
Paris, le samedi 18 mars 2023 – Ce samedi 18 mars débutent les Journées de la Schizophrénie, manifestation annuelle qui est l’occasion pour de nombreuses associations de patients, de familles et de professionnels de santé, de tenter de sensibiliser sur cette pathologie, encore victime de nombreuses idées reçues. Cet évènement a été l’occasion pour le Figaro d’y consacrer un long article, rappelant une nouvelle fois que la schizophrénie n’est pas une maladie stéréotypée et qu’elle se manifeste par une grande diversité de symptômes. Le texte donne en outre la parole au professeur Olivier Bonnot, chef de service au CHU de Nantes, qui rappelle que dans 70 % des cas, des signes discrets pourraient permettre de détecter la maladie dès le début de l’adolescence.
Des signes d’alerte demeurés invisibles faute d’observateurs
Le repérage de ces signes est cependant extrêmement délicat. D’abord, parce que les maladies mentales continuent à souffrir d’une très forte stigmatisation dans notre pays ce qui obère la vigilance des familles et favorise le déni. En outre, même quand une suspicion se fait jour dans le cœur des parents, ils sont souvent démunis quant aux personnes à consulter. Surtout, la déshérence de la pédopsychiatrie empêche les prises en charge précoces. Dans le Monde ce 15 mars, les psychiatres du réseau Transition et associations rappellent les enjeux et les failles de ce repérage : « C’est entre 15 et 25 ans qu’apparaissent le plus souvent les troubles psychiatriques de l’adulte à venir, et (…) ces troubles sont rarement imprévisibles : dans les trois quarts des cas, il existe des signes avant-coureurs (tentative de suicide, repli, changement de comportement). Ces signaux faibles pourraient permettre de donner l’alerte. Mais la réalité du terrain est complexe : où trouver le praticien qui a à la fois la compétence et la disponibilité ? Trop souvent, en effet, les signaux d’alerte ne sont pas identifiés, ou pas pris en compte, et ce n’est que lorsqu’il y a crise, accident ou troubles massifs, que des soins sont mis en place, souvent par le biais des services d’urgence. Cette situation n’est pas acceptable, sachant que les symptômes subtils peuvent être repérés en amont par des évaluations spécifiques et que, comme dans les autres domaines de la médecine, agir tôt limite les complications et la mortalité. Comment faciliter l’accès aux soins et faire que ceux qui côtoient les jeunes, à commencer par leurs pairs et leurs familles, puissent alerter et orienter rapidement vers des lieux adaptés ? La lutte contre la stigmatisation et les idées reçues est une étape indispensable : sensibiliser, informer le public, y compris les jeunes, et former les professionnels de première ligne ».
Des avancées timides
Cependant, même si le retard de la France dans ce domaine n’apparaît toujours pas résorbé, même si la lutte contre la stigmatisation des pathologies mentales est un très long chemin et même si les très nombreuses alertes lancées ces derniers mois et années concernant la situation désastreuse de la pédopsychiatrie ne semblent avoir été entendus qu’à minima (dans le Monde, il y a quelques temps, des élus parlaient d’une « affligeante désinvolture »), les progrès ne sont pas nuls. Les psychiatres du réseau Transition évoquent ainsi : « La France a pris du retard dans ce domaine, mais les premières initiatives montrent la faisabilité de telles stratégies. Le réseau Transition a commencé un travail de coordination des initiatives, de mise à disposition d’outils et de formations. Adossé au réseau, le programme PsyCARE pour une « psychiatrie préventive et personnalisée » est un projet global incluant des outils facilitant le repérage, la construction de stratégies de soins et l’accompagnement personnalisé ».
Des médicaments dont l’efficacité est de mieux en mieux démontrée
Par ailleurs, de nouvelles données concernant l’efficacité des traitements médicamenteux sont également porteurs d’espoir. Dans un communiqué publié cette semaine, la Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’adolescent et Disciplines Associées dont est membre le professeur Bonnot rappelle : « Deux travaux récents, tous deux solides et publiés dans World Psychiatry, de Correl et al., en 2021 et Solmi et al., en 2020 permettent de se rendre compte que l’efficacité est bien supérieure aux effets indésirables pour un grand nombre de psychotropes : Antipsychotiques dans les Troubles schizophréniques et Bipolaires, Méthylphénidate dans les Troubles de l’attention, Antidépresseurs dans les états dépressifs majeurs et dans les Troubles anxieux chroniques ». Tout en connaissant les limites et les risques associés à ces traitements (ce qui est le cas, rappelons le même si c’est une lapalissade pour tous les médicaments), chaque jour les pédopsychiatres peuvent constater le bénéfice de ces prescriptions chez les enfants et adolescents.
