Identification d’un herbicide favorisant l’inflammation intestinale et peut être les MICI

Le nombre de cas de maladie Crohn (MC) et de rectocolite ulcéreuse (RCH) a augmenté chaque année de 3,4 % et 2,8 % entre 2001 et 2018 et celui de maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) de l’enfant a doublé en 20 ans. Comme d’autres maladies auto-immunes, les MICI sont influencées par des facteurs génétiques (200 loci associés), diététiques (aliments ultra-transformés, riches en sucres, en produits chimiques synthétiques, additifs alimentaires et OGM), la dysbiose, une exposition excessive aux antibiotiques, un dysfonctionnement immunitaire intestinal et des expositions environnementales toxiques, notamment aux pesticides.

La prévalence croissante des MICI dans les pays industrialisés et le risque accru de maladie observé chez les migrants vers des zones de prévalence plus élevée suggèrent que les facteurs environnementaux sont des déterminants importants des MICI. Alors qu’elles ont longtemps été considérées comme plus répandues en Occident, des données récentes indiquent que la prévalence des MICI augmente rapidement dans les pays nouvellement industrialisés.

Afin d’étudier les facteurs environnementaux qui peuvent contribuer aux MICI, l’équipe de Sanmarco et coll. a dans un premier temps identifié les agents chimiques présents dans l'environnement qui favorisent l'inflammation gastro-intestinale. Pour cela, ils ont croisé les données de la base ToxCast (agence américaine de protection de l'environnement) pour dépister parmi des centaines de produits chimiques environnementaux ceux qui ont un effet sur l'inflammation intestinale (facteur de nécrose tumorale TNF, interféron, interleukine-1β, voie JAK/STAT, récepteur activé par les proliférateurs de peroxysomes et récepteur aryl hydrocarbone AhR).

Au total, parmi les 20 candidats retenus, l’équipe a décidé avec l’aide du machine learning, de se concentrer sur un herbicide, le propyzamide, en raison de sa non-létalité chez le poisson zèbre porteur d’une colite inflammatoire induite par l’acide 2,4,6-trinitrobenzenesulfonic (TNBS) servant de modèle expérimental, ainsi que de son utilisation répandue dans l’agriculture et les zones résidentielles.
 

Le propyzamide a un rôle amplificateur sur l’inflammation intestinale dans des modèles animaux


Le propyzamide a stimulé l'inflammation intestinale initiée par le TNBS chez le poisson zèbre sans l’induire en l'absence de TNBS évoquant un rôle dans l'amplification mais non dans l'initiation de la pathologie intestinale. Pour identifier les mécanismes ciblés par le propyzamide chez les mammifères, les chercheurs ont utilisé le modèle murin de colite au TNBS. Le propyzamide a aggravé la pathologie intestinale (perte de poids, raccourcissement du côlon, histologie), a augmenté certaines populations lymphocytaires T coliques et l’expression de gènes pro-inflammatoires ; effets non détectés en l'absence de TNBS, confirmant le rôle amplificateur mais non initiateur de l’inflammation.

Chez le sujet sain, des germes du microbiote intestinal utilisent le tryptophane alimentaire pour produire des dérivés indoles qui activent les AhR des cellules intestinales renforçant la barrière intestinale, stimulant l’immunité, atténuant l’inflammation et préservant l’équilibre du microbiote. Les MICI comportent une dysbiose avec en particulier un défaut de production de ces dérivés indoles et une réduction de l’activation des AhR.

Le propyzamide chez les souris TNBS a réduit la diversité du microbiote iléal et caecal et a interféré avec ce récepteur AhR, protéine impliquée dans la régulation immunitaire et la détoxification. Le séquençage de l'ARN a confirmé une dysrégulation à la hausse des voies inflammatoires du microbiote en présence de propyzamide. De plus, cet axe de signalisation AhR–NF-κB–C/EBPβ dans les cellules T et les cellules dendritiques qui favorise l'inflammation intestinale se trouve ciblé par cet herbicide.

