
Où l’isolement social conduit à l’hôpital psychiatrique
En paraphrasant la célèbre phrase de Victor Hugo (« Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons »), on peut se demander si, à force de fermer tous les lieux de convivialité (du café du coin au cinéma, de la salle de sport à la boîte de nuit), on ne risque pas de contribuer insidieusement à la réouverture des lits en hôpital psychiatrique... Pour les auteurs, le potentiel d’effets indésirables (des consignes de distanciation sociale) sur le risque de suicide est « élevé » et il faudrait prendre d’autres mesures pour atténuer les conséquences fâcheuses de cette limitation des relations interpersonnelles sur les efforts de prévention du suicide qui représentent également une priorité de santé publique, au même titre que le combat contre la Covid-19.Plusieurs facteurs contribuent à cette vision pessimiste : le « stress économique » (avec la peur du chômage), l’isolement social, la réduction des contacts avec ses amis ou les membres de sa communauté religieuse, les freins aux soins psychiatriques, le retard des soins somatiques (par peur de contracter la nouvelle maladie contagieuse en se rendant dans un service hospitalier, ou parce que des soins non urgents ont été reportés par ces services qui réorientent leur activité vers la lutte contre la Covid-19), l’exacerbation des troubles anxieux et du « recours » à des produits toxiques (alcool, drogues) comme antidotes présumés contre cette angoisse de la maladie ou de la mort, entretenue par le déferlement des mauvaises nouvelles dans les médias.
Autre facteur d’inquiétude, propre aux États-Unis : la « hausse des ventes d’armes », observée parallèlement à l’avancée de l’épidémie, hausse d’autant plus préoccupante que les armes à feu constituent la méthode de suicide la plus commune aux États-Unis.
Mais peut-être un effet cathartique
Mais comme dit un proverbe anglais, « every cloud has a
silver lining » : après la pluie, le beau temps. En d’autres
termes, toute chose a son bon côté, à quelque chose malheur est
bon. Pour les auteurs, la crise actuelle comporte aussi « une
raison d’espérer. » Par analogie avec d’autres grandes
catastrophes (comme les attentats du 11 Septembre 2001) où les taux
de suicide ont diminué dans le sillage de la tragédie, une
hypothèse optimiste mise sur l’effet cathartique et positif (contre
la dépression) d’évènements aussi importants, car une telle
expérience partagée pourrait en fin de compte cimenter les
individus et favoriser leur « soutien mutuel renforçant ainsi la
connectivité sociale. » Autre élément positif : l’essor de
l’informatique et des télécommunications (comme la visioconférence)
qui « facilite le rapprochement », tout en sauvegardant les
distances sociales.
Enfin, une telle épidémie pourrait modifier notre vision de la
santé et de la mort, en rendant alors « la vie plus précieuse,
la mort plus redoutable » et, dans ce contexte sociologique, le
suicide moins probable…
Dr Alain Cohen