Dépression corticale extensive et aura migraineuse : de l’empirique au rationnel

Si ce processus envahissant, la dépression corticale extensive (spreading depression SD) apparaît comme le substratum électrophysiologique de l’aura migraineuse, on hésite encore, eu égard à son caractère bref, à le considérer  comme déclencheur direct de la douleur. Cette vague progressive est une dépolarisation transitoire de l’activité évoquée et spontanée du tissu nerveux, précédée d’un pic bref d’hyperactivité, qui se propage lentement du point d’origine vers l’extérieur. Elle peut être observée dans plusieurs espèces. Elle correspond à une dépolarisation membranaire complète et prolongée des neurones et de la glie de la substance grise, avec migration massive d’ions potassium vers le milieu extracellulaire, ce qui permet à l’onde de progresser (à raison de 2 à 5 mm par minute). Les flux ioniques et liquidiens déclenchent à leur tour une libération de glutamate. Ce phénomène se produit quand un volume minimal de cortex est stimulé, par application de KCL, stimulation électrique directe, trauma ou encore ischémie ou activité épileptique. Le seuil d’apparition de l’onde varie sous l’effet de facteurs multiples comme l’état physiologique, hormonal ou les caractères génétiques. La modulation de la sensibilité à la SD est un des axes de recherche sur la prévention de la  migraine, ce qui a permis d’identifier des substances potentiellement actives en clinique.

Il existe plusieurs types de preuves indirectes du rôle de la SD dans les manifestations de l’aura migraineuse, preuves cliniques (scotome, hypoesthésie, paresthésies, scintillements visuels), preuves hémodynamiques (hyperhémie suivie d’olighémie prolongée). De plus, grâce à l’IRM fonctionnelle pratiquée durant une aura visuelle, on a récemment recueilli, dans le cortex occipital, les variations d’intensité d’un signal, compatibles avec les sensations du patient et qui se propageaient à la même vitesse que la SD. Le déroulement des phases douloureuses (excitation nerveuse, dilatation artérielle, extravasation plasmatique, libération de médiateurs chimiques) se produit aussi dans un délai compatible avec les étapes de la SD. La prévalence liée au sexe est également un critère commun à la migraine et à la SD. Chez la Souris, cette différence peut, d’ailleurs être corrigée par ovariectomie.

Enfin, il a été démontré que 5 des thérapeutiques actives dans la prophylaxie de la migraine suppriment aussi la sensibilité à la SD (valproate, topiramate, propranolol, methysergide, amitriptyline), ce qui a amené à tester selon cette méthode les traitements susceptibles d’être actifs dans ce domaine. Cependant, la complexité des facteurs mis en jeu en pathologie humaine, ne serait-ce que l’influence majeure des concentrations des produits utilisés, rend difficile l’interprétation des résultats. A l’inverse, certaines substances actives sur la SD se sont révélées inefficaces en clinique. Il n’y a donc pas de correspondance absolue entre l’action suppressive sur la SD expérimentalement et l’efficacité thérapeutique mais ce modèle peut constituer une phase initiale de sélection des molécules.

Les différents récepteurs et canaux ioniques déterminent la libération de neurotransmetteurs. Ils ont fait l’objet d’études spécifiques pour choisir les cibles à viser dans les tests de thérapeutiques potentielles. Les  travaux de ce type ont permis de souligner l’importance des récepteurs à la sérotonine 5-HT1A pour la suppression de la SD. D’autres voies d’abord, comme la stimulation magnétique transcranienne, qui  modifie l’excitabilité corticale et module la SD, ont récemment été jugées prometteuses, non seulement pour le  traitement de la crise mais aussi pour la prévention de la migraine.

Il est donc certain  que l’inhibition de la SD constitue  un pôle important dans la recherche de substances actives dans la pathologie migraineuse mais il reste à déterminer le rôle précis qu’elle doit jouer dans le développement des thérapeutiques. Quoi qu’il en soit, cela suppose l’élaboration d’essais cliniques très sophistiqués.

Dr Françoise Ponchie Gardelle

Référence
Ayata C : Spreading depression: from serendipity to targeted therapy in migraine prophylaxis. Cephalalgia, 2009 ; 29 : 1097- 1114

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