Enfance et maladie mentale : le tabou tenace
Pourtant, les psychotropes et plus encore chez les enfants continuent à souffrir d’une image sulfureuse. C’est une autre manifestation de la stigmatisation des maladies mentales : l’imagerie autour des traitements des pathologies psychiatriques est particulièrement négative avec notamment la récurrence de l’image du zombie, quand on ne retrouve pas pareil dénigrement pour d’autres classes thérapeutiques. Par ailleurs, concernant les enfants, on se refuse plus encore à considérer qu’ils puissent être atteints de troubles mentaux qui ne soient pas résorbables grâce à la simple disparition de facteurs évidemment perturbants (environnement familial délétère, situations d’abus et de harcèlement…), on se plait à considérer que s’ils sont « malades » c’est d’abord à cause de ceux qui les entourent (ou plutôt ne les entourent pas) et on se montre encore plus réticent à l’idée de les mettre sous « traitement ».
Hors AMM
A l’inverse la publication cette semaine d’un rapport du Haut conseil de la famille et de l’enfance dénonce la surmédication des enfants. Ce rapport a souhaité lancer l’alerte sur la « montée de la consommation de médicaments psychotropes par des enfants et adolescents. Entre 2014 et 2021, elle a augmenté de +48,54 % pour les antipsychotiques ; +62,58 % pour les antidépresseurs ; +78,07 % pour les psychostimulants ; +27,7 % pour les anticholinergiques ; +9,48 % pour les dopaminergiques ; +155,48 % pour les hypnotiques et sédatifs ». Commentant leur publication dans The Conversation, deux des membres de l’institution n’hésitent pas à dénoncer : « la surmédication dépasse toutes les bornes scientifiques ». Semblant considérer que les traitements ne répondent pas toujours seulement à la situation pathologique de l’enfant mais à d’autres considérations (sociales par exemple), le psychanalyste Sébastien Ponnou (maître de conférence à l’Université de Rouen Normandie) et le chercheur en sciences sociales Xavier Briffault (CNRS) écrivent entre autres : « Ainsi, en 2019, 21,7 % des enfants recevant du méthylphénidate vivaient dans des familles bénéficiant de la CMU ou de la CMU-C, alors que, selon l’Insee, ces aides ne sont attribuées qu’à 7,8 % de la population française. Si l’on considère également les enfants consommateurs de méthylphénidate présentant un diagnostic de défavorisation sociale, le pourcentage d’enfants présentant des difficultés sociales parmi les consommateurs de méthylphénidate atteint 25,7 % ». D’une manière générale, ils décryptent : « Cette « surconsommation », qui est une « sur-médication », peut s’exprimer en termes de différence entre le nombre de délivrances observé et le nombre de délivrances attendu. (…) Ces niveaux d’augmentation sont sans commune mesure avec ceux observés au niveau de la population générale adulte. Ils sont 2 à 20 fois plus élevés, alors même que le nombre d’AMM en population pédiatrique est très limité pour les médicaments psychotropes. Cette observation suggère que les enfants sont plus exposés que les adultes à la souffrance psychique, mais surtout qu’ils sont exposés à une médication croissante, et en l’occurrence inadaptée ». Cette inadaptation se caractériserait notamment par la forte proportion de prescriptions hors AMM : « Déjà en 2009, une étude prospective montrait que 68 % des prescriptions de psychotropes réalisées dans un hôpital pédiatrique parisien étaient hors AMM. Ces prescriptions hors AMM touchaient 66 % des jeunes patients et concernaient essentiellement la prescription chez l’enfant de médicaments réservés à l’adulte » notent-ils.
Mauvaise intention ?
Les deux auteurs rappellent par ailleurs que les recommandations de la Haute autorité de Santé (HAS) insistent sur le fait que les traitements médicamenteux ne devraient jamais être initiés en première intention. S’ils remarquent à plusieurs reprises que la hausse des prescriptions s’accompagne souvent parallèlement d’une diminution des consultations dans les centres médicopsychologiques (ce qui pourrait être lié, soulignons le non sans malice soit aux nombreux postes vacants dans ces structures soit à l’efficacité des traitements qui permettent de restreindre la lourdeur des prises en charge…), le rapport ne permet pas d’affirmer que les recommandations de la HAS soient largement ignorées. La Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’adolescent et Disciplines Associées observe ainsi : « Contrairement à ce qui est suggéré pour les troubles anxieux ou les troubles dépressifs, les traitements médicamenteux sont très rarement une solution de première intention. Et dans tous les cas, ces prescriptions sont réalisées dans un cadre de soin individualisé par un médecin, dans l’idéal psychiatre spécialiste de l’enfant et de l’adolescent avec un accompagnement thérapeutique et dans le meilleur des cas une psychothérapie ». Cependant, la SFPEADA et d’autres signalent que l’absence d’AMM ne préjuge pas systématiquement d’une « mauvaise prescription », d’autant plus que ce défaut d’autorisation est souvent lié au manque de volonté des laboratoires de s’investir sur ce terrain-là.
