
Paris le samedi 4 avril 2015 - C’est un cas d’école pour les juristes : lorsqu’un avion sous pavillon allemand, décolle de Barcelone pour s’écraser en France, avec à son bord des passagers européens, américains, argentins et vénézuéliens, sur la base de quelle loi les familles des victimes vont-elles pouvoir engager la responsabilité de ceux qui seraient considérés comme juridiquement responsables de la tragédie du vol 9525 de la Germanwings ?
La réponse est loin d’être évidente. Selon le standard du droit européen, est compétente la loi du pays « où est survenu le dommage ». Mais comment définir ce lieu avec exactitude ? Le dommage est-il survenu au moment où l’avion s’est écrasé dans les Alpes françaises ou doit-on considérer que le sort des passagers était scellé au moment où, dans un bureau en Allemagne, les responsables de la Lufthansa ont laissé un co-pilote dépressif et aux tendances suicidaires aux commandes d’un A320 ?
La question a une importance : les lois françaises, allemandes
ou espagnoles peuvent apprécier différemment la gravité de la faute
qui pourrait être retenue à l’encontre la Compagnie
Lufthansa.
A ce jour, il est vrai que la Lufthansa est loin d’être la seule
partie mise en cause par l’opinion publiquequi s’interroge sur les
"responsables" du drame. Désormais, le secret médical est fortement
contesté, pour ne pas dire mis en accusation.
Mais en réalité, qu’aurait pu faire le médecin traitant français ou étranger face au cas Andreas Lubitz ? La question diffère bien évidemment selon les pays…
En France, un secret médical absolu
Le Code de la Santé Publique est catégorique : le secret
professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout
médecin (Article R.4127-4 du Code de la Santé Publique).
En France, le secret médical impose au médecin de ne jamais révéler
ce qu’il a pu voir à l’occasion de son examen, mais également ce
qui lui a été confié par le patient.
Ainsi, le médecin français qui aurait averti les autorités civiles
ou la compagnie Lufthansa de la situation du co-pilote se serait
exposé (tout au moins en théorie) à de lourdes sanctions. En effet,
le Code pénal prévoit en cas de violation du secret médical une
peine allant jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 euros
d’amende.
Les exceptions prévues par le Code Pénal au principe (dénonciation de sévices commis sur un mineur, acquisition d’une arme) n’auraient pu s’appliquer ici.
Face à Andreas Lubitz, le médecin français aurait pu, tout au plus, envisager une mesure d’hospitalisation d’office en raison du danger immédiat que pouvait représenter un co-pilote aux tendances dépressives aux commandes d’un avion. Il aurait toutefois été difficile de motiver une telle mesure sur la seule base d’un antécédent de dépression remontant à 2009…
Une rupture possible du secret en Allemagne sous certaines conditions
Pour l'Ordre allemand des médecins « les médecins doivent garder le silence sur ce qui leur est confié ou ce qu'ils apprennent dans le cadre de leur exercice de la médecine ». Comme en France, l’article 203 du Code Pénal allemand punit sévèrement la rupture du secret médical par le médecin, d’une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement.
Toutefois, le droit allemand permet actuellement de rompre ce secret dans le cas où la révélation permet d’éviter un « crime particulièrement grave » de nature à mettre en danger la vie d’autrui. Mais cette disposition ne permettrait pas nécessairement à un médecin allemand de prévenir les autorités judiciaires (à moins de voir dans " l’acte" d’Andreas Lubitz, une tuerie de masse et non un suicide comme certains l'ont fait) et encore moins la Compagnie Lufthansa...
En France comme en Allemagne, ce caractère absolu du secret médical est désormais contesté. Celui-ci constitue le coupable idéal dans un drame où l’opinion publique s’interroge légitimement sur les possibles négligences de la compagnie aérienne et des autorités civiles. Le législateur pourrait, peut-être, s’inspirer des nombreuses dérogations existantes dans d'autres pays développés.
Au Canada, au Royaume-Uni, en Suisse, en Russie et aux Etats-Unis, les obligations et les possibilités de rupture du secret médical se multiplient
Depuis plusieurs années, les législateurs étrangers restreignent petit à petit le caractère absolu du secret médical.
Des exceptions au secret médical ont notamment été introduites en matière criminelle. Ainsi, en Fédération de Russie, depuis l’entrée en vigueur de la Loi Fédérale du 23 juillet 2013, le médecin est désormais dans l’obligation de signaler aux autorités les patients « à l’égard desquels il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont subi des dommages à la santé suite à des actions illégales ». De telles obligations existent aussi au Canada et au Royaume-Uni en présence de « blessures suspectes » par balles ou par couteau. Au Texas, le médecin est également tenu (contrairement en France où cela lui est formellement interdit) d’apporter son concours à la justice en témoignant aussi bien en matière criminelle que civile (Article 509 (b), Texas Rules of Evidence).
Mais au-delà de la matière criminelle, des obligations de signalement existent désormais en matière civile.
Ainsi, en Ontario (Canada), les médecins ont désormais une obligation de signalement des patients dont la conduite automobile pourrait représenter un danger pour lui-même et pour les autres (Section 203 de l’Highway Traffic Act).
En Suisse, depuis 2012, les médecins ont également la possibilité de rompre le secret médical « si l’aptitude à la conduite [du patient] soulève des doutes » (Loi fédérale sur la circulation routière, article 15, d).
Ces dernières lois représentent une évolution notable : là où jusqu’alors, les rares exceptions au secret médical étaient prévues afin d’éviter un péril grave, imminent et certain, le médecin porte désormais la responsabilité d’opérer un signalement pour un risque « potentiel ». Il reste que jusqu’alors, seules les autorités étatiques pouvaient être les bénéficiaires de cette rupture du secret.
Vers une nouvelle obligation : la rupture du secret médical au profit de… l’employeur ?
A la suite du drame du vol 9525, une proposition de loi pour obliger le médecin à informer l’employeur sur une incapacité, lorsque le salarié risque de mettre en danger la vie d’autrui, est à l’étude au Parlement allemand. Cette loi (si elle est votée) marquerait une évolution considérable, dans la mesure où l’employeur pourrait bénéficier de la rupture du secret médical.
Cette solution est critiquée, car comme le soulignent les syndicats de pilotes, si la confiance entre le médecin et le patient est rompue, les pilotes auront tendance à minimiser l’existence de désordres physiques ou psychologiques par peur de se voir retirer leur autorisation de vol...
Reste à savoir ce que l’entreprise pourrait bien faire d’une telle information. En effet, les dirigeants de la Lufthansa, parfaitement informés de la situation particulière du co-pilote du vol 9525, en étaient pourtant arrivés à la conclusion qu’Andreas Lubitz était « 100 % capable de piloter un avion (sic) ».
Ne pourrait-on pas enfin envisager, pour répondre à de tels cas extrêmes que le médecin (traitant ou du travail) soit autorisé à délivrer un arrêt de travail impératif (ou un certificat d'inaptitude temporaire) et à le transmettre d'urgence à l'employeur (même contre l'avis du patient) sans le motiver, sous réserve bien sûr de la possibilité laissée au malade d'un appel devant une commission médicale.
La question du suivi psychologique ou psychiatrique des pilotes d’avion (et d’une manière générale, des professionnels ayant en mains notre sécurité [militaires, techniciens de sécurité nucléaire ... et même professionnels de santé !] repose donc jusqu'à présent sur les épaules du seul médecin.
Charles Haroche (avocat) - charlesharoche@gmail.com