IST aux Urgences, un diagnostic probabiliste

De nombreux cas d'infections sexuellement transmissibles (IST) sont diagnostiqués dans les services d'Urgences, y compris chez des patients asymptomatiques. Mais, le délai entre le prélèvement de l'échantillon pour le test d'amplification de l'acide nucléique (recommandé par les CDC pour le diagnostic des infections à N. gonorrhoeae et C. trachomatis et privilégié pour celles à Trichomonas vaginalis) et les résultats, complique la prise en charge des IST aux Urgences.

Le CDC considère que l'anamnèse et l'examen physique sont fondamentaux pour apporter des soins de qualité en matière d'IST. Bien que l’habitus sexuel aide à suspecter les personnes présentant un risque accru d'IST, ni les antécédents ni l'examen physique ne permettent de différencier de manière fiable les patients atteints d'IST de ceux qui présentent une infection des voies urinaires (IVU).

L’examen pelvien est souvent décevant

Un examen pelvien est couramment pratiqué chez les femmes qui consultent pour des problèmes génitaux, mais aux Urgences, son utilité pour le diagnostic de la plupart des IST est limitée, car :

1) Il peut mettre les patientes mal à l'aise aux Urgences ;
2) Il augmente la durée du séjour aux Urgences ;
3) C’est un examen auquel la plupart des femmes répugnent ;
4) Il modifie rarement la prise en charge clinique ; et
5) Il n'augmente pas la sensibilité ou la spécificité du diagnostic des IST par rapport à la seule histoire clinique.

La plupart des outils de prédiction clinique des IST reposent sur une combinaison d'antécédents et de résultats d'examen physique. L'objectif de la présente étude était de déterminer si un modèle de prédiction clinique pouvait être créé à partir des seules données démographiques et de laboratoire afin de prédire quels patients sont atteints de gonorrhée ou de chlamydiose ou des deux, et de trichomonase dans les services d'Urgences.

Un examen rétrospectif de 64 490 consultations aux Urgences, entre le 18 avril 2014 et le 7 mars 2017, chez des patients âgés d’au moins 18 ans, ayant eu une analyse et une culture d'urines ou un test de dépistage de la gonorrhée, de la chlamydiose ou d’une trichomonase, a été utilisé pour développer un modèle de prédiction pour les hommes et les femmes d’une infection à Neisseria gonorrhoeae ou Chlamydia trachomatis, ou les deux, et pour les femmes à Trichomonas vaginalis. Les groupes ont été assignés par un générateur de nombres aléatoires. Un modèle de régression à rebours a été utilisé pour identifier le meilleur modèle pour chaque résultat ; 49 915 consultations concernaient des femmes (77,4 %) et 14 575 (22,6 %) des hommes. L'âge moyen était de 44,3 (23,0) ans chez les femmes et de 53,8 (22,4) ans chez les hommes ; 36 875 (57,4 %) étaient célibataires, 15 550 (24,2 %) étaient mariés ou avaient un partenaire de vie, 6 800 (10,6 %) étaient veufs et 5 016 (7,8 %) étaient divorcés ou séparés.

Au total, 11 783 patients (18,3 %) ont eu un diagnostic d'infection urinaire : 10 138 femmes [20,3%] et 1 645 hommes [11,3 %]. Des échantillons d'urines propres ont été obtenus chez 30 110 patients (46,7 %). Parmi les femmes, 6 469 (13,0 %) ont eu un test de dépistage de la gonorrhée, de la chlamydiose et de la trichomonase, dont 27,4 % (541/1971) étaient infectées par N. gonorrhoeae, C. trachomatis ou T. vaginalis, ou une combinaison des deux. Parmi les hommes, 3 105 (21,3 %) ont été testés pour la gonorrhée et l’infection à Chlamydia, dont 42,9 % (63/147) étaient infectés par N. gonorrhoeae, C. trachomatis ou T. vaginalis, ou une combinaison des deux.

Il y a eu 4,1 % (3/73) de tests positifs pour la gonorrhée ou la chlamydiose, ou les deux, parmi les 10 510 personnes non incluses dans la modélisation en raison d'un DFG connu inférieur à 30 mL/min au moment de l’examen ou d'un échantillon d'urine provenant d'une sonde urinaire déjà en place, d'un cathéter d'urostomie ou de néphrostomie, d'un étui pénien, d'une cystoscopie, d'une iléostomie ou d'un cathéter sus-pubien. En outre, 52,9 % (18/34) des patients positifs pour T. vaginalis n’ont pas été inclus dans la modélisation.

