
L.CHEVRET,
Unité de Réanimation Pédiatrique, CHU Bicêtre
Les intoxications restent un problème fréquent en pédiatrie, constituant la deuxième cause d'accident (4,6 %), après les traumatismes (64,6 %). Les intoxications de l'enfant ont un pronostic globalement moins sévère que les intoxications de l'adulte, mais il convient de repérer rapidement les rares cas graves par l'interrogatoire et l'examen clinique.
Pour la plupart des substances, la mortalité par intoxication est actuellement très faible (inférieure à 1 %). Le plus souvent, une observation d’une durée de 6 à 12 h permet d’avoir un recul suffisant pour déterminer la gravité réelle de l’intoxication et les problèmes sont résolus dans les 24 h suivant l’exposition au toxique. Il faut cependant garder en tête que l’intoxication est un processus dynamique, entraînant parfois une symptomatologie retardée (ex. paracétamol).
Épidémiologie
Il n’existe pas de registre français exhaustif de recueil des
intoxications médicamenteuses chez l’enfant. La distribution de ces
intoxications se fait selon une répartition bimodale. Les deux pics
de fréquence, 36 mois et 14 ans, correspondent respectivement à
deux modes différents : ingestion accidentelle et volontaire. La
prédominance est masculine en cas d’ingestion accidentelle,
féminine en cas d’ingestion volontaire. L’intoxication est
volontiers polymédicamenteuse en cas d’ingestion volontaire. Les
principaux médicaments responsables d’intoxications graves sont
ceux ayant une action sur le système nerveux central (sédatifs,
hypnotiques, anticonvulsivants, antidépresseurs, morphiniques…).
Seuls 0,5 à 2 % des intoxications médicamenteuses nécessitent
une prise en charge en unité de réanimation pédiatrique. Les
médicaments le plus souvent associés à la survenue d’un décès sont
: les antidépresseurs tricycliques, les anticonvulsivants, les
analgésiques et les médicaments à base de fer. Il est important
aussi de bien connaître certaines intoxications rares mais
potentiellement létales à faible dose chez l’enfant (tableau
I).
Quelques nouveaux toxiques ont émergé, notamment la
buprénorphine, la méthadone, et l’ecstasy.
Tableau 1. Produits hautement toxiques |
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Diagnostic
Reconnaître l’intoxication n’est pas toujours facile, excepté si elle a été avouée ou observée par un tiers. Il faut de toute façon l’évoquer devant tout symptôme inexpliqué d’apparition brutale. On recherchera les critères de gravité que sont la présence d’une défaillance cardiocirculatoire, respiratoire ou neurologique ou la dangerosité potentielle du toxique.
Le diagnostic d’intoxication doit être évoqué devant tout symptôme inexpliqué d’apparition brutale.
• Interrogatoire de l’enfant et/ou de l’entourage
Il essaie de recueillir les informations essentielles :
– nature du ou des toxiques (toujours penser à l’intoxication
polymédicamenteuse) ;
– quantité de toxique incriminée, en considérant la dose maximale
;
– heure de l’intoxication ;
– dernier repas de l’enfant ;
– présence de symptômes ;
– mesures adoptées par les parents ou l’entourage ;
– âge et poids de l’enfant ;
– antécédents, en particulier cardiovasculaires ou
neurologiques.
• Examen clinique
Il faut rapidement évaluer la situation clinique et apprécier l’état des fonctions vitales à la recherche d’une défaillance cardiocirculatoire (FC, pression artérielle, temps de recoloration cutané, diurèse), respiratoire (FR, régularité, cyanose) ou neurologique (conscience, tonus, pupilles). Il faut, par ailleurs, évaluer l’état de la bouche, l’état cutané et la température. Enfin la recherche de toxidromes (ou syndromes d’origine toxique) est intéressante, car ils représentent un ensemble de symptômes cliniques et/ou biologiques évocateurs d’une pathologie toxique (tableau 2).
• Examens complémentaires
L'analyse toxicologique permet d'identifier et/ou doser le
toxique ingéré afin de confirmer ou non l’hypothèse toxique, et
parfois d’évaluer la gravité et de surveiller l'efficacité du
traitement (en cas de relation dose-effet). Cette recherche doit
être orientée et non pas exhaustive pour chaque patient. Le sang
est le milieu de choix pour la recherche de toxiques.
