
Des cautions scientifiques pour masquer l’impréparation
Plusieurs enquêtes, que nous avons déjà évoquées dans ces colonnes, ont confirmé comment le gouvernement avait tenté de dissimuler la pénurie de masques (liée en partie au non renouvellement des stocks d’état par ses prédécesseurs) en dissuadant très leur utilisation par la population générale (en mettant en avant des arguments scientifiques en défaveur de leur généralisation et en taisant ceux, plus nombreux, en faveur d’un recours plus large). Peu à peu, la vérité a pu se faire jour sur l’impréparation du gouvernement et sur les très grandes difficultés rencontrées par la France (à l’instar il faut le dire de tous les autres pays d’Europe) pour tenter de répondre à l’urgence, dans un contexte d’hyper concurrence et de production restreinte en raison de l’épidémie.Plébiscite pragmatique pour les masques grand public
Les dissimulations premières et les impréparations ont participé à une communication totalement erratique qui voit aujourd’hui les mêmes qui déconseillaient fortement l’utilisation du masque, y compris du « masque grand public », le recommander désormais voir de souhaiter le rendre obligatoire. Il faut dire que la très grande majorité des sociétés savantes défend aujourd’hui, en s’appuyant notamment sur des données empiriques, le port du masque pour tous, certains espérant même l’adoption de mesures contraignantes. S’inscrivant dans cette lignée, les professionnels de santé se montrent aujourd’hui majoritairement favorables à un port du masque obligatoire dans la population générale (quel que soit le type de masque).
Gérer la pénurie, encore et toujours
En dépit de l’attente des professionnels de santé et des sociétés savantes et de l’adhésion des Français au port du masque (comme en témoignent les sondages réalisés en population générale et la multiplication des masques dans les rues), le gouvernement ne devrait pas édicter d’obligation du port du masque en population générale dans toutes les situations (à l’exception probablement des transports). Une fois encore, il est probable que ce choix soit en partie dicté par l’insuffisance des stocks de masques grand public disponibles. Ainsi, cette semaine 20 millions de masques grand public devraient être accessibles (grâce aux importations et aux livraisons des entreprises françaises dont les prototypes ont reçu le label de l’Afnor) permettant autour de 151 millions d’usages. La semaine du 11 mai, ce seront 38 millions de masques (soit autour de 511 millions d’usages) qui devraient être en circulation. Dans une note de Bercy du 14 avril, dévoilée le 26 avril par le Journal du Dimanche les besoins ont été évalués à minima (à raison de deux usages par jour et par personne, cinq jours par semaine), à 376 millions d’usages hebdomadaires pour le déconfinement des secteurs prioritaires et 600 millions pour l’ensemble de la population.L’excuse de l’innovation !
Les tensions d’approvisionnement qui se profilent pourraient conduire à une envolée des prix. Pourtant, à la différence du gouvernement italien, la France se refuse pour l’heure à envisager la fixation d’un prix maximum, afin de ne pas freiner « l’innovation » a expliqué le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, Agnès Pannier-Runacher. Cependant, cette position pourrait (devrait ?) évidemment évoluer, à l’instar d’un très grand nombre de « dogmes » associés à cette épidémie. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes doit ainsi présenter demain « des propositions permettant de garantir la qualité et l’accessibilité en termes de prix des masques vendus au grand public ». Les pharmaciens espèrent que cette saisie permettra de répondre à certaines de leurs questions et notamment à celle de la possibilité de distribuer gratuitement des protections aux plus précaires.Des canaux de distribution multiples
Parallèlement à cette question du prix et alors que cette excuse de « l’innovation » apparaît peu satisfaisante, il semble illusoire d’attendre de la part du gouvernement une gestion plus claire concernant la distribution des masques lavables que celle qui a prévalu pour les masques chirurgicaux et FFP2 à destination des professionnels de santé. Il a ainsi fallu attendre ce week-end pour qu’enfin les pharmacies soient autorisées à commercialiser ces masques grand public, créant ce lundi un afflux de patients, le plus souvent très déçus : la plupart des officines n’ont en effet nullement eu le temps de s’approvisionner. Parallèlement, dans les « territoires », des distributions commencent à être organisées partout par les mairies, ciblant en priorité les populations les plus fragiles. Et dans ce cadre, les masques sont gratuits.Aurélie Haroche