
Paris, le mardi 29 avril 2014 – A peine confirmée à son poste de ministre de la Santé, Marisol Touraine a répété son souhait d’aboutir à une généralisation du tiers payant d’ici 2017. Pourtant l’opposition des syndicats de médecins à cette mesure est massive. Parallèlement à ceux qui, bien que favorable au principe, redoutent fortement sa mise en œuvre, tel MG-France, d’autres sont fermement hostiles à une telle idée pour des raisons pratiques mais également philosophiques. Menant cette fronde, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) est convaincue que les « négociations n’aboutiront pas » comme le prophétisait son précédent président, Michel Chassang au mois de février. Si l’organisation se montre si catégorique, c’est qu’elle est plus que jamais convaincue de traduire le sentiment de la majorité des professionnels de santé et notamment des médecins.
Pour le moment le tiers payant c’est deux tiers d’embêtement
Ce ne sont pas les résultats du sondage réalisé sur notre site du 14 au 27 avril qui démentiront cette analyse : ils démontrent clairement qu’une large majorité de professionnels de santé (77 %) est hostile à cette évolution, tandis que seuls 22 % s’y montrent favorables et qu’un pour cent désireux peut-être de voir si les dispositifs techniques permettront d’apaiser les craintes les plus prégnantes ne se prononcent pas. Ainsi, ces résultats, qui sont comparables à ceux obtenus lors des enquêtes conduites l’automne dernier lorsque le projet a été dévoilé pour la première fois par le ministre de la Santé et vont dans le sens des réactions déjà mises en ligne sur notre site à ce sujet, confirment que ses déclarations censément rassurantes sur le sujet et notamment la garantie que tout sera conçu afin que les praticiens n’aient pas à souffrir de cette mesure n’ont guère convaincu les intéressés. Il faut dire que l’expérience des professionnels de santé du tiers payant n’est guère de nature à leur faire espérer sa généralisation. Du côté des pharmaciens, on éprouve depuis déjà de nombreuses années les difficultés que ce système engendre. Concernant les médecins, la gestion des cas dans lesquels la dispense d’avance de frais est déjà possible leur laisse sans doute un goût amer. Dans un rapport remis sur le sujet en février, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) confirmait en effet l’existence de « délais de paiement jugés globalement excessifs » et de « formalités administratives » complexes liées à « la multiplicité des interlocuteurs présents ».
Et si le tiers payant faisait augmenter trois fois plus la consommation de soins ?
La perte de temps entraînée par la généralisation du tiers payant et le risque d’impayés ne sont cependant pas les seules raisons qui expliquent ce très net rejet. Il existe également des motivations plus idéologiques, qui perdureraient probablement même si étaient trouvées des modalités qui permettaient d’assurer aux praticiens une gestion douce et efficace de la dispense d’avance de frais. Dans une tribune publiée sur le JIM, l’Union française pour une médecine libre (UFML) s’inquiétait en effet également récemment d’un risque d'un nouvelle « dévalorisation de l’acte de soin dans l’esprit du public » et dans le même ordre d’idée de « déresponsabilisation des patients avec tendance à la surconsommation d’actes inutiles ».
Sondage réalisé du 14 au 27 avril 2014 auprès de 661 professionnels de santé
Le tiers payant en trois ans, pas si sûr !
Ces arguments bien sûr ne sont nullement envisagés par ceux qui comme le gouvernement estime que la généralisation du tiers payant représente une avancée sociale importante. Sans doute ce sentiment est-il également partagé par les 22 % de professionnels de santé qui se sont prononcés en faveur de cette mesure. On relèvera que ceux qui marquent le moins d’hostilité se trouvent parmi les rangs des pharmaciens : 45 % d’entre eux se disent favorables à la généralisation du tiers payant pour les consultations médicales, contre 36 % des infirmiers et seulement 15 % des médecins. Il est possible de lire de façon optimisme cette différence entre les professions : les pharmaciens témoignent ici que leur expérience d’un tiers payant généralisé n’est pas si négative, tandis que les infirmières (qui pratiquent le tiers payant plus massivement que les médecins) peut-être plus sensibilisées aux difficultés sociales de leur patient apprécient davantage sa raison d’être. On peut évidemment proposer une lecture plus cynique : les pharmaciens (et les infirmières) ne seraient pas fâchés de voir comment les médecins se dépêtreront d’une évolution qui leur a déjà coûté aux officinaux tant de difficultés financières et administratives !
Les résultats de notre sondage suggèrent en tout cas que forts de cette large majorité les syndicats pourraient rivaliser de pugnacité dans ce dossier et faire achopper les négociations. Le calendrier prévu par Marisol Touraine apparaît en tout état de cause peu réaliste. L’IGAS, elle-même, estimait que cette « mutation historique, institutionnelle et gestionnaire considérable » ne pourrait être une réussite que si elle bénéficiait d’une mise en œuvre d’une durée d’environ cinq ans et non à peine trois.
On peut également se demander si cette mesure dont les conséquences financières pour l'Assurance maladie pourraient être négatives si, comme on peut le craindre raisonnablement, elle entraînait une surconsommation médicale, s'inscrit bien dans le plan d'économies de 10 milliards qui est à l'ordre du jour depuis quelques semaines !
Aurélie Haroche