L’analyse des urines est parfois intéressante pour les médicaments
ou les substances illicites, dont l’élimination sanguine est rapide
en raison d’une demi-vie brève et/ou d’une forte fixation
tissulaire.
D’autres examens complémentaires sont utiles en fonction du toxique
incriminé : radiographie pulmonaire, ECG, hémogramme, gaz du sang,
bilan hépatique, ionogramme, etc.
Prise en charge
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Figure 1. |
Symptomatique
C’est la première ligne du traitement et souvent la seule prise
en charge nécessaire. La rapidité de correction des détresses
vitales conditionne le pronostic.
Les troubles du rythme ventriculaire liés à un effet stabilisant de
membrane, situation rare mais grave, seront rapidement corrigés par
du lactate molaire ou du bicarbonate de sodium 84 ‰ (+ 2g/l
de Kcl) en perfusion.
Prévention de l’absorption : place de
l’épuration digestive
Lors d’une intoxication par ingestion, l’évacuation du toxique est toujours envisagée. En ce qui concerne les techniques d’épuration digestive, les recommandations sont précises :
– au préalable, protection des voies aériennes en cas de
troubles de conscience ;
– il n’y a aucune preuve que les vomissements provoqués (sirop
d’ipéca, apomorphine IM), apportent un bénéfice clinique. Ces
procédures doivent être abandonnées.
Les techniques de vomissements provoqués doivent être abandonnées.
– Lavage gastrique : il doit être uniquement discuté en cas
d’ingestion depuis moins d’une heure d’une quantité de toxique
susceptible d’engager le pronostic vital, en tenant compte des
contre-indications liées au produit (corrosif, produit volatile ou
moussant).
– Charbon de bois activé : administré en dose unique (1 g/kg)
ou en doses multiples.
Il peut être envisagé lorsqu’il suit depuis moins d’une heure l’ingestion de quantités toxiques d’une substance carbo-adsorbable. Passé ce délai, aucune donnée ne permet de confirmer ni d’infirmer l’efficacité du charbon de bois activé. L’administration de doses multiples peut être envisagée après l’ingestion de quantités de carbama-zépine, de dapsone, de phénobarbital, de quinine ou de théophylline susceptibles d’engager le pronostic vital.
Antidotes
La plupart des intoxications aiguës ne nécessitent qu’un traitement symptomatique mais pour certaines, il existe des antidotes indispensables à utiliser (tableau 3).
Conclusion
Les techniques d’évacuation digestive et l’utilisation d’antidotes sont recommandées dans des circonstances bien précises en complément du traitement symptomatique. La grande diversité de toxiques oblige à s’entourer de conseils auprès des CAP (tableau 4), des réanimateurs, et de posséder un ouvrage simple et complet (cf. bibliographie). De par la fréquence encore trop élevée de ces accidents, la nécessité de développer des mesures préventives et d’éduquer les familles demeure plus que jamais une priorité.
Pour en savoir plus
• Bismuth Ch. Toxicologie clinique, 5e édition, Flammarion
Médecine-Sciences, Paris 2000.
• Conférence d’expert SRLF 2006. Intoxications graves. Réanimation
15(5) : 329-417.
• Haas H. Conduite à tenir devant les intoxications aiguës
accidentelles de l'enfant. Arch Pediatr, 2004 ; 11(6) :
683-8.
• Chevret L. Intoxications graves : prise en charge en réanimation
pédiatrique. Arch Pediatr 2004 ; 11(6) : 680-2.
• Cremer R, Mathieu-Nolf M. Epidémio-logie des intoxications de
l'enfant. Arch Pediatr 2004 ; 11 : 677-9.
• Shannon M. Ingestion of toxic substances by children. N Engl J
Med 2000 ; 342 : 186-91.
• Kuster A, Picherot G, Liet JM, Hazart I, Poignant S.
Nouvelles intoxications de l'enfant. Arch Pédiatr 2004 ; 11 :
689-91.
• Michael JB, Sztajnkrycer MD. Deadly pediatric poisons: nine
common agents that kill at low doses. Emerg Med Clin North Am 2004
; 22 : 1019-50.