COVID long : Et si la fatigue appartenait au champ de la psychiatrie ?

La fatigue, symptôme transnosographique, implique une expérience subjective physique, mentale et émotionnelle. Elle s’accompagne d’une incertitude quant à l’utilité des actions, une perte de flexibilité comportementale et une altération motivationnelle avec baisse de la sensibilité au renforcement positif et augmentation de la sensibilité au renforcement négatif. Elle peut se rencontrer de manière aiguë après un épisode physique (infection par exemple) ou psychique (événement dépressif), ou de façon chronique d’étiologie organique (fatigue liée au cancer) ou psychique (syndrome de fatigue chronique).

La similitude des symptômes associés rend souvent difficile d’en distinguer l’origine même si une sémiologie différente semble se dessiner (cf Tableau), parfois intriquée en cas de fatigue mixte (dépression liée au cancer par exemple). Enfin, dans la mesure où elle est un phénomène adaptatif, elle entraîne des changements motivationnels tels que le besoin de repos ainsi qu’un retrait social qui vise soit à limiter le comptage (bénéfice collectif), soit à limiter le risque d’exclusion (bénéfice individuel), ainsi qu’une appétence sociale sélective avec recherche du support des proches

Tableau :

  Etiologie organique (fatigue physique)
  Dépression caractérisée (fatigue physique)
  Asthénie augmentée par l'effort
  Asthénie diminuée par l'activité
  Hyperalgésie   Hypoalgésie
  Hypersomnie + insomnie
  Insomnie + anorexie ou hypersomnie + hyperphagie
  Ralentissement constant
  Ralentissement ou agitation
  Evitement des étrangers et recherche des proches
  Evitement des proches et tolérance des étrangers
  Rareté des cognitions dépressives
  Triade de Beck (vision négative de soi, du monde, de l'avenir)

Covid long et fatigue

Le syndrome de Covid long, caractérisé par un ralentissement cognitif avec difficultés de fonctionnement, accompagné ou non d’autres symptômes, peut s’apparenter à la description dans d’autres pathologies de symptômes persistants malgré la guérison de la maladie aiguë. Le plus souvent, ces symptômes de Covid long disparaissent en quelques semaines ou mois.

Cependant, ils peuvent persister au-delà de 6 mois ce qui n’est pas sans rappeler le syndrome de fatigue chronique après une infection virale aiguë, ou les troubles fonctionnels intestinaux après une gastro-entérite aiguë ou encore les douleurs thoraciques sine materia après un événement coronarien. Plusieurs hypothèses ont été émises pour expliquer cette persistance :


-La séquelle d’un épisode initial sévère ; mais des symptômes persistants peuvent être observés après des épisodes peu sévères, voire après que les symptômes aigus aient initialement disparu.


-La persistance d’un processus physiopathologique infectieux, immunitaire, vasculaire ou neurodégénératif ; mais les anomalies observées ne sont pas différentes de celles rencontrées dans un Covid sans symptôme persistant.


-La manifestation d’une dépression ou d’une anxiété n’est pas impossible car l’anxiété a été identifiée comme facteur de risque indépendant de prolongation des symptômes, surtout si elle préexistait à l’infection, tandis que la fatigue est le principal symptôme associé aux symptômes anxiodépressifs de la Covid. Cependant, la comorbidité anxieuse ou dépressive dans le Covid long est inconstante.


-Des troubles somatiques fonctionnels qui se rencontrent préférentiellement chez les sujets perfectionnistes ou intolérants à l’incertitude à la suite d’un événement médical. Ils sont entretenus par les comportements d’évitement, une focalisation attentionnelle, une anticipation ou une interprétation catastrophiste.


La fatigue du Covid long est également particulière car elle est ressentie subjectivement de manière intense, sans se traduire par une diminution des performances par rapport à la population générale. Par ailleurs, plusieurs études ont montré que l’anticipation des symptômes de Covid long et la croyance en la possibilité de leur survenue augmente la fatigue, ce qui pourrait expliquer que ces Covids longs ont été plus fréquents au cours de la première vague avec un pic lors de l’annonce du confinement. Une étude française montre par ailleurs que ce sont les patients qui faisaient le plus confiance aux réseaux sociaux (et le moins aux autorités) qui risquaient le plus de développer un Covid long.

Que retenir ?

Au total, le Covid long pourrait être un trouble somatique fonctionnel conclut Pr Cédric Lemogne. Marqué par un contraste entre la normalité de l’examen clinique et l’intensité des symptômes, il est favorisé par le perfectionnisme et l’intolérance à l’incertitude et voit sa durée allongée lorsque des conduites d’évitement, de focalisation attentionnelle ou de catastrophisme y sont associées. Il survient généralement dans un contexte anxiogène, accru par les fausses croyances colportées par les sources d’information non (ou moins) fiables, et par le fait de ne pas se sentir reconnu en tant que malade.

Dr Dominique-Jean Bouilliez

Référence
Lemogne C. Fatigue sans fin, fatigue sans cause. Congrès de L’Encéphale 2023, Paris, 18-20 janvier 2023.

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Vos réactions (1)

  • Jusqu'au jour où

    Le 26 janvier 2023

    On trouvera une anomalie immunitaire, ou autre, causale en tous cas. Chaque fois qu'on ne comprend pas une affection, c'est le même scénario...
    Je suis pour les psy mais affligé de voir que les psychologues se mêlent de tout, de la maternelle à la fin de vie, peut-être plus pour leur ego que pour les patients qui ont de leur point de vue toujours raison.

    Pr André Muller

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