
Paris, le lundi 5 décembre 2022 – Bien sûr, les hôpitaux ne
seront pas concernés. Tel est l’enseignement sur lequel beaucoup
ont voulu insister la semaine dernière alors que le gouvernement
préparait les Français à l’hypothèse de coupures d’électricité
programmées cet hiver pour faire face à d’éventuelles pénuries.
L’arrêté du 5 juillet 1990 a en effet établi une liste d’usagers
prioritaires qui devront être systématiquement épargnés par les
procédures de délestage. Les hôpitaux, cliniques et laboratoires
font partie de cette liste. Les patients à hauts risque dépendants
d’un équipement médical à domicile, un peu moins de 5000 personnes
seront pour leur part les destinataires d’une information
spécifique deux jours avant une coupure programmée. Le caractère
prioritaire des établissements de santé devrait contribuer à «
épargner » automatiquement certaines zones connaissant une
importante concentration de centres de santé, et notamment la
région parisienne.
Difficultés supplémentaires pour les personnels
L’exclusion des établissements de santé des procédures de
délestage ne signifie nullement que l’organisation des soins ne
risque pas d’être perturbée par ces courtes périodes sans
électricité. Une des premières conséquences pourrait notamment être
la difficulté des personnels à accéder aux établissements,
puisqu’il existe un risque que certains trains, métros et tramways
soient bloqués et d’autres annulés. Par ailleurs, la fermeture des
écoles entraînera sans nul doute des difficultés pour de nombreux
parents. Enfin, les coupures d’électricité pourraient entraîner un
afflux de patients dans les services d’urgences.
Comment appeler les secours sans électricité ?
Plus préoccupant encore, les opérateurs de ligne téléphonique
ne font pas partie de la liste des infrastructures prioritaires.
Résultat : les numéros d’urgence pourraient être indisponibles.
Christel Heydemann, dirigeante d’Orange assure citée dans Le Monde
: « C’est un sujet sur lequel Orange et la Fédération française
des télécoms alertent le gouvernement depuis le début de l’année
2022 ».
La panne d’Orange le 2 juin 2021 qui aurait conduit à la mort
de six personnes a pourtant constitué en la matière une alerte
sérieuse. Cependant, Enedis rappelle que le guide Orsec signale que
« l’utilisateur dont l’activité ne peut pas supporter une
coupure ou une interruption d’un réseau doit s’équiper de moyens
palliatifs propres ». Mais la Fédération française des télécoms
réfute cette argumentation : « Le réseau est conçu pour le grand
public. Pour des batteries qui tiennent deux heures, il faudrait
des équipements de plus d’une tonne au pied de chaque antenne, des
pylônes de plus de 30 mètres. A ce niveau de coût, on n’aurait pas
pu déployer le réseau d’antennes que nous avons aujourd’hui »,
explique-t-il. De son côté le gouvernement, affirme travailler sur
le sujet en cartographiant les zones qui ne sont pas couvertes par
le 112 (joignable quel que soit l’opérateur), ce qui n’exclut
cependant pas quelques zones « blanches ».
22°C dans les chambres
Ainsi, on le voit, le fait que les hôpitaux fassent partie des
structures prioritaires est loin de suffire pour que le système de
soins ne soit pas perturbé par d’éventuelles coupures
d’électricité. Au-delà, en amont, la crise énergétique a un grand
impact sur les établissements de santé : les coûts deviennent en
effet de plus en plus difficiles à assumer. Une fois encore, le
gouvernement en est conscient qui a mis en place le dispositif «
amortisseur électricité » qui entrera en vigueur le 1er janvier
2023 et qui prévoit la prise en charge partielle des factures de
certaines structures n’ayant pas accès au bouclier tarifaire, dont
les hôpitaux.
Par ailleurs, une centrale d’achat vient en aide aux
établissements en fin de contrat avec leur fournisseur d’énergie.