Trompe l’œil
Non seulement les accusations d’inadaptation des traitements pourraient être discutées, mais également celle d’une augmentation explosive et qui ne serait explicable que par l’impossibilité pour les psychiatres, totalement débordés, de faire autrement que de mettre les enfants « sous médoc ». D’abord, beaucoup l’ont noté, cette croissance coïncide avec une progression des troubles anxieux et dépressifs chez les enfants et adolescents, en lien notamment avec l’épidémie de Covid, signalés par un grand nombre de travaux épidémiologiques. « Quand on compare les taux de prescription des psychotropes mentionnés aux prévalences des troubles qu’ils traitent, il n’y a pas de distorsion majeure, à quelques exceptions près comme les prescriptions d’hypnotiques. La prescription est l’une des réponses thérapeutiques, elle est loin d’être la seule » note la SFPEADA. Par ailleurs, cette progression est à mettre en perspective avec la situation préexistante : les prescriptions de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent sont récentes, ce qui explique en partie les hausses constatées.
« Sans antidépresseurs, je serais mort »
Au-delà de ces limites méthodologiques, le rapport et sa médiatisation ont été critiqués pour l’opprobre qu’ils semblent jeter sur les médicaments et pour ses attaques ciblées en particulier concernant la prise en charge des enfants atteints de trouble déficit de l’attention / hyperactivité (TDAH). Ainsi, l’Association Hyper Supers a réagi vivement : « Nous constatons des titres anxiogènes à dessein, l’absence de regard critique et de débat contradictoire ainsi que le peu de prise en compte de la réalité du terrain, des personnes concernées, des données internationales fiables existantes ». De son côté docteur en santé publique et lui-même atteint de troubles mentaux, le Dr Mick relève sur Twitter : « Qu’il y ait des mauvaises et sur-prescriptions, certes. Mais c’est le cas pour tous les médicaments… AINS, cortisone, IPP, benzo, antibio… Et pourtant, ça ne fait du bruit et n’indigne vraiment que quand on parle des médicaments en psychiatrie. L’utilisation des psychotropes chez l’enfant n’est pas plus une catastrophe sanitaire que l’émergence de bactéries mortelles multirésistantes à force de consommer des antibiotiques pour tout et n’importe quoi. Non seulement, on jette encore une fois l’opprobre sur les psychotropes (comme s’ils en avaient besoin), mais aussi sur les enfants qui en prennent. (…) Sans antidépresseurs, je serais mort », conclut-il, en se référant non seulement au rapport mais aussi aux commentaires de certains journalistes. D’autres se montrent encore moins amènes, tel le chercheur en neurosciences Franck Ramus, qui commente « Déjà deux pédopsychiatres atterrés qui m’envoient ce rapport moisi imbibé de psychanalyse, qui promeut une vision complètement biaisée et anachronique de la santé mentale de l’enfant, en contradiction complète avec la HAS santé. Au programme : dénigrement de la psychiatrie scientifique, des classifications internationales, statistiques bidon, et promotion de la psychanalyse. Bref la honte ». De fait, le HCFEA accorde une large et étonnante place à la psychanalyse.