Un modèle prédictif simple mais de nombreuses limitations

En se basant sur l'âge, l’ethnie, l'état-civil et des résultats de la préparation humide vaginale (globules blancs, cellules clues et levures) et de l'analyse d'urines (cellules épithéliales squameuses, protéines, leucocyte estérase et leucocytes), les modèles présentaient des aires sous la courbe (AUC) de la caractéristique d'exploitation du récepteur (ROC) de 0,80 pour les hommes atteints de N. gonorrhoeae ou de C. trachomatis, ou des deux ; 0,75 pour les femmes atteintes de N. gonorrhoeae ou de C. trachomatis, ou des deux ; et 0,73 pour les femmes atteintes de T. vaginalis.

Mais cette étude présente de nombreuses limitations. Ainsi, tous les patients de la présente étude ont été évalués dans des services d'urgence de la même région du pays, où la prévalence des IST est habituellement élevée. La sensibilité et la spécificité de l'outil de prédiction variant selon la prévalence des IST dans la communauté, ces résultats peuvent ne pas être généralisables. Ce modèle de prédiction ne peut pas fournir d'évaluations du risque à l'échelle de la population et n'est utile que pour les patients qui subissent un dépistage des IST et une analyse d'urine aux Urgences. Il existe un biais de sélection, car les patients traités de manière empirique pour une IST n'ont pas tous subi un test IST.

Néanmoins, « à la tête du client », ce modèle d'estimation de la probabilité d’IST aux Urgences est raisonnablement précis, sur la base d’un nombre limité de variables démographiques et de laboratoire. En outre, en l'absence de dépistage des IST dans le service des Urgences, un tel outil de prédiction des IST peut contribuer à améliorer la bonne gestion de l’antibiothérapie empirique.

Dr Bernard-Alex Gaüzère

Référence
Sheele JM et coll. : Prediction model for gonorrhea, chlamydia, and trichomoniasis in the emergency department. Am J Emer Med, 2022; 51: 313-319.

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (2)

  • Ist et urgences

    Le 02 février 2022

    Dépister à la volée gonocoques et Chlamydia ne me semble pas opportun.
    Les IST ont chacune un temps de latence différent (syphilis, hépatite b., HIV.), ce sont des maladies surtout dues au comportements qui nécessite un conselling et souvent de nouvelles consultations de suivi. Les urgences ne sont pas l'endroit idéal et il n'y a, le plus souvent, pas d'urgence immédiate empêchant la prise en charge rapide dans un CEGIDD ou un service adéquat.

    Traiter à l'aveugle une IST c'est non seulement le risque de perdre le suivi du patient mais aussi celui de ne pouvoir prendre en charge le ou les partenaires (indispensable dans les IST).

    Dr Christian Marty

  • Problème d'ensemble

    Le 04 février 2022

    Entièrement d'accord avec le Dr Marty : les maladies vénériennes (plus joli que IST !) doivent être prises comme un ensemble : maladies multiples souvent et problème d'attitude, mœurs et pulsions des patients. C'est donc une prise en charge globale, très souvent sur le long terme et prenant en compte les trois (au minimum !) protagonistes.

    Les attitudes contaminatrices sont très souvent récidivantes et volontiers multiples.
    Or, à part l'urétrite gonococcique où la douleur peut être intense (et les complications comme la GEU qui sont une autre histoire) ou la contamination très récente par le VIH, ces infections peuvent généralement attendre quelques jours pour être adressées et prises en charge avec recul et mesure par des structures spécialisées.

    Enfin, une bonne coordination et entente avec le laboratoire de microbiologie (qui doit toujours être à proximité n'en déplaise à des planificateurs en chambre, plus intéressés par un bilan comptable de gagne petit que par la qualité des soins) permet généralement d'avoir en 10-20 mn une confirmation d'excellente probabilité de gonococcie, trichomonase, vaginose non spécifique, voire syphilis primaire.

    Dr Yves Gille, microbiologiste retraité... et qui était à quelques dizaines de mètres de ses amis vénérologues

Réagir à cet article