De la cancer-culture à la cancel-culture. Chronique d’une dérive
Paris, le samedi 17 juillet - La lutte contre les fakes
news, notamment dans le domaine sanitaire, semble essentielle pour
renforcer le consentement éclairé de chacun et l’autonomie des
personnes vis-à-vis de leur santé. Cependant, comment éviter que
sous le prétexte vertueux d’attirer l’attention sur les
contre-vérités, certains se concentrent d’abord sur leurs messages,
convaincus sincèrement de leur pertinence et de leur importance, en
omettant ou en niant la véracité de certaines interrogations et
controverses. Ne deviendrait-il pas paradoxal et dangereux que ceux
qui présentent leur travail comme une entreprise de décryptage,
offrent en réalité eux-mêmes une information partielle voire
partiale ? C’est sur ce sujet que nous écrivent aujourd’hui
l’association Cancer Rose et le collectif Pour une inFormation
indépendante en Santé (Formindep). Ils nous alertent sur la façon
dont l’Institut national du Cancer (InCA) n’éviterait pas toujours
une forme d’instrumentalisation de la lutte contre les fakenews, en
empêchant par ce biais qu’une information la plus complète sur le
dépistage systématique du cancer du sein soit
donnée.
Par Cancer Rose et le Fomindep
Sévir contre les fausses nouvelles ou entraver l’accès à des
informations médicales fiables : Quoi de neuf en France ?
Les faits
Du 22 septembre au 15 octobre 2020, l'Institut national français du
cancer (INCa) a organisé une "consultation" sur la toile. Il
s'agissait pour les internautes de voter pour ou contre 220
propositions élaborées par l'Institut. Moins de 2500 personnes y
ont participé .
Une des proposition était intitulée "Mettre en place un
dispositif de lutte contre les fake news" .
Le texte est le suivant :
"Un dispositif de lutte contre les fake news réactif sera
structuré. Il permettra d’éclairer les personnes face aux
polémiques susceptibles de concerner les différents champs du
cancer : prévention primaire, dépistage, traitements et soins
complémentaires. Il est important de bien informer l’opinion
publique en particulier avec des chiffres qui rendent tangibles les
effets de la prévention (benchmark internationaux, résultats
d’études…). Par ailleurs, sans que ce soit limité au champ du
cancer, la création d’un dispositif type « CSA santé » sera
étudiée, pour instaurer des règles en matière d’information en
santé, prévues dans un accord-cadre avec les hébergeurs de contenus
(médias, réseaux sociaux) pour qu’ils fassent un travail
d’élimination des fake news identifiées par un collège
d’experts."
Les réserves exprimées par quelques citoyens n'ont pas
empêché l'INCa d'adopter la mesure avec grande diligence, sur
la base des 124 votants parmi les 47,9 millions d’habitants
inscrits sur les listes électorales, et sans aucun pouvoir
représentatif. La proposition, sous une forme simplifiée, est déjà
intégrée au décret n° 2021-119 du 4 février 2021 qui définit la
stratégie nationale de lutte contre le cancer pour 10 ans. Dans le
paragraphe "Améliorer la prévention", on trouve en effet la
phrase suivante, assez imprécise toutefois : "De nouveaux
dispositifs seront créés, pour lutter contre les fake news".
Et en juin 2021, l'INCa mettait en ligne, sur son site, une
rubrique internet de dénonciation des "infox", sous le titre "Les
éclairages".
Un projet assumé de censure de l'information
Là, mauvaise surprise, car dans la rubrique sus-citée "les
éclairages", la controverse sur le dépistage du cancer du sein est
d'emblée qualifiée d'infox, avec un libellé surprenant : "Ce
débat scientifique peut avoir une répercussion négative sur les
femmes et les détourner de l’examen de dépistage."
Alors que le scepticisme est fondamental à tout scientifique digne
de ce nom, l'INCa, dans un texte de propagande pro-dépistage
réussit le tour de force à la fois de vouloir censurer tout débat
scientifique et de procéder à sa propre promotion partisane,
minimisant le surdiagnostic, problématique centrale du dépistage,
et occultant ses lourdes conséquences pour les femmes, à savoir le
surtraitement.
Trois préoccupations majeures
1°La perspective de voir l'INCa obtenir, à l'avenir, le droit
exorbitant d'obliger les médias internet et les réseaux sociaux à
censurer les informations qu'elle estime unilatéralement "fake"
.
Elle est effrayante, car nous laisse entrevoir l'instauration
d'un autoritarisme en santé. Des gardiens zélés et intolérants
détenteurs de leur "vérité" auto-justifiée vont ainsi pouvoir
imposer dans une démocratie leur bien-pensance péremptoire, bien
loin de l’intérêt de la population, affirmant que « Le
dépistage des cancers du sein apporte aux femmes un bénéfice bien
plus important que ses risques », comme une évidence
incontestable.
C'est faire bien peu de cas des souffrances physiques,
psychologiques et sociales que subissent les femmes, engendrées par
le surdiagnostic et son corollaire, le surtraitement.
2° La légitimité de L'INCa de donner de l'information est en cause,
comme celle de s'arroger le droit de désigner les "infox" .
Cet institut a déjà été accusé pour sa mauvaise qualité
d'information dans le rapport de la concertation citoyenne sur le
dépistage du cancer du sein en 2016 .
