
Paris, le jeudi 28 février 2013 – Parmi les réticences suscitées par la cigarette électronique le risque que ce produit ne devienne une « porte d’entrée » vers le tabac et/ou la dépendance à la nicotine chez les plus jeunes est fréquemment évoqué. Ce danger est-il déjà en germe ? Il n’est pas nécessaire de se promener longtemps sur les forums internet utilisés par les adolescents ou sur le fameux site Twitter pour découvrir que la cigarette électronique alimente parfois les conversations des plus jeunes. Ils évoquent ainsi des expériences (souvent d’ailleurs décevantes), se demandent à l’occasion s’ils pourraient utiliser le produit avant d’avoir commencé la cigarette ou signalent qu’ils ont choisi d’y avoir recours comme mode de sevrage. Si l’e-cigarette est donc loin d’être une inconnue chez les adolescents, de ces commentaires virtuels à la réalité, se dresse encore un écran de fumée.
19 % des jeunes de 17 ans ont déjà testé la cigarette électronique
Quelques études commencent cependant à tenter de cerner le phénomène. Ainsi, l’enquête Paris sans tabac, menée depuis 20 ans par l’Office français contre le tabagisme dans la capitale auprès de collégiens et lycéens a dans sa dernière édition introduit une question sur l’utilisation de la cigarette électronique. Au total 3 409 jeunes gens et jeunes filles âgés de 12 à 19 ans ont été interrogés. Présentés lors du congrès de la Society for Research on Nicotine and Tobacco (SRNT) par le professeur Bertrand Dautzenberg à l’origine de cette enquête, les résultats montrent qu’entre 12 et 14 ans, 6 % des jeunes parisiens ont fait l’expérience de l’e-cigarette. Ils sont 12 % chez les 15/16 ans et 19 % autour de 17 ans. Après cet âge, sans doute moins familiers avec des produits très récents et déjà plus fréquemment installés dans des habitudes tabagiques (ou définitivement étrangers à cette addiction) l’expérience de la cigarette électronique ne concerne plus que 12 et 6 % des adultes de 18 et 19 ans. L’enquête laisse également apparaître que jusqu’à 17 ans, les jeunes filles ont plus fréquemment fait l’expérience de la cigarette électronique, ce qui n’étonnera pas ceux qui savent que désormais les adolescentes sont plus souvent fumeuses que les adolescents ! L’enquête Paris sans tabac permet également de différencier entre les non fumeurs et les fumeurs : 5 % de ceux n’ayant jamais fumé avait déjà essayé l’e-cigarette, contre 15 % des fumeurs occasionnels, 18 % chez ceux ayant arrêté la cigarette et 33 % chez les fumeurs réguliers.
Quand le professeur Dautzenberg cite l’enquête menée par le professeur Dautzenberg
Ces résultats sont bien loin de ceux avancés il y a une semaine
par Bertrand Dautzenberg lui-même au micro d’Europe 1. Le président
de l’Office français de prévention du tabagisme et pneumologue à la
Pitié-Salpêtrière assurait en effet alors (selon la retranscription
de son interview sur le site d'Europe 1) que « Deux tiers des
enfants de 12/15 ans sur lesquels on avait enquêté sur Paris l’an
dernier avait essayé la cigarette électronique alors qu’il n’avait
pas essayé la cigarette ». Une probable erreur de chiffres que
nous a signalée le docteur Jacques Le Houezec, président de la SRNT
Europe.
Mais au-delà de cette querelle de chiffres, qui irrite beaucoup
ceux qui défendent la cigarette électronique comme une alternative
bien moins dangereuse à la cigarette et comme une aide au sevrage
potentiellement efficace, les données présentées en août dernier
doivent-elles inquiéter ou rassurer ? Elles demeurent en réalité
difficilement interprétables. Sans discuter la possible absence de
parfaite représentativité des lycéens parisiens par rapport à ceux
du reste de la France, l’idée qu’un adolescent sur cinq à l’âge de
17 ans a usé de la cigarette électronique n’est certes pas
totalement anodine. Néanmoins, le fait que ce produit n’ait conquis
que 5 % des non fumeurs est parallèlement plutôt rassurant et
semble évoquer l’idée que la cigarette électronique séduit d’abord
ceux qui ont déjà « goûté » la nicotine à travers de vraies
cigarettes. En tout état de cause, il paraît difficile à partir de
ces résultats de redouter sans nuance que l’e-cigarette soit en
train de devenir un mode d’initiation chez les jeunes et un risque
majeur d’entrée dans la dépendance chez les adolescents.
Quit or die
Pour autant, l’interdiction aux moins de 18 ans prônée par certains et notamment par Bertrand Dautzenberg mérite d’être discutée et évoquée, ainsi qu’un meilleur contrôle de la distribution (à travers par exemple une délivrance par les seuls pharmaciens). Si ce n’est que pour ceux qui défendent la cigarette électronique, les restrictions multiples que l’on souhaite imposer actuellement pourraient bien cacher une volonté d’interdiction totale. Or, pour certains observateurs, tel Jacques Le Houezec, président de la SRNT Europe et vice président du Comité national contre le tabagisme il n’est pas certain que prôner le « quit or die » à tout prix soit nécessairement parfaitement productif en santé publique : « Si l’on ne fait rien, si l’on reste dans la situation du « quit or die » (arrêter ou mourir) prôné par les jusqu’au-boutistes du contrôle du tabac, de nombreux fumeurs mourront de leur tabagisme » signale-t-il dans une interview accordée il y a quelques semaines au site internet www.cigarette-electronique-recherche.fr.
Aurélie Haroche