
Paris, le vendredi 10 août 2012 – Les sondages sont très loin d’être une science exacte et il n’est pas même nécessaire d’être en période électorale pour s’en convaincre. Sur tous les sujets, les résultats varient d’un institut à l’autre, diffèrent significativement en fonction du promoteur de l’enquête et se contredisent en l’espace de quelques semaines. Au-delà même de la divergence fréquente des chiffres obtenus, il apparaît que les sondages ne se laissent pas toujours interpréter facilement. Tel est notamment celui que nous vous avons proposé du 25 juillet au 9 août et qui tentait de déterminer le sentiment des professionnels de santé quant au caractère « abusif » des honoraires fixés librement par les médecins de secteur 2 : à partir de quel seuil faut-il considérer que le « tact et la mesure » sont dépassés. Le sujet, brûlant, a suscité un nombre de réponses élevé : 673 professionnels internautes ont en effet participé à notre enquête, un score qui n’est pas toujours aussi facilement atteint au cœur de la torpeur estivale.
50/50 : tout et son contraire
Il apparaît en premier lieu qu’aucune position majoritaire ne se dessine clairement. L’opinion des professionnels semble en effet en la matière très morcelée. Schématiquement, on pourrait cependant diviser les médecins, infirmiers et pharmaciens en deux catégories : ceux qui considèrent que les dépassements doivent être restreints le plus possible (ils sont 45 %) et ceux qui jugent que la liberté des honoraires doit s’imposer avec souplesse (ils sont 44 %). Cette égalité presque parfaite entre les deux groupes suggère facilement combien nos résultats pourraient être interprétés soit comme le veto d’une majorité de professionnels ou inversement comme une adhésion nette des soignants à ce dispositif.
Un quart de professionnels de santé sont contre toute forme de dépassements
Parmi les « opposants », un quart des professionnels de santé, 26 %, n’hésite pas à affirmer que les dépassements sont « toujours abusifs ». Cette proportion non négligeable est sans doute en partie liée à la présence d’un grand nombre d’infirmières et de pharmaciens dans notre lectorat, qui sans doute portent plus certainement la voix des patients, dont ils recueillent souvent les doléances. Par ailleurs, ces professionnels sont probablement plus enclins à porter un jugement sévère sur un système qui ne les concerne que très indirectement. Cependant, au-delà de l’influence de la position des professionnels non médecins, ce pourcentage met en évidence l’émergence au sein de la communauté médicale d’un mouvement clairement hostile au secteur 2. On a ainsi vu cette semaine un collectif de médecins girondins appeler à la fin pure et simple des dépassements d’honoraires. Bernard Coadou, médecin généraliste à la retraite est le porte-parole de ce mouvement qui tend tout à la fois à dénoncer des pratiques qui nuisent (nuiraient ?) à l’accès aux soins tout en rappelant que les soins dispensés par les médecins présentent la même exigence de qualité quel que soit le secteur d’exercice.
Une majorité de praticiens pourrait se satisfaire de la situation majoritaire actuelle
Adoptant une position moins tranchée mais semblant cependant favorable à une restriction importante des dépassements, 29 % des professionnels ayant répondu à notre sondage estiment qu’il faut considérer « abusifs » tous honoraires plus de deux fois supérieurs au tarif opposable. C’est la « proposition » qui a retenu dans notre enquête le plus grand nombre de vote. Peut-être faut-il y voir un reflet de ce qui passe dans la réalité : aujourd’hui les dépassements sont en moyenne supérieurs de 54 % à celui du tarif opposable.
En Ordre de marche
Il est cependant encore une part importante (équivalant à la moitié) de professionnels qui défendent la possibilité de réaliser des dépassements assez larges, sans qu’ils puissent être taxés d’abusifs. On compte ainsi 16 % de professionnels qui considèrent qu’il faut dépasser un plafond correspondant à trois fois le tarif opposable pour que l’on puisse estimer que le tact et la mesure sont bafoués, tandis que 12 % osent même penser que c’est à partir de quatre fois que l’abus doit être dénoncé. Ces répondeurs s’inscrivent dans la ligne dessinée par l’Ordre des médecins qui en mai dernier avait considéré « qu’en aucun cas, les honoraires demandés à un patient (…) ne sauraient dépasser trois à quatre fois le montant opposable de l’acte concerné ». On relèvera par ailleurs que le pourcentage de professionnels défendant des pratiques tarifaires « élevées » (jusqu’à quatre fois le tarif de la Sécurité sociale) est plus important que la part de médecins qui effectivement adopte ce type de tarifs. Une enquête réalisée par le Monde au printemps avait ainsi mis en évidence la rareté des dépassements les plus élevés en ville. Ainsi, le fait de pratiquer des honoraires trois ou quatre fois supérieurs à ceux de la Sécurité sociale concerne 6,7 % des médecins parisiens seulement, 1,5 % des médecins lyonnais, 1,1 % des praticiens niçois et aucun médecin bordelais.
Le vrai abus (de langage)
Enfin, une poignée d’irréductibles, là aussi pas totalement négligeable, puisqu’elle représente 16 % de nos lecteurs répondeurs, juge que le débat n’a pas lieu d’être : les dépassements d’honoraires ne sont pas abusifs. Défendant peut-être leurs propres pratiques (bien qu’encore une fois, on ne compte pas en France 16 % de médecins appliquant des tarifs plus de quatre fois supérieurs au tarif opposable), ces professionnels souhaitent peut-être également rappeler que la terminologie de dépassement est en elle-même abusive. Comme le rappelait récemment un lecteur, pour qu’il y ait « dépassement », il faudrait qu’il y ait un plafond. Or, le tarif de la Sécurité sociale ne peut-être considéré comme un plafond, mais plus certainement comme une base. Le secteur 2 n’est pas le secteur du dépassement mais un secteur à honoraires libres. Reste à connaître les nouveaux contours de cette liberté qui devraient être dessinés en septembre lors des négociations entre l’Assurance maladie et les syndicats, sous l’égide du ministère de la Santé. On ne sait toujours pas pour l’heure ce que ces différents décideurs auraient répondu à notre sondage.
Aurélie Haroche