En outre, le ministère de la Santé, la Caisse nationale de
solidarité pour l’autonomie (CNSA) et l’Agence nationale d’appui à
la performance (ANAP) ont commencé à recruter 150 personnes dédiées
à la transition énergétique des établissements sanitaires et
médico-sociaux.
Beaucoup n’ont cependant pas attendu ces derniers mois pour
s’emparer de ce problème : ainsi le CHU de Poitiers, par exemple,
produit sa propre électricité depuis le milieu des années 1990.
Plusieurs hôpitaux se sont par ailleurs engagés depuis longtemps
dans la réduction de leur consommation énergétique ; ils sont enfin
de plus en plus nombreux à avoir opté pour une diminution de la
température dans les chambres (passée de 24°C à 22°C).
Des coûts stratosphériques
Au-delà de ce que représente symboliquement pour un pays riche
le fait d’amoindrir le confort de ses malades, ces efforts sont-ils
suffisants ? Dans les colonnes du Monde, il y a quelques jours
Steven Le Gouill et Anne-Claire de Reboul, de l’Institut Curie
qualifiaient de « stratosphérique » l’augmentation du coût
de l’énergie pour le budget des établissements de soins. Ils
énuméraient : « La vétusté de notre parc immobilier hospitalier
alourdira encore plus la facture, de nombreuses structures étant
des passoires thermiques. Un établissement de soins est pourtant un
monstre de consommation d’énergie : il ne s’agit pas uniquement de
chauffer les chambres des patients, les salles de soin, les blocs
opératoires, ou de préparer les repas, mais aussi de faire marcher
les scanners, les IRM, de stocker les données des patients dans des
salles qu’il faut maintenir à température ».
« L’idée de plafonner le coût de l’énergie pour les
hôpitaux se posera forcément et pourra offrir une porte de sortie
court-termiste. Mais il faudra bien, quoi qu’il en soit, régler la
facture, en mettant le contribuable ou les entreprises à
contribution si nous voulons maintenir un niveau de soins digne
» prévenaient-ils encore.
Refroidis par l’inculture scientifique de nos dirigeants
Tout cela aurait-il pu être évitable ? Quand on sait qu’une
des raisons de la situation actuelle est l’indisponibilité de 30
réacteurs nucléaires sur 56, certains sont tentés de répondre par
l’affirmative. Etendu la semaine dernière à l’Assemblée nationale
par la Commission d’enquête sur la souveraineté et indépendance
énergétique, Yves Bréchet, Haut-Commissaire à l'énergie atomique de
2012 à 2018, n’a pas eu de mots assez durs pour fustiger «
l'inculture scientifique et technique de notre classe politique
», qu’il considère comme « au cœur du problème ».
« La doxa prônant le passage de 75 à 50 % de la capacité
électro-nucléaire, la confusion entre la puissance installée et la
puissance délivrée, l'omission des coûts de réseau et de stockage
dans l'évaluation des aspects économiques des différentes sources
d'électricité, le refus de procéder à une analyse de fond des
expériences faites chez nos voisins, témoignent au mieux d'une
naïveté confondante (…) La propension à considérer que les
technologies en développement (l'hydrogène comme vecteur
énergétique, les smart-grids) peuvent être, en situation d'urgence
climatique, des technologies à déployer massivement, dans
l'instant, témoigne d'une méconnaissance profonde des délais de
développement. (...) Inversement, la procrastination sur toutes les
décisions concernant le nucléaire et la politique d'annonces dans
l'attente de décisions concrètes de mise en chantier montrent une
ignorance stupéfiante de l'inertie intrinsèque des industries
lourdes et de la nécessité d'une vision stable à long terme pour
conserver l'outil industriel au bon niveau. L'incapacité à penser
l'ensemble d'un système énergétique conduit à des PPE
[Programmations pluriannuelles de l'énergie, N.D.L.R.] qui sont un
collier de perles gadget au moment où on aurait besoin d'un câble
robuste. » a-t-il ainsi asséné.
Un message qui à la lueur des difficultés que connaissent tous
les secteurs résonne de façon particulièrement amère.
Aurélie Haroche