
Paris, le samedi 4 février 2023 – Depuis la mi-septembre 2022,180 citoyens français se réunissent tous les quinze jours à Paris pour participer à la Convention citoyenne sur la fin de vie au siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Auditions de soignants, de représentants d’associations de patients, de dignitaires religieux : les rencontres se succèdent pour ces Français qui, à tâtons, s’essayent à un exercice peu commun. Certains se montrent très enthousiastes : « On peut donner notre avis, en toute connaissance de cause. C'est rare qu'on nous le demande. En général, on est des moutons. Je ne vote plus depuis des années, pour protester contre la non-reconnaissance des bulletins blancs, mais je me sens complètement citoyenne », témoignait par exemple cette semaine au micro de France TV Info Pascale, âgée de 54 ans, demandeuse d’emploi et bénévole (Pyrénées-Orientales). Mais pour d’autres, les illusions sont mortes depuis longtemps : « On sait très bien que le gouvernement fera ce qu'il veut de nos travaux. Pour moi, une convention citoyenne est tout à fait légitime, représentative et compétente pour décider, sans filtre. On nous a fait un peu de place, mais, au final, il faudra se plier au bon vouloir du président » commente fataliste, Martial, 27 ans et travailleur associatif. Au-delà de ces doutes sur le rôle d’alibi qu’ils pourraient jouer, les citoyens remarquent la difficulté de l’expérience. Nathalie, 56 ans, documentaliste à Villeurbanne (Rhône) observe ainsi : « Ma grosse surprise, en revanche, est que le Cese n'a pas de recette pour bien donner la parole à tout le monde. En plénière, et même dans nos ateliers en petits groupes, certains n'osent pas s'exprimer. Le niveau est parfois trop haut, ou le vocabulaire compliqué, et les animateurs ne font pas assez le travail d'intégrer tout le monde ».
Une loi forcément incomplète
Cette timidité et cette défiance sont également liées au sujet. Les « citoyens » de la convention sont comme tous les autres citoyens, peu enclins à évoquer ainsi la mort, à accepter de dépasser le tabou. Et derrière ces réticences, on mesure combien certains sujets seront probablement tus, par réserve mais aussi en raison de leur complexité éthique. Ce silence perdurera-t-il jusqu’à la proposition de texte de loi qui devrait (doit ?) être l’issue de cette convention ? Beaucoup le redoutent : qu’ils soient ou non favorables à une légalisation d’une aide active à mourir, nombreux sont ceux qui mettent en garde contre l’illusion qu’un texte pourra tout régler.
Que dire à ceux qui veulent y croire, coûte que coûte ?
Si une nouvelle loi sur l’accompagnement de la fin de vie était adoptée, répondra-t-elle à ceux qui continuent à croire que la médecine pourrait un jour repousser les limites, non pas de la mort, mais des accidents les plus dévastateurs, des maladies réputées incurables, des dommages qui paraissent les plus irréversibles ? Offrira-t-elle une garantie à ceux dont le choix est, coûte que coûte, de ne pas être accompagné vers la mort et d’être maintenu en vie ? Cette question est posée par deux récentes décisions du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’Etat concernant un homme dont les directives anticipées signifiaient très clairement que s’il se trouvait dans une situation où la question de sa fin de vie était posée et qu’il ne pouvait s’exprimer, il souhaitait que tout soit mis en œuvre pour être maintenu, même artificiellement, en vie. Or, les deux hautes juridictions ont estimé que la décision collégiale médicale de mettre fin à ce qui semblait manifestement constituer une obstination déraisonnable devait être considérée comme conforme aux dispositions légales sur la fin de vie et à la Constitution.
