Extension du domaine de l’autisme

En paraphrasant le titre du célèbre roman de Michel Houellebecq (Extension du domaine de la lutte), on peut dire que l’inflation actuelle des diagnostics de « troubles du spectre autistique » (TSA) suscite un débat quasiment mondial sur l’extension (inconsidérée ?) du domaine de l’autisme. Comme le remarquent deux spécialistes (exerçant en Belgique et au Canada), les critères actuels de TSA permettent, en effet, d’inclure sous ce terme des individus de plus en plus nombreux et de plus en plus hétérogènes. Rançon de ce ratissage très (trop ?) large : nos difficultés à préciser objectivement la frontière entre des sujets avec TSA et des individus neurotypiques (rappelons que ce terme « neurotypique » désigne les personnes en dehors du spectre de l’autisme) et la démarcation « entre les TSA et d’autres conditions neuro-développementales. »

Des diagnostics discutables

Cette difficulté de repérages nosographiques croît avec l’augmentation de la prévalence rapportée des TSA et pose des problèmes pratiques aux cliniciens. Autrement dit, un certain risque existe de porter un diagnostic de TSA discutable, mal justifié ou inutile pour les intéressés.

Estimant qu’il arrive même parfois que poser un tel diagnostic de TSA ne constitue « ni l’acte médical le plus approprié, ni le plus utile », les auteurs ont identifié quatre contextes cliniques où cette extension du champ de l’autisme ne doit s’opérer qu’avec circonspection. La première situation concerne les cas où les instruments diagnostiques standardisés donnent un résultat proche du seuil (entre sujet avec autisme et sujet neurotypique). La seconde est relative aux présentations infra-cliniques, de simples traits autistiques ne suffisant pas à affirmer un diagnostic péremptoire de TSA. Le troisième type de diagnostic litigieux est celui où des signes autistiques initiaux s’estompent au cours du développement : en d’autres termes, il est souvent judicieux de réexaminer une évaluation de TSA, à distance du premier constat. Enfin, les auteurs incitent aussi à la prudence diagnostique en cas de « comorbidités cliniquement prédominantes. »

Dr Alain Cohen

Référence
Defresne P et Mottron L: Clinical situations in which the diagnosis of autism is debatable: an analysis and recommendations. Canadian J. Psy, 2022, 67(05); 331-335.

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Vos réactions (2)

  • A qui profite le sur diagnostic ?

    Le 07 mai 2022

    Lorsque j’ai commencé à travailler auprès de personnes souffrant d’autisme on parlait de triade autistique (altération des interactions sociales réciproques,altération de la communication,intérêts restreints et stéréotypés)
    Aujourd’hui la nosographie en a supprimé un et maintenant on parle de dyade (déficit de la communication et des interactions sociales, caractère restreint et répétitif des comportements).
    Ceci expliquerait l’explosion de cas TSA surtout non Asperger et sans déficit intellectuel ?
    L’hôpital public est submergé de demandes de diagnostic et pour pouvoir obtenir un rendez en CRA l’attente d’un an semble être le minimum
    L’orientation se fait alors obligatoirement en libéral où les coûts diagnostic sont inenvisageables pour les familles aux faibles revenus ou moyens.

    C’est ici que commence le parcours du combattant des familles où la reconnaissance de ce handicap semble être au bon vouloir des commissions CDAPH des départements, tel département attribuera une AEEH et un autre non.
    Et pour payer toutes ces prises en charges coûteuses qui vont du diagnostic au suivi éducatif, psychologique ou autre, cette aide financière est indispensable aujourd’hui puisque l’hôpital public agonise.

    Anna Cannavacciuolo (IDE)

  • Quel surdiagnostic ?

    Le 09 mai 2022

    Première remarque : le Canada et la Belgique sont en partie francophones, mais en matière de TSA, ce qui se dit ici et là est probablement, et même sûrement, inapplicable à la France, très loin encore de rattraper les standards internationaux. Nous sommes bien loin de risquer les surdiagnostics !  D'ailleurs personne n'est encore capable d'établir la prévalence nationale.

    De plus, si Mottron s'exprime beaucoup et est très souvent cité en France, il a souvent des positions très personnelles, divergentes de ses confrères nationaux et de l'OMS. En particulier, sa "prudence diagnostique en cas de comorbidités cliniquement prédominantes" reflète bien les idées de son équipe singulière : aprés s'être entouré de personnes autistes de haut niveau, telle Michelle Dawson, il aimerait bien exclure du spectre les formes liées à un trouble sévère du développement intellectuel, qu'il dénomme "syndromiques".

    D'où ce mouvement venu du Québec, de la "Neurodiversité" : "nous sommes autistes de haut niveau, nous avons grandi sans diagnostic et sans interventions psycho-éducatives à visée développementale et comportementale. Comme Michelle Dawson, nous estimons que ces interventions visant à normaliser notre comportement est une atteinte inacceptable à notre personnalité. Et nous refusons d'être assimilés aux formes d'autisme "déficientes"...

    Dans le contexte franco-français, le grand risque est d'anéantir la RBPP de mars 2012 préconisant ces interventions psycho-éducatives ou de donner des arguments aux MDPH qui rechignent encore à les financer. 

    Diffuser en France ce genre de discours (surdiagnostic et TSA simple neurodiversité éliminant des critères diagnostiques les formes les plus sévères)  me semble inadapté et plutôt dangereux.

    Chantal Othon (IDE)

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