Covid : Agnès Buzyn défie la justice

Paris, le mercredi 10 mai 2023 – Fait inédit dans les annales judiciaires, Agnès Buzyn a décidé de refuser de se rendre aux convocations des juges de la Cour de Justice de la République (CJR).

Verra-t-on bientôt la Pr Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé et hématologue de renom, les menottes aux poignets encadrés par des policiers ? C’est bien peu probable mais toutefois pas impossible. Depuis deux mois, l’ancienne présidente de l’institut national du cancer s’est en effet lancée dans un bras de fer inédit avec la justice. Elle refuse de se rendre aux convocations des trois juges de la Cour de Justice de la République (CJR), seule institution habilitée à juger les ministres pour des faits commis dans l’exercice de leur fonction, juges qui instruisent le dossier de la gestion de l’épidémie de Covid-19 par le gouvernement. En théorie, les magistrats peuvent donc, sur le fondement de l’article 122 du code de procédure pénale, prendre un mandat d’amener ou d’arrêt et ordonner aux forces de l’ordre d’arrêter l’ancienne ministre pour qu’ils la présentent à eux. Peu probable que les juges en viennent cependant à de telles extrémités.

L’ancienne ministre de la Santé, qui a quitté son poste le 16 février 2020 un mois avant le premier confinement pour tenter, sans succès, de conquérir la mairie de Paris, est visée depuis juillet 2020 par une enquête de la CJR pour sa gestion des débuts de l’épidémie de Covid-19. Il lui est reprochée d’avoir minimisé les alertes venant de Chine et notamment de ne pas avoir ordonné la reconstitution des stocks de masques, qui se sont rapidement avérés insuffisants. Le 24 janvier 2020, alors qu’un tout premier cas de Covid-19 était détecté en France, elle avait affirmé que « les risques de propagation du coronavirus sont très faibles ».

Une mise en examen annulée et un procès qui s’éloigne

Mais dès mars et le premier confinement, elle a affirmé au contraire qu’elle avait immédiatement perçu dès le départ le danger présenté par ce nouveau virus et qu’elle avait tenté, en vain, d’avertir Emmanuel Macron et Edouard Philippe. « Je pense que j’ai vu la première ce qui se passait en Chine, le 11 janvier j’ai envoyé un message au Président de la République sur la situation » expliquait-t-elle dans une interview au Monde en mars 2020. Des déclarations fracassantes et quelque peu contradictoires qui n’ont fait qu’ajouter à son discrédit.

Le 10 septembre 2021, la CJR a donc décidé de mettre en examen l’hématologue pour le délit de « mise en danger de la vie d’autrui » et de la placer sous le statut de témoin assisté pour celui d’ « abstention volontaire de combattre un sinistre ». Le 23 janvier dernier cependant, la Cour de Cassation a annulé cette mise en examen, jugeant qu’Agnès Buzyn n’avait violé aucune « obligation particulière de prudence ou de sécurité » et elle l’a donc été automatiquement placée sous le statut de témoin assisté pour ce délit.

Sans doute ragaillardie par cette décision de justice très favorable, qui éloigne grandement le spectre d’un futur procès, l’ancienne ministre a décidé de cesser de collaborer avec les juges. Lors de sa dernière audition avec les magistrats le 28 février dernier, l’ancienne ministre a mis fin d’elle-même à l’interrogatoire en refusant de répondre aux questions qui lui étaient posées. Le jour-même, ses avocats ont écrit aux juges pour leur expliquer que l’hématologue ne se rendrait pas aux convocations des 20 et 27 mars et « qu’elle ne souhaitait plus être entendue, ne se présentera plus spontanément et ne répondra pas aux questions ». Une menace mise à exécution : les 20 et 27 mars dernier, la ministre ne s’est pas rendue au tribunal et c’est en vain que les trois juges l’ont attendu.

Agnès Buzyn dénonce une injustice

Pour justifier ce défi lancé aux magistrats, les avocats de l’ancienne ministre évoquent notamment la longueur anormale de la procédure (plus de trois ans) et les plus de vingt interrogatoires que leur cliente a subi. « Jusqu’à ce jour, Mme Buzyn a systématiquement déféré aux convocations et répondu aux très nombreuses questions qui lui ont été posées. Elle a le désormais le sentiment, en dépit de ses vingt procès-verbaux d’interrogatoires, que ces questions ne font plus que se répéter cycliquement, sans qu’aucun élément nouveau ne vienne les motiver et sans qu’aucune des centaines de réponses ne semble susceptible de faire cesser ce cycle » écrivent les avocats dans leurs courriers aux magistrats.

Ces derniers se sont contentés de prendre acte de cette décision et d’expliquer en réponse que « la nature même des faits poursuivis, leurs conséquences, les accusations portées contre trois ministres (NDLR : Agnès Buzyn, Olivier Véran et Edouard Philippe) nous ont semblé mériter une information exhaustive qui ne pouvait qu’engendrer de multiples auditions ».

Mais si l’ancienne ministre, dont le parcours académique et politique avait été sans faille jusqu’en 2020 avant de tourner au cauchemar, prend le risque de se mettre hors-la-loi, c’est surtout parce qu’elle a toujours considéré sa mise en accusation comme une profonde injustice. « J’ai apporté toutes les preuves qu’on a anticipé et géré au mieux, en vain (…) imaginer que les magistrats aient pu penser une seule seconde que je n’ai pas mis toute mon énergie à essayer d’éviter le pire, c’est insupportable » a-t-elle expliqué en septembre dernier.

Grégoire Griffard

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Vos réactions (10)

  • Madame Agnès Buzin défie "une certaine" justice et elle a raison

    Le 11 mai 2023

    Bravo Madame la Ministre, en tant que citoyen et médecin je vous apporte tout mon soutien. La décision de la Cour de Cassation est assez claire sans aller chercher au delà !

    Dr D Lerat

  • La Justice défie le bon sens

    Le 11 mai 2023

    De quels troubles sont donc atteints ces trois magistrats de la commission d'instruction : auditifs ou cognitifs ? Par flemme d'y travailler eux-mêmes, veulent-ils se faire sempiternellement raconter des détails qu'ils négligent de noter, et qu'ils oublient au fur et à mesure ? Une "information exhaustive" sur une affaire aussi publiquement étudiée nécessite-t-elle des procédés aussi absurdes et dégradants que des dizaines d'interrogatoires ? On se croirait dans "L'aveu" de Costa-Gavras...

    Dr Pierre Rimbaud

  • Madame Buzin exige le respect des Magistrats

    Le 14 mai 2023

    Tout justiciable a droit à un minimum de respect de la part des Magistrats. La multiplication des interrogatoires pour poser les mêmes questions, même si elles sont formulées différemment, témoignent d'un manque total de respect vis à vis des justiciables quels qu'ils soient. Entre une justice expéditive et une justice lente en raison de la multiplication des convocations, des actes de procédure et des reports répétitifs d'audience les Magistrats devraient trouver une juste mesure.

    Dr L Lefebvre

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