Conflit d’intérêt

Genève, le samedi 18 novembre 2022 – Le directeur général de l’OMS est particulièrement investi dans le règlement de la guerre au Tigré, la région d’où il est originaire.

C’est une guerre qui a fait plusieurs dizaines de milliers de morts et des millions de déplacés et qui est pourtant totalement occulté par les médias, tous concentrés sur le conflit en Ukraine. La guerre du Tigré ravage depuis deux ans cette région du nord de l’Ethiopie, favorisant famine et épidémies et charriant son lot de massacres et d’exactions. Sans entrer dans un cours de géopolitique de la corne de l’Afrique, rappelons que cette guerre oppose le gouvernement éthiopien dirigé par Abiy Ahmed (qui, comble de l’ironie, a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2019) au Front de Libération du peuple du Tigré (FLPT).

Un parti politique et groupe armé qui compte parmi ses anciens membres…le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, actuel directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Le cher pays de son enfance


Si le médecin éthiopien est né en 1965 à Asmara, actuel capitale de l’Erythrée (à l’époque encore partie intégrante de l’Empire d’Ethiopie), c’est bien dans la région du Tigré qu’il a passé son enfance. Sa thèse de médecine porte d’ailleurs sur la prolifération du paludisme dans cette région qui fut longtemps victime d’épidémie de malaria, de tuberculose et de rougeole.

C’est d’ailleurs cette maladie qui a emporté son frère à l’âge de seulement 4 ans. Un drame qui l’a poussé à épouser une carrière médicale. Mais c’est finalement par la politique qu’il se fait connaitre. En 2005, le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, chef du FLPT, le nomme ministre de la Santé. Ses succès dans la lutte contre le VIH et la tuberculose dans son pays lui permettront d’être élu à la tête de l’OMS en 2017.

Depuis, le directeur de l’instance onusienne, utilise son influence pour tenter de mettre la lumière sur le conflit oublié qui ravage le pays de son enfance. En avril dernier, il s’était ému de la surmédiatisation du conflit ukrainien par apport aux guerres en cours au Yémen, en Syrie et donc en Ethiopie et constatait amèrement que le monde « ne prêtait pas le même degré d’attention aux vies des Noirs et à celle des blancs » et que « certains sont plus égaux que d’autres », paraphrasant ainsi George Orwell. Le 19 octobre dernier, il a même évoqué le risque que l’armée éthiopienne commette un « génocide » au Tigré.

« La pire crise humanitaire dans le monde »


Le Dr Tedros reconnait lui-même qu’il a parfois bien du mal à ne pas faire intervenir son histoire personnelle dans son rôle en principe indépendant de directeur de l’OMS. « Oui, je suis originaire du Tigré et oui cela m’affecte personnellement, je ne prétends pas le contraire, la plupart de mes proches se trouvent dans les zones les plus touchées, plus de 90 % d’entre eux » a-t-il rappelé. « Je veux leur envoyer de l’argent, mais je ne peux pas, ils meurent de faim, je le sais et je ne peux pas les aider, je ne sais même pas qui est mort ou qui est vivant » a-t-il lancé plein d’émotion en évoquant sa famille.

Un conflit d’intérêt qui n’est pas du goût de tout le monde. Le gouvernement éthiopien, qui mène le conflit contre le FLPT, accuse ainsi l’ancien ministre « d’utiliser son poste pour faire avancer ses intérêts politiques personnels au détriment des intérêts de l’Ethiopie » et a demandé que l’OMS enquête sur les interférences de son directeur dans la guerre. Des critiques qui n’ont pas empêché le Dr Tedros d’être réélu à la tête de l’organisation onusienne en mai dernier.

C’est avec soulagement que le directeur de l’OMS a salué le cessez-le-feu entre les belligérants ce 3 novembre et la signature d’un accord de paix entre le gouvernement et le FLPT samedi dernier. Il espère désormais que la fin des combats permettra d’acheminer nourriture et médicaments dans la région de son enfance, qui subit selon lui « la pire crise humanitaire dans le monde ».

Nicolas Barbet

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