
La pandémie de grippe A (H1N1) de 1918, dite grippe « espagnole », a été la plus grande catastrophe sanitaire causée par un virus au cours du dernier siècle. On estime qu’elle a entraîné la mort de plus de 50 millions de personnes dans le monde, avec une mortalité anormalement élevée chez les jeunes adultes (20-40 ans).
Les rapports médicaux de l’époque indiquent que la maladie s’est propagée rapidement sur tous les continents durant l’été 1918, avant d’atteindre un pic à l’automne, puis de décroître lentement jusqu’à l’hiver 1919.
Etudes sur des échantillons d’archive
Du fait de la « priorité militaire » de l’époque, peu d’études scientifiques ont été entreprises et il a fallu attendre les années 1930 pour que l’origine virale de cette grippe soit démontrée. Plus tard, les progrès de la biologie moléculaire et l’étude de tissus et d’organes conservés ont permis de montrer que le virus en cause était un virus de grippe A de sous-type H1N1.
Depuis lors, deux génomes complets de ce virus ont été reconstitués à partir d’échantillons provenant de deux victimes américaines, décédées en septembre et novembre 1918. Plusieurs autres séquences partielles ont été obtenues de victimes anglaises et américaines, et donnent des indices sur l’évolution de la pandémie.
Cependant, ces génomes sont rares et de nombreuses questions sur la gravité, l’origine, les conséquences sur les futures épidémies de grippes H1N1 subsistent ou sont toujours débattues.
Dans une étude publiée dans la revue Nature Communications, des scientifiques se sont servis des dernières avancées en terme de récupération d’acides nucléiques pour étudier de nouveaux échantillons. Ils sont ainsi parvenus à séquencer un génome complet et deux génomes partiels de virus de grippe provenant de prélèvements effectués en Allemagne durant la période précédant le pic de la pandémie, et les ont exploités pour revisiter plusieurs hypothèses concernant le virus de la grippe de 1918.
Variabilité génomique
Ils ont d’abord utilisé ces nouvelles séquences de virus pour évaluer la diversité génomique des souches prélevées dans diverses zones géographiques et à différentes périodes. En comparant les génomes allemands et américains, ils constatent une certaine variabilité, plus marquée entre les échantillons provenant de différents continents et périodes.
Ces différences étaient associées à des modifications de la pathogénicité, avec une plus grande activité des polymérases (un marqueur de virulence des souches) dans les virus américains prélevés plus tardivement. Les variations sont aussi associées à une résistance aux défenses de l’hôte, suggérant une possible adaptation du virus a l’Homme.
En revanche, les comparaisons de séquences spécifiques à l’hémagglutinine (HA) disponibles prélevées avant et pendant la pandémie montrent aussi que les séquences allemandes étaient très proches des séquences américaines, suggérant une absence de ségrégation entre continents. Des séquences prélevées à Londres pouvaient également être relativement éloignées génétiquement.
Ces données génomiques soutiennent un scénario de transmission principalement locale avec de fréquents événements de dispersion sur de longues distances, facilement explicables par le contexte historique de 1918.
Enfin, en comparant les virus d’épidémies saisonnières de grippe H1N1 à ceux de la pandémie de 1918 par une technique de modélisation d’évolution moléculaire dans le temps, les chercheurs ont tenté de comprendre l’origine de ces épidémies. Ces nouvelles analyses, sans pouvoir le valider définitivement, sont globalement compatibles avec le scénario d'une origine purement pandémique des virus saisonniers H1N1. Ils impliquent donc que la grippe H1N1 saisonnière a pour origine la souche responsable de la pandémie, et contredisent l’hypothèse d’une émergence du virus saisonnier par réassortiment génomique entre différents virus.
Les auteurs insistent aussi sur l’importance de la conservation
et de l’archivage des échantillons pour la recherche, et suggèrent
le potentiel énorme des travaux génomiques sur des collections
médicales.
Dr Remi Samain