Covid-19 : des personnes âgées ont-elles été sacrifiées ?
Paris, le mercredi 29 juillet 2020 - Le drame de la Covid-19 s’est
incontestablement joué dans les établissements hébergeant des
personnes âgées dépendantes (EHPAD). D’abord parce que leur
fermeture au tout début du mois de mars a créé les conditions d’un
isolement et d’un abandon que les dispositifs d’échange les plus
modernes ne sont pas toujours parvenus à rompre et qui se sont
révélés parfois cruels à l’approche de la mort. Et surtout parce
que ce sont dans ces établissements, où les personnels ont eu
parfois le sentiment d’être livrés à eux-mêmes dans la prise en
charge de leurs résidents, que la Covid-19 a été la plus
meurtrière, tuant en leur sein 10 516 personnes.
Le débordement des services a-t-il conduit à exclure les plus
vieux ?
Les personnes âgées vivant dans ces EHAPD ont-ils bénéficié d’un
égal accès aux soins ? Cette question taraude les professionnels de
santé et les décideurs politiques depuis plusieurs semaines. Le
président de la commission d’enquête parlementaire, Eric Ciotti est
convaincu que la France a manqué à son devoir vis-à-vis de ses
aînés. A ses yeux, les plus vieux ont été sacrifiés, en raison de
l’engorgement des services de santé. Il en veut pour preuve les
chiffres de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation
des soins (DHOS) qui ont été transmis à la commission parlementaire
concernant l’âge des patients admis en réanimation et qui sont
révélés aujourd’hui par Le Monde. On constate qu’alors que
la courbe épidémique approche de son plus haut niveau entre le 30
mars et le 5 avril, seuls 14 % des patients présents dans ces
unités étaient âgés de plus de 75 ans, quand hors épidémie et par
exemple dans les premières semaines de janvier ils représentent 25
% des malades. Il apparaît par ailleurs que dans certaines régions,
notamment en Ile-de-France où l’épidémie a été la plus forte, les
taux ont été plus bas encore : entre le 30 mars et le 5 avril,
seuls 6 % des admis ont plus de 75 ans, une proportion qui
augmentera jusqu’à 10 % la semaine suivante. Constatant qu’en «
temps normal, malgré les risques, un quart des patients en
réanimation sont des personnes âgées », Eric Ciotti est
convaincu qu’un « tri » a été opéré uniquement en retenant
l’âge, face à l’engorgement des services.
Quel rôle de l’âge dans les stratégies de priorisation ?
Ce n’est pourtant pas l’appréciation de la situation par les
responsables sanitaires et les praticiens. Outre les déclarations
d’intention du patron de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris
(AP-HP) qui a plusieurs fois affirmé que le dépassement des
capacités n’avait jamais été atteint en Ile-de-France, beaucoup
invitent à se rappeler que la réanimation en cas de Covid n’est pas
semblable à une réanimation plus classique, après par exemple une
chirurgie, entre autres à cause de sa longueur. « Imposer cela à
un patient de 75 ou 80 ans, c’est complétement déraisonnable »,
a par exemple observé Eric Maury, président de la Société de
réanimation de langue française, entendu hier par la commission.
Les spécialistes interrogés ont ainsi semblé s’entendre pour
assurer que les « procédures de tri » n’avaient pas été
significativement modifiées par la situation épidémique. Cependant,
on sait également que la Société française d’anesthésie-réanimation
(SFAR) et le Service de santé des armées (SSA) ont élaboré début
avril une « stratégie de priorisation » des traitements de
réanimation, afin de pouvoir s’appuyer sur des critères objectifs.
Ici l’âge n’est pas un critère d’exclusion en soi, mais cette
donnée « comme l’existence d’un handicap, sont nécessairement
intégrés à une réflexion sur le pronostic » notent les deux
instances.
Pas d’accès ni à la réanimation, ni à l’hôpital
Cependant, dans de nombreux cas, les services de réanimation
ont pu faire l’économie d’une discussion sur la pertinence d’une
réanimation, le choix ayant été fait en amont de l’hospitalisation.