Obstination déraisonnable : impossible à anticiper
Dans Le Monde, cette semaine, Claudine Bergoignan Esper, professeur honoraire de droit médical à l’Université de Paris, présidente du Comité éthique et cancer et membre de l’Académie de médecine ne remettait nullement en cause la pertinence juridique de l’analyse des magistrats. « La seconde loi française sur la fin de vie, dite loi Claeys-Léonetti, du 2 février 2016, a renforcé le poids des directives anticipées, mettant l’accent sur la volonté de la personne. Le médecin doit les respecter. Mais deux hypothèses permettent de les transgresser : l’urgence vitale d’une part ; le constat du caractère manifestement inapproprié ou non conforme des directives à la situation médicale d’autre part. Cette loi de 2016 a de toute évidence porté sur l’hypothèse où la personne, souhaitant une issue digne et sans souffrance, exprime sa volonté d’en finir avec la vie. L’inverse se produit ici. Le patient souhaite vivre. Il l’écrit, ayant probablement l’espoir d’un progrès thérapeutique. Mais sa situation médicale est telle qu’aucune amélioration ne peut être espérée. Que faut-il faire ? Le maintenir coûte que coûte en vie, dans un état végétatif, en se conformant à sa volonté ? Ou retenir le caractère « inapproprié » des directives anticipées, et considérer que le souhait de vie doit être transgressé car non conforme à la réalité médicale ? La décision du Conseil constitutionnel permet cette seconde solution. Sa motivation n’est pas critiquable. Il ne revient pas au Conseil de se substituer au législateur pour apprécier les conditions dans lesquelles un médecin peut écarter les directives anticipées. Les dispositions contestées ne sont ni imprécises ni ambiguës. La décision du médecin, prise à l’issue d’une procédure collégiale et inscrite dans le dossier médical, peut faire l’objet d’un recours. Le Conseil d’Etat, par un arrêt du 29 novembre 2022, a définitivement rejeté la demande de la famille. Les dispositions sur les directives anticipées sont conformes à la Constitution. La situation médicale de l’intéressé continue à se dégrader. Il n’y a plus de perspective thérapeutique. Toute poursuite de soins est une obstination déraisonnable » décrypte-t-elle. Néanmoins, si la logique juridique n’est pas en cause, ce cas singulier signale combien l’enjeu du respect de la volonté, de l’autonomie de chacun, est complexe.
Que l’on veuille vivre ou mourir…
A l’aune des réflexions actuelles sur ce que devrait autoriser la loi, cet exemple peut orienter vers deux voies distinctes. Soit, on estime qu’il met en évidence combien l’expertise médicale doit être première pour déterminer si un patient doit continuer ou non à être soigné, si la vie d’un patient doit continuer ou non à être préservée. En effet on peut considérer que l’obstination déraisonnable ne doit pas pouvoir être « sciemment » choisie et que les équipes médicales doivent être les remparts contre une telle tentation. Ou au contraire, on peut juger que cet exemple révèle de façon édifiante combien la volonté du patient doit primer sur toute autre considération, qu’elle soit volonté de mort ou volonté de vie, car l’idée qu’une personne qui voulait vivre ne l’a pas pu est tout aussi (plus ?) révoltante que l’idée qu’une personne qui voulait mourir ne l’a pas pu.
Prison
En tout état de cause, cet exemple permet sans doute de toucher du doigt les limites d’une loi, l’impossible équilibre entre un respect de l’autonomie et du choix et le rôle essentiel du médecin dans l’accompagnement des patients pour déterminer la meilleure option médicale. Un autre cas tragique récent révèle quelles seront les probables limites d’un nouveau texte. Il s’agit de celui d’une jeune femme de 45 ans, Delphine, qui après trois greffes de rein et trente ans de dialyse, bien que très dynamique, a choisi de renoncer à poursuivre la dialyse, sachant que cette décision signifiait la mort. Le collectif Renaloo (association de soutien aux patients insuffisants rénaux) décrivait dans le Monde à la fin de l’année le cheminement douloureux de Delphine : « Plusieurs fois, ces derniers mois, elle manifeste le souhait de mettre fin à la dialyse, et donc à ses jours. Elle consulte l’équipe de soins palliatifs et les psychiatres de l’hôpital. Aucune dépression n’est diagnostiquée. Le 9 juin, Delphine annonce qu’elle ne dialysera plus. Elle est hospitalisée le 12 juin, et les équipes de néphrologie et de soins palliatifs l’accompagnent jusqu’au bout. Le 17, Delphine communique encore avec ses proches et ses nombreux followers sur Twitter. Elle meurt dans la nuit. L’alternance dialyse-greffe a maintenu Delphine en vie durant plus de trois décennies. Cette vie aurait pu être assez longue encore, même si l’espoir d’une quatrième greffe était mince. Mais elle a fait le choix de mettre fin à cette existence qui, pour elle, ne valait plus la peine d’être vécue. (…) La mort de Delphine n’est pas un suicide, elle n’attente pas elle-même à sa vie à l’aide d’un moyen actif. Il ne s’agit pas non plus d’un suicide assisté, acte prémédité, connu des proches et accompli par un agent extérieur. L’arrêt de la dialyse s’inscrit à mi-chemin de ces deux fins de vie volontaires. C’est un « laisser-mourir ». Il s’apparente aux arrêts thérapeutiques en réanimation : un traitement vital est stoppé, conduisant au décès. Mais il s’en distingue aussi fortement : de tels arrêts de traitement s’effectuent le plus souvent pour des malades dans le coma, au pronostic dramatique ».
