
Paris, le mardi 21 mars 2023 – Deux livres relayant des théories infondées sur la Covid-19 et les vaccins à ARNm connaissent un important succès de librairie.
Trois ans après le premier confinement, la Covid-19 est (semble-t-il) définitivement sortie de nos vies et les Français en ont fini avec les couvre-feux, masques et autre passe vaccinal. Mais l’épidémie, sa gestion par les autorités et les controverses qui l’ont entouré ont visiblement durablement marquées les esprits de nos concitoyens. Il suffit de consulter la liste des livres les plus vendus du moment publiés chaque semaine par le journal l’Express pour s’en convaincre. Dans la catégorie essais-documents, on trouve en effet deux livres sur la Covid-19 en haut du classement : « Covid-19 : ce que révèlent les chiffres officiels » du statisticien Pierre Chaillot en deuxième place et « Les apprentis sorciers » de la généticienne Alexandra Henrion-Claude en tête du classement.
Une curiosité pour la médecine de nos concitoyens que l’on pourrait saluer, si seulement ils ne se tournaient pas vers des ouvrages aux fondements scientifiques plus que douteux. Comme l’indique les titres de leurs ouvrages, Pierre Chaillot et Alexandre Henrion-Claude n’hésitent pas en effet à dénoncer les « vérités officielles » sur la Covid-19 et à lorgner du côté des théories du complot. Pour ces deux auteurs à succès, il n’y a pas de doute : les autorités nous ont menti et les vaccins à ARNm administrés par centaines de millions dans le monde constituent un danger mortel.
La brillante généticienne qui ne sait pas lire une étude
Généticienne experte de l’ARNm, lauréate de plusieurs prix internationaux, directrice de recherche à l’Inserm de 2012 à 2018, Alexandra Henrion-Claude est depuis le début de la pandémie de Covid-19 la caution scientifique des complotistes et antivaccins en tout genre. Proche des milieux catholiques ultra-conservateurs, elle ne cesse depuis deux ans d’alerter sur le supposé dangers des vaccins à ARNm, censés pouvoir modifier le génome de ceux qui le reçoivent (une fausse information plusieurs fois démontée par les spécialistes).
Inquiets du succès de librairie de l’ancienne protégée du Pr Axel Kahn, plusieurs épidémiologistes et immunologues se manifestent dans les médias pour tenter de contester les unes après les autres les affirmations de son ouvrage et de celui de Pierre Chaillot. En apparence, la généticienne appuie chacune de ses déclarations sur des études scientifiques. Mais elle en fait souvent une lecture déformée ou omet de mentionner les biais et lacunes qui entourent l’étude, sans compter toutes les fois où elle invente purement et simplement des faits.
Un exemple parmi d’autres : Alexandra Henrion-Claude affirme dans son ouvrage que 57 % des personnes à qui l’on administre un vaccin à ARNm contre la Covid-19 développent des troubles neurologiques, s’appuyant sur une étude allemande d’octobre 2021. Mais elle omet de préciser qu’il s’agit en réalité d’une étude de cas portant sur seulement 22 sujets. « Cette présentation tronquée pourrait laisser croire à un lecteur néophyte qu’il s’agit de données relatives à la fréquence de ces troubles, si c’était vrai, 30 millions de Français souffriraient d’affections neurologiques après la vaccination, ce qui n’est bien sûr par le cas » explique le Pr Mahmoud Zureik, épidémiologiste à l’université de Versailles-Saint-Quentin et directeur du programme Epi-phare. Grâce à ce genre de raisonnement défaillant, la généticienne n’hésite pas à affirmer pêlemêle que les vaccins à ARNm favorisent le cancer ou affaiblissent le système immunitaire.
300 000 morts à cause des vaccins !
Pierre Chaillot, ancien statisticien à l’Insee (organisme qui dénonce aujourd’hui ses travaux) n’hésite pas lui non plus à lancer de telles affirmations infondées. Estimant que le vaccin aurait fait plus de 300 000 morts (plus optimiste, Alexandra Henrion-Claude table sur « seulement » 70 000 décès), il affirme qu’ « aucune étude diffusée par Epi-phare ne montre la moindre efficacité vaccinale, tout simplement parce qu’il ne prend jamais en compte le fait que les non-vaccinés ont été beaucoup plus souvent testés que les vaccinés ». C’est ignorer, rappelle le Pr Zureik, que « les travaux Epi-phare portent sur les hospitalisés et les morts de la Covid », pour lesquelles il n’existe pas ce genre de biais, toutes les personnes hospitalisées étant systématiquement testés. Il y a un mois seulement, une étude d’Epi-Phare a d’ailleurs une nouvelle fois prouvé l’efficacité des doses de rappel contre le risque de forme grave.
La prise de parole de spécialistes pour tenter de démonter ces contre-vérités scientifiques ne devrait pas empêcher le succès de librairie de ce type d’ouvrage. Alexandre Henrion-Claude multiplie d’ailleurs ces dernières semaines les interventions dans les médias proches de l’extrême-droite (CNews, Radio Courtoisie, Valeurs actuelles…) sans y recevoir la contradiction. Face aux critiques, son éditeur Albin-Michel se réfugie derrière la nécessité d’entretenir « le débat contradictoire et la liberté d’expression ». Mais si « beaucoup de débats et critiques de la gestion de l’épidémie et de la campagne de vaccination sont parfaitement légitimes, là ce n’est clairement pas le cas » estime un chercheur de l’Inserm, qui s’est totalement désolidarisé des prises de position de son ancienne directrice de recherche.
Grégoire Griffard