonetti ne résiste pas aux tendances législatives qui s’ouvrent à l’euthanasie et au suicide assisté partout ailleurs qu’en France. Enfouir l’intentionnalité d’un décès dans le masque du sommeil, fait de la sédation profonde sans réveil, à la fois l’euthanasie belge qui accompagne médicalement la demande individuelle de suicide au bout du chemin; l’aide active médicale à mourir canadienne qui englobe euthanasie et suicide assisté; le jeune suicide assisté californien qui sollicite une euthanasie ; le suicide euthanasique suisse. La mort médicalisée déborde l’interdit de tuer que brandissent les pourfendeurs de l’euthanasie et du suicide assisté qui accouchent d’un paradoxe dont le silence fait loi. Le législateur croit avoir trouvé une parade avec la sédation profonde sans réveil, alors qu’il invente un opaque laissez-tuer-sédatif à la française qui invisibilise ce qu’il prétend combattre.
La dignité de la fin de vie mal assurée
La dignité à la fin de la vie y perd, et les inégalités sociales
devant la mort s’aggravent. Les injustices s’embrasent avec des
privilèges qui renaissent dans le secret des pratiques médicales.
En témoigne la monstrueuse affaire du CHU de Reims (Vincent
Lambert) qui n’en finit pas. Elle prouve que plus l’accompagnement
d’un mourant est publique et juridique, plus la médecine s’en
trouve paralysée et le droit dans l’impasse. Alors qu’elle agit
efficacement dans l’ombre, la loi Claeys-Leonetti craint la
lumière. Occulter l’intentionnalité du décès va pourtant à
l’encontre de l’éthique de la responsabilité médicale et de la
confiance que les patients placent en leur docteur, sans sortir le
médecin et les Français des impasses juridiques de la mort qui se
décide.
* sociologue, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en
sciences sociales (EHESS)