Quand les progrès de la médecine nourrissent des espoirs de liberté
Au-delà de la question du terme, le collectif note que ce qui est en jeu, ici, est en partie la possible faillite de la médecine. « Le choix de Delphine est-il un échec de la médecine ? Si exceptionnelle soit-elle, la mort par arrêt de dialyse d’une femme de 45 ans, ayant une espérance de vie résiduelle de plusieurs années, débordant d’énergie et d’activités jusqu’au jour de sa décision, laisse des interrogations. La médecine aurait-elle pu ou dû faire mieux ou davantage pour elle ? Cette extrémité aurait-elle pu être évitée ou retardée si, à différents moments de son parcours, des options de traitement et d’accompagnement plus adaptées, qui lui auraient donné de meilleures chances et rendu son existence plus supportable, lui avaient été proposées ? Alors que l’âge médian au démarrage de la dialyse est de 71 ans, la néphrologie prend-elle suffisamment en compte les besoins spécifiques de ces patients plus jeunes qui subissent le fardeau de la maladie durant leur existence entière, d’autant plus lorsque leur accès à la greffe est complexe ou impossible ? Combien d’entre eux vivent actuellement, dans notre pays, dans de telles conditions, avec très peu d’espoir de voir leur sort s’améliorer ? Certes, certaines modalités de dialyse non conventionnelles améliorent sensiblement la vie et la santé des rares personnes qui peuvent en bénéficier. Certes, des innovations médicales ou organisationnelles contribuent à rendre possibles des greffes jusque-là inenvisageables. Mais ces options ne sont pas toujours suffisantes. Finalement, qu’est-ce qui est le plus difficile à accepter : le choix de Delphine, ou la situation dans laquelle elle se trouvait ? » interroge le collectif.
Aveu d’impuissance ou acte de contrition ?
Ici n’est plus convoquée une médecine fantasmée qui permettrait d’aller au-delà des accidents les plus effroyables, mais néanmoins une médecine idéale, une médecine qui pourrait être, si tous les moyens possibles étaient mis en œuvre. Les patients touchent du doigt une vie améliorée, une vie libérée de certains jougs de la maladie mais sont sans cesse confrontés à un dur retour à la réalité : il ne leur est pas possible de jouir de toutes les promesses bien réelles des progrès thérapeutiques. Outre les différences entre le premier patient et Delphine, c’est bien l’incapacité de la médecine à répondre à tous les espoirs que l’on questionne. En refusant l’euthanasie (comme c’est le cas pour une part importante d’entre eux) les professionnels de santé et les médecins tentent-ils de dissimuler cette limite, en conservant une forme de pouvoir face à cette impuissance ? Ou au contraire, est-ce une façon de se racheter de leurs manques : puisqu’ils ne peuvent répondre à tout, au moins choisissent-ils d’endosser les décisions imprenables ?
Où l’on voit que les questions seront encore nombreuses
une fois la convention citoyenne achevée.
On pourra relire :
Claudine Bergoignan Esper
L’association Renaloo
Aurélie Haroche