Il est également pointé du doigt dans deux études
universitaires. Dans la première étude citée, l'information
de l'INCa est comparée à celle de Cancer Rose. Si on dépasse
l'abstract, bien succinct, les résultats de l'étude donnent
l'information dispensée par Cancer Rose supérieure à celle de
l'INCa pour les critères d'information qui doivent être présentés
au public. Dans la seconde, rédigée par des auteurs danois, les
techniques d'influence de l'INCa sont dénoncées dans deux
catégories : 'Présentation trompeuse des statistiques' et
'Représentation déséquilibrée des dommages par rapport aux
bénéfices'. Cet institut est-il donc légitime pour s'ériger en
censeur et distribuer des injonctions à "éliminer" les fake-news
?
3°Le principe éthique de non-malfaisance est bafoué dans cette
rubrique mise en place par l'INCa.
Le dépistage du cancer du sein est affirmé comme présentant
"des bénéfices indéniables pour les femmes"
L'article de l'INca sur le dépistage du cancer du sein concède
lui-même qu'un certain pourcentage (certes minimisé) de femmes vont
subir un surdiagnostic et "un traitement dont elles pourraient
se passer". Même s'il y avait un bénéfice global massif au sein
de la population féminine, ce qui n'est pas le cas, l'une des
limites au dépistage du cancer du sein est que certaines seulement
en bénéficieront, et cela au prix de préjudices pour d'autres.Une
telle justification est une atteinte au principe fondamental en
médecine : " d'abord ne pas nuire", puisque des individus seront de
toute évidence lésés suite à l'intervention de professionnels de la
santé, sur incitation de l'INCa, dans une recherche d'un bénéfice
non certain, et non avéré. Et non universel.
Après une politique de propagande pour développer le
dépistage, la politique de l’INCa va-t-elle se transformer en
censure ? Ce n'est pas avec ce comportement indigne tant d’un point
de vue éthique que scientifique que la démocratie sanitaire pourra
être garantie dans notre pays, où pourtant liberté d'expression et
accès à la connaissance pour tous sont érigés en droits
fondamentaux.
______________
Notes
1 à propos du titre
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cancel_culture
L'expression Cancel culture a été traduite diversement par «
culture du bannissement », « de l'annulation », «
de l’ostracisme » ou « de l’ostracisation », « de
la négation », « de l'anéantissement », « de
l'effacement », « de la suppression », « du
boycott » ou « du boycottage », « de l'humiliation
publique », « de l'interpellation », « de la
dénonciation » Ainsi, le 7 juillet 2020, dans une tribune parue
dans le Harper's et traduite dans Le Monde, 153 artistes,
intellectuels et personnalités dénoncent la culture de l'annulation
et les obstacles à la libre circulation des idées, et condamnent
l'« intolérance à l’égard des opinions divergentes » La comparaison
avec une forme de censure se pose.
6 la référence 1 de l'article sur le dépistage du cancer du sein de
la rubrique "éclairages" n'est rien d'autre qu'un rapport de ...
l'INCa ! (1 Institut national du cancer, « Bénéfices et limites du
programme de dépistage organisé du cancer du sein », 2013)
7 Page 84 et 85 du rapport de concertation :
http://www.concertation-depistage.fr/wp-
content/uploads/2016/10/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf
"La consultaion publique....a permis de mettre en évidence le
caractère très lacunaire des informations accessibles aux femmes
sur ce dépistage. Et pour celles qui leur sont spécifiquement
destinées, on constate que ces informations ne comportent aucune
mention de la controverse dont il est l’objet depuis quelques
années, ni de l’existence d’une réelle incertitude quant au
rapport bénéfices / risques, ni de ses limites, tant en ce qui
concerne sa véritable vocation (en l’occurrence de « détection »)
que sa prise en charge financière. "
En effet, il y a matière à réflexion, voire à contestation ! Cependant, paradoxalement, on en se préoccupe pas de savoir comment cette sitaution est gérée dans les pays étrangers... Aurait-on quelque chose à se reprocher ? La prévention ciblée relève d'une stragtégie très difficile à maitriser. Exemple : La prévention du sida chez un juen de 20 ans ne ressemble pas exactement à celle d'une personne de 70 ans. Non ? Je pense que si les médecins cessaient de faire de la rétention d'information, les fausses informations seraient en diminution. Moralité : informez vos patients, ils iront mieux... Dr Deshautesrivières
Sur diagnostic et sous traitées ?
Le 17 juillet 2021
Il serait intéressant de savoir quel est le pourcentage de « sûrdiagnostiquées » versus celui des « diagnostiquées » à temps grâce au dépistage. Certes les souffrances des surtraitées sont regrettables mais quid de celles traitées trop tard ?
Dr André Clavel
Vous avez dit "balance bénéfice risque"?
Le 17 juillet 2021
Donc une femme perdue puisque non dépistée à temps = une femme qui a subi quelques jours ou semaines d'angoisse et une cicatrice. Et comme d'habitude il y aura toujours quelqu'un pour dire "y aurait fallu".
Dire que certains cancers auraient guéri spontanément c'est attendre de voir si le feu va s'éteindre tout seul. "Primum non nocere" oui, mais ne rien faire peut nuire.
Curieusement ceux qui se présentent comme indépendants ont un ton tellement connoté militant qu'on peu douter de leur objectivité. J'attendais le terme de mutilation ! Le cancer de la prostate sera-t-il leur prochain thème? La médecine devient de plus en plus un art: informer des risques crée un risque. Qui nous fera une balance qui mesure la qualité bénéfices et des risques (intensité, durée, acceptabilité..)? Que signifie un risque statistique au niveau individuel?