Les personnels d’EHPAD ont ainsi été nombreux à évoquer la
saturation des SAMU et leur refus dans certains cas de prendre en
charge des patients trop âgés ; tandis qu’une note ministérielle
avait explicitement invité les établissements à éviter «
d’emboliser les services hospitaliers de patients âgés pour
lesquels l’hospitalisation ne serait pas bénéfique ». Face à
ces préconisations et aux multiples obstacles pour obtenir une
prise en charge, les personnels ont souvent exprimé leur désarroi.
« Il nous ont renvoyé la responsabilité de les soigner. Mais ce
n’est pas notre métier de gérer les épidémies. Nous, nous gérons la
vie quotidienne des gens âgés » témoigne par exemple pour
France TV, Eric Lacoudre, directeur de deux Ehpad associatifs à
Sillingy et Cervens (Haute-Savoie). La mise en place progressive de
filières gériatriques a permis d’améliorer la coordination des
soins, ainsi que la hotline gériatrique, mais un sentiment de
colère demeure, partagé par certaines familles. Réunies au sein du
Collectif 9471 (parce que créé le jour où 9 471 morts étaient
dénombrés dans les EHPAD), plusieurs d’entre elles attendent des
éclairages sur les conditions de non prise en charge de leur
proche. Seul une étude au cas par cas de chaque dossier, analysant
non seulement l’état du patient mais également la situation des
services de santé au moment de ses premiers symptômes peut
permettre de déterminer si des cas manifestes de défaut de prise en
charge peuvent être déplorés. Sans doute, face à l’émotion suscitée
par la situation dans certains EHPAD, sera-t-il difficile de faire
totalement l’économie d’un tel travail d’analyse.
Et si tous les témoignages ci-dessus étaient exacts. Ils en rejoignent d'autres, nombreux, qui font état d'un silence ou d'un refus de réanimation pour des personnes âgées. La réanimation était-elle pertinente ? Oui et non suivant les situations. Le refus d'admission suppose une proposition par un médecin. La demande n'est donc pas forcément infondée. Pas moins que la réponse négative qui peut être adéquate au vu de la situation de chaque patient. Mais aussi pour des raisons stratégiques de saturation des moyens : c'est la définition de la catastrophe au sens "disaster" du terme.
Tout se passe comme si tout le monde a raison au plan qualitatif : cela eut bien lieu. Reste à évaluer les aspects quantitatifs : combien de pertes de chance et combien d’admissions discutables ? Réponses dans les années qui viennent.
Dr Bernard Pradines, ancien anesthésiste-réanimateur et gériatre
Sacrifice bilatéral (voir Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées)
Le 29 juillet 2020
J'ai plutôt l'impression que ce sont les personnes plus jeunes, auxquelles ont été refusées prise charge, hospitalisation et traitement (et singulièrement les cancéreux privés de chirurgie et de radiothérapie [un cas dans ma famille], mais à peu près toutes les autres pathologies, qui ont été sacrifiées pour utiliser toutes les ressources en matériel, en personnel, voire en médicaments (curare) au seul profit des malades atteints de la pandémie...
Dr Jean-Fred Warlin
Un EHPAD sain et sauf
Le 29 juillet 2020
J'ai lu ceci : L'Ehpad Maisonnée Boisvallon à CEYRAT (63) a été épargné par le coronavirus. Aucun résident, aucun personnel n'a été contaminé. Un mois après le dé-confinement total, des mesures sanitaires sont toujours en place. Et la directrice est globalement satisfaite. "Toutes les procédures que nous avons mises en place ont porté leurs fruits. Nous n'avons constaté aucun glissement, aucune perte de poids chez nos résidents pendant le confinement." (Lundi 27 juillet 2020 à 20:43 - Par Claudie Hamon, France Bleu Pays d'Auvergne)
Il faudrait savoir pourquoi il y a eu tant de morts ailleurs...