Dix huit mois d’attente pour un rendez-vous dans le 93
Ce tweet rappelle combien les scissions profondes demeurent prégnantes en psychiatrie et plus encore en pédopsychiatrie avec une apparente indépassable rupture entre les tenants du tout psychanalyse et ceux préférant se reposer, en se basant sur les données de la littérature, sur une approche où les médicaments ont un rôle si non premier en tout cas important. En réalité, cette rupture est parfois médiatiquement surjouée, les collaborations entre les deux écoles étant beaucoup plus fréquentes. Ces conflits larvés fondent probablement en partie certaines des difficultés de la pédopsychiatrie, favorisant les clivages et empêchant les unions, alors que tous sont victimes des mêmes manques de moyens. De fait, tous les dénoncent, du Haut Conseil au Dr Mick en passant par la SFPEADA. Et les tribunes ne se comptent plus sur le sujet, qui ont pu en outre insister sur la vulnérabilité accrue de certains territoires (comme le 93) ou de certaines populations (comme les enfants de l’Aide sociale à l’enfance). A propos de la situation en Seine Saint Denis un collectif de médecins écrivait ainsi dans le Monde : « Qui prendre en soins lorsque l’on ne peut pas prendre tout le monde en soins ? Les enfants les plus gravement atteints, car ils n’ont pas d’autre lieu de soins que les nôtres ? Les adolescents suicidaires, car leurs vies sont menacées ? Les plus petits, car on aura plus de chances d’infléchir leur trajectoire développementale ? Les cas les plus « légers », car ils prendront moins de temps pour être soignés ? Bébés, enfants, ados ? Telles sont les questions auxquelles se heurtent chaque jour les soignants en pédopsychiatrie. Est-ce humain ? Alors que la pédiatrie alerte sur son manque de moyens amenant les médecins à des stratégies de « tri » pour prendre en soins le maximum d’enfants, François Braun, ministre de la santé et des solidarités, s’est dit choqué. C’est le manque de moyens qui oblige les soignants à trier des enfants. C’est la France qui trie ses enfants. La pédopsychiatrie est confrontée à ce constat depuis des années. En effet, par manque de moyens pour répondre aux multiples sollicitations, les services doivent, malgré eux, réaliser un « tri » des patients, car ils ne peuvent pas répondre à toutes les demandes. Les urgences et les situations graves, de plus en plus graves, car ayant eu à attendre longtemps un premier rendez-vous, augmentent sans cesse. Les professionnels sont débordés et doivent s’infliger ce « tri ». L’attente pour un premier rendez-vous atteint dix-huit mois dans les villes de Seine-Saint-Denis. (…) Les moyens alloués à la pédopsychiatrie pour exercer sa mission complémentaire des écoles et des établissements spécialisés, et prendre en soins les enfants autistes, sont limités : cinq hôpitaux de jour pour tout le département. Pour une place disponible, sept enfants sont adressés. Comment s’effectue ce « tri », au nom de quelle éthique ? Admettrait-on qu’une seule chimiothérapie disponible oblige à choisir entre trois enfants cancéreux ? ». Autant de délais d’attente, de places manquantes, de drames qui auraient pu être évités et inlassablement dénoncés dans une certaine indifférence. « Le silence qui a suivi l’objectivation de ce problème sanitaire majeur en dit long sur l’indifférence mêlée d’impuissance d’une société consciente d’exposer sa jeunesse au désespoir », s’indignaient ainsi en juillet 2022 les pédopsychiatres Marion Robin et Pablo Votadoro.
Les enfants sous traités ne sont-ils pas plus nombreux que les sur traités ?
On le voit, la prise de médicaments psychotropes par des enfants
malades, même si une surveillance minutieuse est évidemment
indispensable (notamment parce que certains praticiens, non
spécialisés dans la santé mentale, ne sont pas suffisamment
formés), n’est sans doute pas ce qui doit alerter en premier, quand
on pense à la prise en charge de la santé mentale des enfants. Sans
doute, (bien) plus nombreux que les enfants traités de façon
excessive, existe-t-il aujourd’hui de nombreux adolescents qui ne
reçoivent pas de médicaments alors qu’ils en tireraient
probablement un bénéfice important, mais qui en raison des
difficultés de la pédopsychiatrie et peut-être de la persistance
d’idées préconçues et erronées, voient leur prise en charge,
notamment médicamenteuse, retardée.
On relira :
Une schizophrénie ou des schizophrénies, https://www.lefigaro.fr/sciences/une-schizophrenie-ou-des-schizophrenies-20230312
La tribune du réseau Transition : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/03/15/troubles-psychiques-la-prise-en-charge-precoce-des-15-25-ans-est-une-urgence_6165515_1650684.html
La SFPEADA : https://sfpeada.fr/communique-de-presse-de-la-sfpeada/
Le rapport de l’HCFEA : https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/hcfea_sme_rapport_13032023.pdf
Sébastien Ponnou (maître de conférence à l’Université de Rouen Normandie) et le chercheur en sciences sociales Xavier Briffault (CNRS) : https://theconversation.com/sante-mentale-et-soins-psychiques-de-lenfant-la-surmedication-depasse-toutes-les-bornes-scientifiques-201639?utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1678727198-1
Hyper Supers : https://www.tdah-france.fr/De-qui-se-moque-t-on.html#soutenir
Le fil twitter du Dr Mick : https://twitter.com/mickael_sp
Franck Ramus : https://twitter.com/FranckRaamus
Le collectif Pédopsy 93 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/24/oui-par-manque-de-moyens-la-pedopsychiatrie-doit-depuis-des-annees-trier-les-enfants_6151352_3232.html
Marion Robin et Pablo Votadoro : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/08/en-france-en-2022-des-enfants-et-adolescents-meurent-de-souffrance-psychique-par-manque-de-soins-et-de-prise-en-compte-societale_6133925_3232.html
Aurélie Haroche