Enfin, à l’aide de cultures de cellules humaines et animales les auteurs ont montré que le propyzamide aggrave un processus inflammatoire préalablement déclenché par une exposition au TNBS. Avec 70 à 80 % de gènes en commun avec l’Homme, le poisson-zèbre n’en est cependant pas suffisamment proche pour transposer ces résultats à notre espèce et aux MICI. Aujourd’hui, les auteurs répertorient les mutations génétiques chez le poisson et leurs conséquences afin de créer une immense base de données ouverte, pour les recherches actuelles et futures, fondamentales et appliquées.

Quelques pesticides ont été impliqués dans des maladies humaines


Un travail finlandais a montré que le glyphosate exerce son effet directement sur 54 % des espèces bactériennes du microbiote humain (1). Une équipe européenne a publié dans la revue Environmental Health Perspectives des résultats indiquant que l’exposition alimentaire au glyphosate perturbe le microbiote intestinal d’animaux de laboratoire, à des niveaux d’exposition considérés comme sans effet par les autorités (2). En France, l’équipe PERITOX–UMR-I-01 va travailler sur 3 pesticides (prosulfocarb, mancozebe et glyphosate) chez des rates de ce modèle murin de colite expérimentale, exposées aux pesticides pendant la gestation et la lactation.

Les pesticides (plus de 400 molécules) sont utilisés pour lutter contre les mauvaises herbes et les organismes jugés nuisibles, notamment les insectes et les champignons ; leurs effets à long terme et à petites doses sont peu connus, même si les études s’accumulent. Nombre de mécanismes d’action sont communs à plusieurs pesticides.

L’expertise de l’INSERM en 2011 portant sur plus de 5000 études, avait confirmé la forte présomption d’un lien entre exposition professionnelle aux pesticides et six maladies (lymphomes non hodgkiniens, myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson, troubles cognitifs et BPCO) sans mentionner les MICI, dans les populations les plus exposées c’est-à-dire chez des agriculteurs suivis sur plusieurs décennies, les cancers et maladies chroniques survenant après une longue période d’exposition.

Ainsi le chlordécone connu pour ses effets cancérigènes et perturbateur endocrinien et désormais interdit, a contaminé les Antilles françaises et persiste dans l’environnement. Le glyphosate, principe actif du Roundup©, a été incriminé dans les lymphomes non hodgkiniens. Les organophosphorés et les pyréthrinoïdes sont les pesticides les plus problématiques pour la santé humaine, même si les organophosphorés utilisés aujourd’hui sont moins toxiques que ceux de première génération. Les données sont moins claires pour la population générale principalement exposée aux résidus de pesticides dans les aliments, ou pour les populations riveraines de zones agricoles.

Le propyzamide est largement utilisé pour lutter contre certaines graminées et mauvaises herbes dans les terrains de sport, les cultures de fruits et légumes, et les pâturages. Environ 60 % du produit est non métabolisé par la plante 50 jours après son application et des niveaux notables de propyzamide dans les eaux de surface et souterraines ont été estimés par l'EPA (Environmental Protection Agency) aux USA. Les niveaux d'exposition au propyzamide devraient être beaucoup plus élevés dans les communautés où la contamination des nappes phréatiques est importante et pour les travailleurs agricoles.

Par ailleurs, les pesticides sont hétérogènes et persistants, l’environnement peut être contaminé par un cocktail de faibles doses de molécules dont la toxicité est difficile à évaluer. Les agences françaises et européennes travaillent sur les valeurs seuils, cet effet cocktail reste peu étudié. Enfin, une fois les liens épidémiologiques démontrés, la preuve de causalité reste à établir, notamment en déterminant les mécanismes d’action (stress oxydatif, interaction avec les récepteurs hormonaux ou immunologiques, effets mutagènes).

