
Modération dans tous les sens
Les chercheurs en neuroscience et en neuropsychologie gardent pour la plupart leur distance avec les messages alarmistes et catastrophiques. Rappelant que les troubles des interactions sociales ou des acquisitions potentiellement constatés chez les enfants qui usent leurs journées devant les écrans sont probablement d’abord liés à leurs liens réduits avec le monde extérieur, ils prônent la modération et une utilisation accompagnée par les adultes afin de limiter les effets délétères des écrans tout en bénéficiant de leurs multiples atouts. Parallèlement à ces recommandations (proches de celles reprises dans un rapport publié en 2015 par l’Académie des sciences dont la pondération avait heurté ceux qui attendait des interdictions et des mises en garde plus sévères), des travaux sont conduits partout dans le monde pour évaluer les effets des écrans.11 000 enfants suivis pendant au moins dix ans
Ainsi, le National Institue on Drug abuse (NIDA) aux
États-Unis a récemment lancé un vaste programme baptisé
Adolescent Brain Cognitive Developpement. L’objectif de
cette étude est de déterminer « comment les expériences de
l’enfance (comme les sports, les jeux vidéos, les réseaux sociaux,
les mauvaises habitudes de sommeil et le tabagisme) interagissent
entre elles et avec la biologie changeante de l’enfant ». Pour
répondre à cette vaste ambition, les chercheurs conduits par le
docteur Gayathri Dowling vont inclure 11 000 enfants qui devront
être suivis pendant au moins dix ans et qui seront soumis à des
questionnaires réguliers et à des IRM.
Déjà, 4 500 IRM cérébrales ont été réalisées chez des enfants
de 9-10 ans de cette cohorte.
Résultats difficilement interprétables
Les analyses de ces IRM mettent en évidence un amincissement prématuré du cortex chez les enfants présentant une exposition importante aux écrans (plus de 7 heures par jour). Difficile de tirer des conclusions de cette observation. On sait que l’amincissement du cortex est un processus normal, tandis que la plasticité du cerveau peut facilement expliquer des modifications liées à certaines activités intenses. Par ailleurs, il est impossible de dire si le caractère avancé de l’amincissement du cortex chez les enfants les plus férus d’écrans soit inquiétant ou non. Enfin, s’agissant de jeunes dont l’exposition aux écrans est très élevée, il est difficile d’extrapoler ces résultats à toutes les situations. Telles ont été les mises en garde des responsables du programme. « Nous ne savons pas si cela est causé par le temps passé devant les écrans. Et nous ne savons pas si c’est une mauvaise chose » a notamment indiqué Gayathri Dowling. Ces réserves n’ont pas empêché ces résultats d’être présentés de manière parfois alarmiste par certains médias américains et notamment par un documentaire qui a suscité de nombreuses réactions ; témoignant que la complexité de la transmission de l’information scientifique est loin d’être un phénomène uniquement français.Aurélie Haroche