
Paris, le jeudi 17 mars 2016 – Ces dernières années, le professeur Michel Aubier, pneumologue à l’hôpital Bichat (AP-HP) paraissait presque être devenu "Monsieur Diesel". Un sujet sur les pics de pollution ? Le praticien était l’invité de RTL. Une volonté de l’Académie de médecine de faire le point sur les limites possibles de certaines études ? Le pneumologue était pressenti pour conduire la mission. Et alors que l’Union européenne vient d’assouplir les normes imposées aux constructeurs automobiles, quant à l’émission d’oxyde d’azote, qui invite-t-on le 1er mars dernier sur France 5 pour s’intéresser au sujet ? Michel Aubier. S’il est aussi populaire, c’est que le praticien a non seulement le mérite d’être un grand spécialiste de ces questions, un praticien reconnu, mais également qu’il tient un discours rassurant, loin des cassandres habituels. La pollution atmosphérique « peut être cancérogène, mais pour le moment, ce qui a juste été démontré, c’est essentiellement des cancers lors d’expositions assez fortes, c’est-à-dire professionnelles. En ce qui concerne les expositions naturelles, c’est beaucoup plus discuté, il semble que ce soit en tout cas un facteur favorisant chez les sujets qui ont déjà des prédispositions à développer les cancers, c'est-à-dire les fumeurs » nuançait-il ainsi dans l’émission de TV5 présentée par les docteurs Marina Carrère d’Encausse et Michel Cymés.
Le caractère incongru de la position soufflé par un communiqué
Une telle présentation, bien sûr, en a fait tousser plus d’un. L’Association santé environnement France (ASEF) a ainsi estimé qu’un « rectificatif » s’imposait eu égard aux études récentes publiées, qui semblent confirmer l’augmentation du risque de cancer en cas d’exposition à la pollution automobile dans toutes les populations (y compris non fumeuses) et sans qu’un effet de seuil ait été retrouvé. Si un tel rappel à l’ordre de l’ASEF ne doit pas faire oublier que cette organisation se montre facilement lanceuse d’alerte (elle monte ainsi régulièrement au créneau contre la prétendue nocivité des ondes émises par les téléphones portables), il a néanmoins mis la puce à l’oreille de certains quant à cette position de Michel Aubier sur le risque de cancer du poumon.
Distraction
Les journalistes de Libération et du Canard Enchaîné ont rapidement mis en évidence que le professeur Michel Aubier travaille pour Total depuis 1997. A raison de deux après-midi par semaine, il exerce selon le pneumologue interrogé par Libération la mission de médecin conseil. « Je suis sur le plan santé les 200 dirigeants du groupe (…). Je m’occupe aussi d’un comité d’experts chargé d’améliorer la prise en charge sanitaire des salariés du groupe » explique-t-il, affirmant que ces tâches n’influencent en rien sa position sur le diesel, demeurée la même depuis de très nombreuses années (et qui pour les mauvaises langues a peut-être a inspiré Total dans son recrutement ?). Au Canard Enchaîné, le praticien évoque également avoir travaillé pour un groupe d’études sur le diesel avec PSA.
Le hic, c’est que Michel Aubier ne s’est pas toujours montré disert sur ses activités. Auditionné en 2015 par le Sénat où il remplaçait le patron de l’AP-HP indisponible, dans le cadre d’une mission sur le coût financier de la pollution automobile, Michel Aubier n’avait ainsi pas fait mention de ses fonctions chez Total. Il admet aujourd’hui une distraction. A l’Académie de médecine, comme le rappelle le Canard Enchaîné, décidemment tête en l’air, il n’en avait pas plus soufflé mot (selon la déclaration publiée à la fin du rapport).
La lutte contre les conflits d’intérêt polluée à l’AP-HP ?
A l’AP-HP, l’affaire est prise au sérieux. Martin Hirsch qui a indiqué à Libération n’avoir pas pu se procurer l’autorisation donnée à Michel Aubier par l’AP-HP à la fin des années 90 pour travailler chez Total (et qui attend que l’intéressé qui assure la détenir la lui fournisse) a tenu à rappeler les règles qui s’imposent aux salariés de l’institution. La réglementation quant au cumul d’activité « est mal connue. Elle est parfois ignorée, parfois incomprise, parfois négligée. Ne pas la respecter expose à des sanctions qui peuvent être lourdes » rappelle ainsi une note adressée en même temps que les fiches de salaire de février. Les personnes qui mèneraient des activités parallèles à leur fonction au sein de l’AP-HP sans avoir obtenu l’autorisation de cette dernière sont priées de se mettre en conformité « sans délai ».
Il y a plus que de la pollution dans l’air.
Aurélie Haroche