Prendre en compte les polluants environnementaux


La méthodologie complexe mise en œuvre dans cette étude permet pour la première fois d'identifier un produit chimique qui perturbe l'un des freins naturels de l'organisme contre l'inflammation intestinale. Les facteurs immunologiques, environnementaux, génétiques et les altérations du microbiote agissent probablement en synergie avec ce désherbant qui n’explique pas à lui seul la pathogenèse des colites animales expérimentales et à fortiori des MICI.

L'équipe travaille maintenant à cibler cette voie inflammatoire à l’aide de nanoparticules et de probiotiques pour activer ou renforcer la voie AhR anti-inflammatoire dans les MICI. Les études futures devront déterminer les niveaux d'exposition réels dans les communautés potentiellement fortement exposées au propyzamide, notamment les travailleurs agricoles, et étudier l’impact de faibles doses sur le microbiote du sujet sain et porteur de MICI.

Une approche systémique intégrée, combinant base de données accessible au public, apprentissage automatique par une machine et modèles animaux, a permis d'identifier un herbicide, le propyzamide, qui influence l'inflammation intestinale et perturbe la voie AhR–NF-κB–C/ EBPβ dans deux modèles animaux de colite expérimentale. Cependant, la confirmation du rôle adjuvant de ce pesticide dans la physiopathologie des MICI mérite des études épidémiologiques et toxicologiques supplémentaires, d’autres facteurs environnementaux interviennent probablement sur le microbiote d’individus génétiquement prédisposés aux MICI.

La méthodologie de pointe utilisée par cette étude princeps mérite d’être confirmée par d’autres équipes, car elle pourra identifier de nouveaux candidats chimiques pour des études épidémiologiques, ainsi que de nouveaux mécanismes régulateurs des réponses auto-immunes. De plus, cette plate-forme pourra être utilisée pour cribler et concevoir des médicaments anti-inflammatoires. Néanmoins, les extrapolations doivent être faites avec précaution car il n’existe aujourd’hui pas de substitut parfait à l’étude chez l’Homme.

Enfin, ces résultats appellent à la prudence et à la modération dans l'utilisation généralisée des pesticides du fait de leur impact sur la santé publique et la biodiversité, même en l’absence de preuve épidémiologique formelle et d’altérations avérées du microbiote humain.

Dr Sylvain Beorchia

Références
Sanmarco LM, Chao CC, Wang YC, et al. Identification of environmental factors that promote intestinal inflammation. Nature. 2022 Oct 20. doi: 10.1038/s41586-022-05308-6. Epub ahead of print. PMID: 36266581.
(1) Leino L, Tall T, Helander M, et coll. ; Classification of the glyphosate target enzyme (5-enolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase) for assessing sensitivity of organisms to the herbicide. J Hazard Mater. 2021;408:124556. doi: 10.1016/j.jhazmat.2020.124556.
(2) Mesnage R, Teixeira M, Mandrioli D, et coll. : Use of Shotgun Metagenomics and Metabolomics to Evaluate the Impact of Glyphosate or Roundup MON 52276 on the Gut Microbiota and Serum Metabolome of Sprague-Dawley Rats. Environ Health Perspect. 2021 Jan;129(1):17005. doi: 10.1289/EHP6990.

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Vos réactions (2)

  • Colites inflammatoires

    Le 25 novembre 2022

    Dans les grands services de gastro-entérologie parisiens, nous étions surpris par la rareté de ces maladies chez nous, alors que nos amis belges venaient nous en présenter régulièrement des cas. J'observe maintenant que la majorité des sujets traités en congrès concernent les Crohn ou RCH qui semblent devenues parfaitement banales et très répandues dans le quotidien de nos collègues. La probabilité de facteurs environnementaux à l'origine de cette multiplication des cas est effectivement très grande et les recherches dans ce domaine sont cruciales.

    Dr J trad

  • Identifier l'origine environnementale

    Le 26 novembre 2022

    Il ne fait aucun doute que l'origine des MICI est principalement environnementale. Chez les enfants antillais elles ont au moins décuplé ces 10 dernières années. Il est temps que ces études soient financées. Le big data pourrait permettre d'avancer rapidement.

    Dr Y Hatchuel

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